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Livre
01/03/2021

Aïssa Lacheb

Erostrate For Ever

Editeur : Au Diable Vauvert
Genre : roman
Date de publication : 2021/01/07
Note : 80%
Posté par : Mäx Lachaud

Je ne connaissais pas l'univers d'Aïssa Lacheb avant d'avoir lu ce roman, et une chose est sûre : l'auteur fait preuve d'une grande maîtrise et parvient, au sein même d'un livre, à changer de style, de rythmique, d'imagerie. Ce n'est pas un exercice simple et il y arrive avec une fluidité presque désarmante. De fait, j'ai dévoré ce dernier ouvrage en à peine un peu plus d'une journée tellement j'ai été happé par cette écriture. Bien connu des amateurs de la maison d'édition Au Diable Vauvert, chez qui il a publié notamment La Vie Carcérale (2013) ou encore Émilie (2018), Lacheb nous expose ici le destin tragique de plusieurs personnages, qui vont converger vers des visions infernales fantastiques. Pourtant, la détresse sociale qui a précédé baigne plutôt dans une forme de réalisme documentaire. Des jeunes gens, issus de milieux pauvres et défavorisés, qui essaient de s'en sortir mais n'ont pas de chance. Prostitution, alcoolisme, drogue, névrose sexuelle et mentale. Ils plongent, comme des damnés.

On rencontre ainsi Lucien, qui a décidé d'arrêter de se nourrir et espère que la mort le cueillera assez vite pour qu'il n'ait plus à supporter la violence du père, sa sœur Isabelle qui, suite à une mauvaise rencontre, devient junkie, un autre ado témoin des brutalités de son alcoolique de père et qui va plonger à son tour ; ou encore Anaïs et ses troubles du comportement que son amie Malika n'arrivera pas à sortir de cercles concentriques d'autodestruction et de mutilations. La dernière partie nous amène dans une autre catégorie sociale, celle d'Archibald, comptable à la vie morne et rangée, confronté à un passager étrange dans le compartiment d'un train. Ce dernier, M. Grandmal, va amener le texte vers des considérations philosophiques avant de se conclure en images apocalyptiques. Mais les premières pages du livre, où Lucien est perdu dans une nature vivante et hostile, couvert de boue et frappé par une pluie tenace, auraient pu nous mettre sur la voie de ce final cauchemardesque et baroque.

Car les personnages, aussi attachants que l'auteur peut les rendre, semblent soumis à une destinée qui les dépasse. Ce n'est pas juste qu'ils ont suivi une mauvaise trajectoire. C'est plutôt comme s'il n'y avait pas d'autre alternative que la déchéance humaine et le désespoir. Ils se décomposent littéralement, victimes d'un environnement sans pitié, dont le seul but est de saccager leur existence et les mener à un cul-de-sac sur le plan matériel et émotionnel. Car il y a beaucoup de tristesse dans ce roman, même si celle-ci est parfois entrecoupée de beaux moments d'amitié qui ne dureront malheureusement pas. Les pulsions de mort gagnent toujours.

Lacheb pose son regard et sa plume sur ces vies gâchées, peut se faire incisif ou lyrique, sans émettre de jugement ou d'ironie. Il embrasse ses personnages, se fond en eux et fait le constat d'une pauvreté qui ne mène qu'à des vies d'infortune, des parents incapables de transmettre de l'amour ou plutôt capables de ne l'exprimer que sous forme de haine. C'est un monde noir auquel on est convié, une société malade qui enfante pour sacrifier ses progénitures au malheur et au dégoût de soi. En état de décomposition avant même d'avoir pu rêver à autre chose, ces jeunes sont condamnés à lutter tout en sombrant toujours plus profondément. Certains y verront une forme de misanthropie, mais Erostrate For Ever se situe ailleurs, dans une fatalité qui n'épargne personne. Un livre dur, mais porté par une écriture addictive, féroce, puissante.