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Les incessants crépitements de l'ombre

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RIP
23/06/2020

Hervé Costuas (Wallenberg)

"La musique, mon exutoire"

Photographies : Archives Hervé Costuas (source : Hervé de Wallenberg Facebook)
Posté par : Emmanuël Hennequin

Nous parlions au téléphone il y a quelques semaines, après des épisodes de vie récents que je qualifierai de difficiles. Le mot est de moi mais lui au bout du fil, lui n'est jamais dans la plainte. Jérémiades, zéro. De manière générale, et ce qui est valable pour moi l’est certainement avec les autres, Hervé parle sans filtre. Ses mots prennent à l’improviste quand ce n’est à la gorge – et lui-même analyse au combiné sa propre communication. En substance : je nomme les choses, je ne sais pas faire autrement.
Le mode sans filtre a aussi son prix, j’imagine : seuls restent ceux qui s’y font.

Hervé a eu une existence remplie de sons et vibrations de tous ordres. Il avait soif. Il a croisé des gens importants, qui parfois ont compté pour lui au-delà de l’art. Certaines disparitions, cela va sans dire, nous arrachent quelque chose à nous-mêmes.

Je ne suis ni un intime ni même un ami d’Hervé mais pour diverses raisons, il faisait signe de temps à autre. Je ne l’ai jamais rencontré physiquement, mais nous parlions : de la scène, de ceux qui la font, de ce qui parfois la défait, de la difficulté à créer, à faire vivre l’art. Discours sans détours, sans filtre, y compris sur lui-même : il liste ses péchés sans fierté ni honte, ses absences, l’esprit qui défaille. Les excès, ce que ça coûte. Il n’y a rien à répondre, et nous passons à autre chose avant d’y revenir : pas de vrai fil, bâtons rompus, de rires en clins d’œil en passant par des petits moments d’histoire personnelle. Ses éclats de mémoire me donnent l’impression d'effleurer une époque qui me reste à jamais fermée. Il a fait le fanzine k7 Reflet, s'est abreuvé du Burning Rome de Lydie Barbarian, a connu de l'intérieur l'ambiance underground et alternative 80's. Lorsque nous raccrochons, je reste dans l’écho de ses derniers mots, sans pouvoir toujours les dépasser. Les mots sur ce qu'il vit, les mots sur lui-même. Et dans leur écho je me dis, sans pouvoir l'affirmer de manière pérempoire, que ses choix lui ont peut-être coûté. Mais Hervé parle avec cette simplicité qui, quelque part, fait barrage à l’analyse de celui qui ne le connaît pas assez.

Je ne suis à peu près certain, finalement, que d’une chose le concernant : une mémoire le travaillait.
Nous sommes fin 2018 / début 2019. La revue Persona, dirigée par Frédéric Lemaître avec Isabelle Dalle, me demande d’interroger le chanteur de Wallenberg sur le parcours de vie et ce qui fait l’intention. J’envoie une série de questions à Costuas. S’ensuit le silence, alors que je sais Hervé dans le désir ferme d’aboutir ce projet d’entrevue. Les deadlines de Persona sont larges, le rythme de la parution donne ce confort lorsque le projet naît tôt au sommaire.
Je n’ai pas eu besoin de quérir explications. Hervé appelle un jour au débotté (il ne sait pas faire autrement) et déballe : les souvenirs remontent, il a un peu de mal à canaliser, ordonner. Ecrire, d'habitude, c'est obéir à une impulsion. Ses textes, c'est ça. Mais là, il faut revivister, revivre, reconstruire. Reparler de Stiv Bators reste une épreuve. "Mais je vais le faire, je veux le faire, je vais me faire aider." OK Hervé, no stress, laisse remonter va, il y a encore le temps. Il m'envoie plus tard les fruits et s'inquiète à plusieurs reprises de la réception, veut être sûr que j'ai tout. J'ai tout, Hervé. Plus tard, je ressens les profondeurs à la lecture, les crevasses : dans sa maladresse, le verbe cherche et gratte, veut restituer vérité. La maladresse est une arme, et je n’en remercie que plus profondément la personne qui a accompagné Hervé lors de l'accouchement. Dans certains mots, il y a le regard tourné et ce qui réside en la musique : "Je suis vivant" dit-il, "c’est un miracle, et j’aime la vie (...). Cette année, je fête mes quarante ans de musique. La musique est un exutoire en tout premier lieu. Des émotions, de la couleur, du beau, du beaucoup moins beau, de la souffrance, de la joie, de l’amour… et peut-être parfois de la haine, mais à petite dose."

Depuis ce lundi 22 juin 2020, à la mi-journée, il reste l’épopée, les line-ups successifs de Wallenberg, la musique. Les disques sont là pour tous ceux qui veulent, demain ou après-demain, revivre un moment en sa compagnie. Biens inégaux, biens précieux. Et puis il reste ceux qui savent. Les gens qui parleront toujours le mieux d’Hervé ne peuvent être que ses amis, les vrais : les gens qui l’aiment et ont eu cette chance, certainement parfois ce courage, de l’épauler et lui tenir la main.

Symphonie, derniers mouvements. Il y a trois semaines à peu près, j'appelle Hervé à une adresse qu'il vient de me donner par le biais d’une messagerie privée. Nous échangeons un long moment et ce n'est pas comme d'habitude, je le sais en raccrochant. Il est sans filtre, vous savez bien. Mais Hervé prend le temps. Il me dit des choses gentilles, et rend surtout un hommage qu'elles n'entendent pas à ces personnes présentes aux pires moments, celles qui lui ont "sauvé la vie". Nous sommes à quelques jours du retour programmé à Paris depuis Marseille. Rien n'est insurmontable tant que tu y crois - et il veut tenir, il veut remonter. Il a de bonnes raisons. C'est à Paris que se cachent les derniers trésors.

Hasta la vista baby. Hasta la vista.

E. Hennequin

Wallenberg - Diskögraphie (repères albums)
  • 'Sea Of Sins / Always The Same '84-88' (2CD) (Manic Depression, 2004)
  • 'Sea Of Sins' (Manic Depression, 2004)
  • 'Love Is Slavery' (Manic Depression, 2013)
  • 'And There We Are' (D-Monic, 2019)