C'est via le canal The Red Hand Files, par lequel Nick Cave délivre toute information utile, que le chanteur et compositeur annonce qu'il a démarré l'écrture d'un nouvel album studio pour ses Bad Seeds. Le temps a filé : cela fait quatre ans que le groupe n'a rien sorti (le double-album Ghosteen est paru en 2019, quatre ans après la disparition de son fils Arthur) même si Nick, lui, n'a pas manqué de donner signes de vie à un rythme soutenu. Mais cette fois, c'est bien dans le cadre de la création du groupe qu'il se remet au turbin, mettant temporairement au second plan ses activités solo ou en collaboration avec Warren Ellis (le fameux Carnage de 2021). Ainsi en a-t-il fait part, avec force détails, cette fin de semaine en réponse à un fan basé en Irlande, prénommé Fred.
"C'est à la fois une bonne et une mauvaise nouvelle. Bonne nouvelle car qui ne veut pas d'un nouvel album de Bad Seeds ? Mauvaise nouvelle parce que je dois écrire ce putain de truc." Courage, Nick, nous sommes tous avec toi. "J'ai commencé le processus à 9 heures du matin le 1er janvier. Nous sommes maintenant le 6 janvier - près d'une semaine s'est écoulée et j'ai écrit quelques petites choses mais elles ne sont pas très bonnes, ou peut-être qu'elles le sont, c'est difficile à dire. Une sorte de marasme s'est installé, pérenne et prévisible. C'est la même chose avec chaque disque, je ressens ce sentiment familier de manque, comme si j'étais une grosse chose stupide et vierge dans un costume. Je suis grincheux comme de la merde et Susie a décampé pendant une semaine. Tout ce qui ressemble à une impulsion créatrice est enfoui dans un trou de grenouille moussu, endormi j'espère, pas mort. Je dois l'appeler, la sortir de son sommeil. Cela devient une entreprise désagréable, punitive et maladroite. Je commence à avoir une voix chantante, exaspérante dans ma tête, qui rime réellement, comme une folie. Comme la tristesse. Les premières lignes que j'ai écrites le 1er janvier étaient :
Ushering in the year he knelt down / And crushed his brother’s head with a bone
Cela ressemblait à une bonne façon de commencer un disque, mais cela semblait aussi une sorte de terminus et n'allait vraiment nulle part. Puis quelques jours plus tard, j'y ai ajouté -
Ushering in the new year he knelt down
And crushed his brother’s head with a bone
It’s my great privilege to walk you home
In the rain. Hop inside my coat.
C'était un peu mieux, comme quelque chose je suppose, mais pas des masses. Puis le lendemain, parce que j'avais un thème sur la pluie, j'ai écrit -
The frogs in the gutter are jumping for God
Amazed of love, amazed of pain
Amazed to land back in the gutter again
Et c'était comme si ça résumait les choses. Écrire des paroles, c'est le gouffre. C'est comme sauter pour des grenouilles, Fred. C'est la merde. C'est les tourbières. Ça fait mal, en fait. Cela arrive par à-coups, mais parcimonieusement et de manière espacée. Il y a quelque chose d'obscène dans toute cette affaire. Comme des crimes qui riment. J'espère que cela ne durera pas longtemps. J'ai peur en fait. Mais c'est toujours le cas. Ca peut durer. D'écrire une chanson. Vous souhaitez Dieu qu'il reste quelque chose. Vous vous sentez dépourvu. Je vais arrêter cette lettre. Cela n'améliore pas les choses. C'est comme fouetter un cheval mort. Pire. C'est un corbillard. Un corbillard de vers morts. Morts, Fred. Morts."
La transparence (poétique) du propos, une marque de fabrique. De quoi créer une attente, encore et toujours, quarante ans après les débuts du groupe formé à Melbourne.
