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Ténèbres, puits sans fond. Obsküre plonge, fouine, investigue, gratte et remonte tout ce qu’il peut à la surface

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Interview
24/02/2024

And Also The Trees

"D’où nous venons et notre parcours dans la vie en tant que groupe sont plus inhabituels et intéressants que je ne le pensais" (Simon H. Jones)

Genre : afterpunk / jazz feel / improvisation / ambient
Album : 'Mother-of-pearl Moon' (AATT/Cargo, 23/02/2024)
Posté par : Mäx Lachaud

Annoncé déjà par les magnifiques morceaux "This Path through the Meadow" et "Valdrada", le nouvel album d'And Also The Trees est paru ce 23 février... et c'est une merveille. Onirique à souhait, cet opus se nourrit beaucoup d'improvisations à la guitare et de l'expérience Brothers Of The Trees, par laquelle les frères Jones ont choisi de se produire sous une forme plus minimale et ambient. Ces concerts dans des lieux atypiques ont servi de bases à ce Mother-of-pearl Moon, qui reste malgré tout du pur AATT… et peut-être même l’un de leurs meilleurs albums à ce jour, nourri par une instrumentation riche et une production soignée. Nous avions eu la chance de voir Brothers Of The Trees il y a un an au Château H de St Julia, et notre collaborateur Sylvain avait été définitivement conquis

Dès début avril 2024, le groupe a déjà prévu cinq dates françaises. Ne les ratez pas, que ce soit à Strasbourg, Amiens, Limoges, Brest ou Paris. En attendant, Simon How Jones (chant) s'est entretenu avec nous sur la genèse du cru 2024.

Obsküre : Apparemment, l’expérience Brothers Of The Trees a été fondamentale dans l’écriture de ce nouvel album. Peux-tu revenir sur ce projet live que vous avez initié avec Justin, la façon dont cela a été fait et les nouvelles portes qui se sont ouvertes ?
Simon How Jones : En 2013, Justin et moi-même avons été invités par une personne nommée Fred à créer une performance spéciale dans son club underground et secret à Vevey, en Suisse. Nous avons alors retravaillé des chansons d’And Also The Trees avec des arrangements pour guitare électrique et voix, et nous y avons ajouté des sections de guitare improvisée... parfois avec beaucoup d’effets… parfois juste comme un drone. Nous nous sommes appelés Brothers Of The Trees et cela a très bien fonctionné. D'autres demandes ont suivi et, pour apporter une autre dimension, nous avons demandé à Colin Ozanne, notre multi-instrumentiste, de nous rejoindre avec ses clarinettes et une seconde guitare. L'idée était d'être toujours ouverts au fait être rejoints par d'autres musiciens - et à d'autres occasions, Grant et Paul se sont joints à nous pour des parties du set.
Nous avons enregistré ces chansons réécrites d'AATT il y a quelques années et nous avons pensé les sortir mais, au final, Justin a pensé que ce serait plus progressif d'écrire à la place des nouvelles pièces pour Brothers Of The Trees. Je n'étais pas totalement d'accord, mais nous n'avons pas à être d'accord tout le temps… donc j'ai attendu de voir ce qui allait se passer. Puis, pendant les confinements d’il y a quelques années, Justin s’est discipliné pendant un mois ou deux : il se levait chaque jour avant l’aube et enregistrait un morceau de guitare improvisé. Il s’est inspiré de ces moments sur scène avec Brothers Of The Trees, où il improvisait entre les chansons ; mais ces matins-là, il est allé plus loin et a suivi les possibles jusqu’au bout. Après cela, il m'a envoyé ce qu'il considérait comme les meilleures idées et j'ai réagi par du chant et des paroles… Certaines me sont venues dans un courant de conscience, pour d'autres j'avais besoin d'être plus méthodique. Ensuite, Justin a transmis les idées à Colin, qui a fait un superbe travail au piano et à la clarinette, mais aussi avec des synthés bizarres. Enfin, Paul a ajouté quelques percussions au son orchestral. Cela s’est mis en place assez rapidement.

Tu peux nous parler de ces lieux insolites où vous avez joué en Europe, vu que les lieux font aussi partie de l'expérience Brothers Of The Trees ?
Lorsque vous retirez une batterie complète de l’équation, cela ouvre la possibilité à de nombreuses autres salles de concert. Souvent intéressantes. Nous avons aimé l’idée de faire des représentations de Brothers Of The Trees qui soient une expérience inhabituelle autant que faire se peut – pour nous-mêmes et pour le public ! Jusqu’à présent, nous y sommes très bien parvenus. Les lieux ont été divers aussi… Après le club secret dans le parking souterrain de Vevey devant une cinquantaine de personnes rassemblées autour d'un vieux canapé en cuir, nous avons joué devant une salle pleine d'apparemment 666 personnes dans un beau théâtre art déco de Leipzig, puis le merveilleux Café De La Danse à Paris… suivi un an plus tard d'une représentation dans les sous-sols d'une ancienne librairie à Genève, d'une chapelle jésuite à Sion, d'une ancienne maison de jeu / bordel à Hambourg, d'une splendide salle baroque à Dijon, d'un ancien cabaret voisin du lieu de naissance de Jaques Brel à Bruxelles ; et plus récemment, et de façon très mémorable, dans une pièce d'un château avec feu de bois, dans un village non loin de Toulouse. Ce n’étaient que des offres qui nous sont parvenues et heureusement, nous ne sommes pas un groupe à succès avec des milliers de fans transis ; donc nous pouvons jouer où nous voulons sans poser trop de problèmes à qui que ce soit.

La musique est plus cinématographique que jamais. Peux-tu nous en dire plus sur vos goûts en termes de cinéma? Et quelles seraient les images récurrentes que cet album a évoquées ?
Bien sûr, la musique et l'ambiance cinématographique viennent de Justin - il aimait les compositeurs avec lesquels Hitchcock, Fellini et David Lean ont travaillé, entre autres. Justin est une personne très visuelle, comme moi, et bien que nous aimions les chansons traditionnelles couplet-refrain, nous sommes également très attirés par le fait de sortir de ce format et de créer de la musique et des mots qui suggèrent des paysages et des scènes. Si je devais dire quelles images récurrentes me viennent à l’esprit en réagissant aux idées initiales de Justin, je suppose qu’elles tourneraient autour de la relation entre les humains et la nature… physiquement et mentalement. Géologiquement et biologiquement.

À propos de la vidéo de "This Path through the Meadow", elle commence par l'œil d'un animal sauvage. Il pourrait s'agir d'un cheval ou de l'auroch des Bêtes du Sud sauvage. Et il y a un écran de feuilles et de couleurs sur vous, comme si cet animal était un spectateur ou un témoin. La nature a toujours été un thème majeur mais si cet album devait être comparé à un paysage, lequel serait-il ?
Je pense que le paysage serait celui d'un rêveur… inexplicable – illogique, imprévisible et d'une beauté troublante.

Même si c'est basé sur la guitare, les arrangements sont très élégants, luxuriants parfois, avec du piano, du synthé analogique (du mellotron ?), de la clarinette, l'orgue, l'autoharpe et des instruments inhabituels dans un groupe de "rock". En revanche, les percussions et la basse sont moins présentes que d'habitude. Est-ce que cela faisait aussi partie de l'expérience Brothers Of The Trees, de créer une musique calme mais riche en textures ? 
Oui, comme je l'ai dit - à l'origine, ce devait être un album de Brothers Of The Trees - même juste Justin et moi seuls à un moment donné ; mais Colin Ozanne est un très bon musicien et même si nous avons des horizons musicaux différents, il "comprend" totalement And Also The Trees et nous aimons ce qu'il a apporté à ce projet. Une des choses que j'ai tant aimée dans le son de Brothers Of The Trees était l'isolement de la guitare, dont on pouvait tout entendre : sa profondeur, sa résonance et même sa dégradation jusqu'au silence et à l'espace qui l'entoure. Il en va de même avec le chant, dans une certaine mesure, et surtout avec les clarinettes et le piano. Tout cela est bien loin du punk-rock et de nous, adolescents, en train de battre sur nos instruments en 1979…. mais j'aime quand même un peu ces choses-là aussi, bien sûr.

Je parle de nature mais il y a aussi "Valdrada", cette ville mirage sur une île. Peux-tu nous en dire plus sur l'inspiration de cette chanson, où les visions semblent assez précises ?
J'ai découvert Valdrada dans un roman de l'écrivain italien Italo Calvino, où il décrit une série de conversations entre Kublai Kahn et Marco Polo. Valdrada est l'une des nombreuses villes imaginaires qu'il décrit et j'y ai ajouté certains de mes propres détails. C’est une ville invisible et elle pourrait continuer à grandir, qui sait.

L'ambiance générale est assez rêveuse. Expérimentes-tu parfois avec les visions de l'inconscient, ou ton inspiration est plus concrète ?
Ce sont surtout des réactions spontanées à la musique lorsque je l’entends pour la première fois.

Votre musique a toujours été basée sur une tension, du calme aux explosions fiévreuses. Mais il semblerait que le registre de la guitare n’ait jamais été aussi vaste. "No Mountains, no Horizon" débute avec un son très déformé, ressemblant presque à une voix d'animal hurlante, pour finir en une acoustique dépouillée. Cet album était-il aussi une façon d'expérimenter sur les structures des chansons ? Car on est très loin du format de chanson traditionnel…
Nous ne voulions pas tergiverser, nous avons laissé les idées venir naturellement et suivre leur propre cours. Personnellement, je voulais que la moitié de l’album soit instrumentale pour que Justin et les autres puissent se libérer de moi… mais ça n’a pas marché comme ça.

Je peux prendre comme autre exemple "Vision of a Stray" qui est divisé en deux parties, tu chantes dans la première partie et la deuxième partie est presque dansante à base de batterie, de piano entraînant et de guitares bourdonnantes. Peux-tu nous en dire plus sur la façon dont la forme finale des chansons est apparue ?
Eh bien, je suppose que c’est une version réduite de la moitié de l’album étant instrumentale… pour n’être que la moitié de la chanson. C’était assez simple, quand j’ai arrêté de chanter, j’avais juste l’impression d’avoir dit tout ce que j’avais à dire et les chansons continuent de grandir.

Depuis votre deuxième album, il y a eu des instrumentaux sur presque tous les albums d'AATT et ils ont toujours été très cinématographiques ("The dwelling Place", "From the Silver Frost", "The Nobody Inn"...). Quelle est la place que vous accordez à ces chansons dans le cadre d'un album (dans ce cas, je fais référence à "Ypsilon" ou "No Mountains, no Horizons") ?
J'ai toujours pensé que c'était bien de faire une pause avec les mots et ma voix dans nos albums - en fait, beaucoup de musiques d'AATT sont très bonnes sans la voix. Je n’aime vraiment pas avoir du chant et des paroles juste pour le plaisir, ils doivent apporter quelque chose et s’ils ne le font pas, je dois vraiment me taire. Heureusement, il semble que ma voix apporte suffisamment pour justifier sa présence en général, mais je serais toujours ouvert à plus de morceaux instrumentaux. Cela me manquerait de ne pas y être impliqué, mais ce n’est pas le sujet.

Tu as rassemblé tous ces souvenirs et textes sur les débuts du groupe publiés sur les réseaux sociaux et en effet vous avez été les témoins d'un moment très important de l'histoire de la scène musicale anglaise, qui est l'ère post-punk. Qu'en est-il de ces souvenirs écrits. Vas-tu faire quelque chose de spécial avec tout ce matériau ?
Beaucoup de gens ont suggéré qu'ils devraient être rassemblés et publiés sous forme de livre et j'aime cette idée. C’est un exercice agréable pour moi, une nouvelle façon d’écrire et je me rends compte que d’où nous venons et notre parcours dans la vie en tant que groupe est plus inhabituel et intéressant que je ne le pensais. Lorsque j’ai écrit le premier article, c’était juste quelque chose d'aléatoire à faire lors de notre année anniversaire en 2020, qui a été quelque peu freinée par la situation mondiale. Je ne savais pas où j’allais avec ça et maintenant, plus de trois ans plus tard, j’en suis à la partie 29 et je ne suis toujours pas sorti de 1984.

Juste quelques mots sur les fans. Ils ont beau vieillir, ils continuent à vous suivre en tournée et ils sont extrêmement fidèles. Ils ont bien raison, mais… as-tu une histoire particulière à raconter avec un fan ? 
Eh bien oui, entre nous, je suppose que nous avons quelques bonnes histoires ; mais pour moi personnellement, la plus importante date de 1992. Nous étions en tournée et venions d'arriver à Berne pour un concert dans un club près de la gare quand j'ai vu trois jeunes femmes marchant dans la rue. Elles étaient toutes très belles et j’ai pensé, et peut-être même dit, que j’espérais qu’elles viendraient au concert… en quelque sorte en plaisantant à moitié, car elles ne ressemblaient pas tellement à des spectateurs habituels. Mais elles venaient au concert et avaient traversé les Alpes du Tessin pour nous voir. Sept ans plus tard, j’ai épousé l’une d’entre elles, nous avons eu deux enfants qui sont désormais grands et nous sommes toujours heureux ensemble. Une autre histoire de "fan" plus extrême aurait été celle du Français qui a décidé de voir une centaine de concerts consécutifs d’AATT qui, peut-être malheureusement pour lui, coïncidaient avec notre tournée aux États-Unis. Il était présent sur place, généralement avant nous, à chaque concert pendant cent concerts d'affilée et n'en a manqué aucun… Mais je pense qu'épouser la Tessinoise reste la toute meilleure des histoires que je puisse raconter.