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Littérature
16/06/2022

Anthony Boile

Jean-Jacques Burnel, Strangler In The Light

Editeur : Le Mot Et Le Reste
Genre : conversations
Date de sortie : 2022/06/17
Note : 80%
Posté par : Mäx Lachaud

Bassiste mythique des Stranglers, Jean-Jacques Burnel a aussi été compositeur, producteur, chanteur, mais aussi un féru d'Histoire, d'arts martiaux et de moto. À présent seul membre originel du groupe, le Franco-Anglais aime l'humour et a des anecdotes en pagaille à partager. Ce livre se base sur vingt-quatre entretiens menés entre le 17 février 2021 et le 18 mars 2022 par Anthony Boile, déjà auteur du livre Black & White sur les Stranglers. A priori, on aurait pu se dire que quatre-cent pages de conversations brutes pourraient être rêches à la lecture, mais pas du tout. On tourne les pages avec passion, et le tout est assez structuré pour éviter toute répétition ou remplissage.

Un jour, Burnel avait dit que sa vie avait été dictée par les cinq M : musique, moto, arts martiaux, marijuana, masturbation. Anthony Boile a repris cette idée pour commencer chacun des douze chapitres par la lettre M et aborder des thèmes bien précis. "Motherland" parle de sa jeunesse et de ses problèmes d'identité qui l'ont amené à avoir un tempérament bagarreur et rebelle. Les deux chapitres "Music" sont consacrés à ses influences et aux albums des Stranglers. "Mayhem" revient sur de nombreux scandales, la relation avec les Finchley Boys et des anecdotes de concerts qui finissent en cellule. "Martial arts" nous en apprend beaucoup sur Burnel en tant que représentant britannique du karaté Shidokan et sa fascination pour le Japon. "Mythology & Mishima" revient sur l'auteur Mishima qui a inspiré les paroles de "Death and Night and Blood" et "Ice". En découlent des pages très intéressantes sur les textes des Stranglers et sur la symbolique animale (le rat, le corbeau, la panthère noire).

"Meninblack" continue à nous donner des pistes sur les enregistrements des albums, et tout le délire théorique et l'ufologie autour du groupe, pour nous amener forcément aux expérimentations avec la drogue ("Marijuana"). Coke, héro, weed, LSD, acides, les Stranglers ont tout essayé et on apprend au détour d'une réponse que Burnel était très ami avec l'acteur Robin Williams. Forcément, après le rock et la drogue, on en vient au sexe ("Masturbation"). De sa photo nu dans le NME en 1977 jusqu'à ses partouzes en Australie, le musicien rejette la réputation de misogynie et se dit volontiers non binaire. "Motorbike" nous relate sa passion pour les motos et son expérience chez les Hells Angels. Il deviendra d'ailleurs ambassadeur de la marque Triumph. Le travail de producteur (pour Taxi Girl, Polyphonic Size, Mona Mur, Lizard...) et la carrière solo (avec le fameux album Euroman Cometh) sont ensuite mis à l'honneur dans "Mainland & Manifesto". Pour finir, Burnel règle ses comptes dans "Membership", notamment sur ses relations compliquées avec Hugh Cornwell. Il parle des Stranglers comme d'une "mission" et en profite pour rendre hommage à la mémoire des disparus.

On ressort de cette lecture avec l'impression d'avoir passé des heures avec Burnel, en enchaînant les verres. Anthony Boile a réussi à créer une intimité avec le musicien qui se ressent dans l'oralité de ces pages. Il y a de la mise à nu et de la psychanalyse ici (la mère protectrice avec son fils unique, la figure athlétique du père...). On traverse aussi plusieurs décennies dans l'Angleterre contemporaine (Burnel est né en 1952 au début du règne d'Elisabeth II). On comprend aussi pourquoi les Stranglers n'ont jamais vraiment été un groupe "punk" comme les autres : une trop grande passion pour The Doors, Captain Beefheart, Devo, le krautrock, voire les musiques électroniques (Isao Tomita, Kraftwerk) ou classiques (Satie, Debussy, Ravel). Malgré sa drôlerie, Burnel nous fait aussi part de la grande violence qui régnait à leurs débuts : juste sur l'année 1976, ils se sont produits deux cents fois en concert alors que leur premier album n'était pas encore paru, et les shows finissaient quasiment tout le temps en baston.

Mais peut-être que ce qui est le plus fascinant, c'est la diversité des sujets abordés : de Platon aux tentatives de suicide, du système scolaire répressif aux petits jobs (Burnel a même travaillé dans une crêperie), de l'amitié avec les Damned jusqu'au travail de composition pour une série d'animation. On a l'impression d'avoir vraiment fait le tour à la fin, et on ressort avec l'image de Burnel comme d'un gars généreux dans ses mots mais qu'il ne faut surtout pas enquiquiner tant il a le coup de poing facile. Il dit lui-même qu'il n'a jamais connu l'ennui et sa vie a été clairement bien remplie. Une lecture sans langue de bois pour tous les amateurs des Stranglers.