Digital Media / Dark Music Kultüre & more

Chroniques

Musiques, films, livres, BD, culture… Obsküre vous emmène dans leurs entrailles

Image de présentation
Album
02/11/2022

Ashburn County

Lullabies And Nightmares

Label : La République Des Granges / Nuit Et Brouillard
Genre : ambient / industriel / cinématographique
Date de sortie : 2022/09/22
Note : 70%
Posté par : Sylvaïn Nicolino

Dix ans que le projet Ashburn County s'est monté sous l'impulsion de Leroy Delbert Quebedeaux, avec la sortie d'une première démo en 2013, Scenes Of Daily Life In The Rural South. Depuis ont suivi Our Dead Selves Rise (2014) et Ashburn County's Freakshow (2016). 

Alors que les enregistrements précédents fonctionnaient sur le principe des miniatures, on a ici clairement une inflexion vers une ambiance globale. Celle-ci se distingue cependant par des mouvements variés à l'intérieur des pièces (bien moins nombreuses) et il faut un temps d'adaptation plus long pour entrer dans cette nouvelle exhibition. C'est pour ma part avec les voix de "Deep Breath" (signées Grady Roper) que je bascule dans ce temps et ce lieu troubles. Une voix qui susurre et hypnotise, une autre qui lance ses mélopées enfantines et folles sur un fond de nappes synthétiques alors que les rythmiques avachies saccadent et découpent le temps en lanières imprécises. Ce décalage avec le réel me plaît ; il me rappelle l'excursion champêtre et déjantée vécue par l'anti-héros du film de Kusturica, Arizona Dream, notamment avec ce passage à l'accordéon ("A Letter from Appalachia", instrument joué par Odette Mayeaux) puisqu'on ne sait plus ni où ni quand on se tient.

Le malaise s'installe alors plus fortement, rattachant Ashburn County à une école industrielle ou pagan-folk apocalyptique (comme on pouvait le lire il y a plusieurs années). Les arrangements sont subtils, cinématographiques, avec des touches de field-recordings et des samples inquiétants ("He came from the Sea"). Le travail sur les sons est important : outre la latéralisation, on a une recherche du son parfait et de son positionnement par un mixage précis de Sadie Bee Palace ("Conceptual Mushrooms") qui impose une écoute au casque, pour une immersion plus forte et l'écoute attentive des détails, comme pour un tableau : d'ailleurs, les paroles, en français cette fois, mentionnent bien la peinture.

Plus spectral se fait "As I grow old I forget your Name", étonnant ici par ses nappes néo-classiques, tel un requiem à la Dead Can Dance, même si les percussions traitées sur un mode martial permettent de bien intégrer ce trip gothique. "Night Ride" convoque aussi bien le fantôme de Nico (lenteur et chant en allemand d'Helena Patricio) que les promenades nocturnes d'Hausfrau ou bien Glaring (pour les plus modernes). Là encore, la frappe mécanique, sèche et avec échos (une boîte à rythmes), relie le titre aux autres. On réécoute donc avec intérêt "Loggorhea", electronique et mutant vers des voix éthérée, une entrée en scène ou un lever de rideaux déconcertant. La tronçonneuse de Charlotte joue du piano et d'un violon rêche, attendant la mise en service de l'engin ; celui-ci vibre sur des chants mélancoliques, comme si Nils et Joakim, finalement, ne savaient plus comment s'en servir. Le chant de ces personnages se mue en plaintes alors que la bande s'inverse et se retourne.

C'est donc à l'intérieur des compositions qu'il convient de rechercher le patchwork primordial, Ashburn County imbriquant plus soigneusement ses aspirations polymorphes, décrivant ainsi un peu mieux la complexité de son monde baroque et sombre.

Tracklist
  • 01. Logorrhea
  • 02. (Nils and Joakim are playing with) Charlottes' Chainsaw
  • 03. Deep Breath
  • 04. He came from the Sea
  • 05. A Letter from Appalachia
  • 06. As I grow old I forget your Name
  • 07. Conceptual Mushrooms
  • 08. Night Ride
  • 09. Nobody plays anymore