Aveline vit à Bruxelles, mais ne nous offense pas avec une variété consensuelle. Alors que sa formation musicale évoque un parcours classique, sans grande précision, les titres de cet album lorgnent du côté de la coldwave. Le chant se fait heavenly (Bel Canto, Cocteau Twins, Jack Or Jive...) sur "Alba", mais ce n'est pourtant pas lui qui fait mouche au premier abord ; il aurait même plutôt tendance à être éclipsé au profit de l'impression forte qu'assènent les sonorités engagées.
Bien sûr, Aveline n'a pas connu les années 1980, mais ses partitions sont composées de couches qui plairont aux vieux fans et nouvelles recrues de la coldwave. Matinée de rappels aux plaintes du krautrock (les synthés et nappes auxquelles on ajoute les notes rythmiques), le titre "Amours noires" aurait pu sortir entre 1981 et 1984. Cette langueur dans la composition qui s'étire, se répète et virevolte le temps d'une valse ralentie et mécanique offre une mélancolie facile et immédiatement efficace. A contrario, "Darling", avec ses légers rires, vise une épure de joie, cet instant fugace où le désir et la reconnaissance viennent à notre rencontre, un temps suspendu par l'aspect roboratif de la ritournelle. L'absence de paroles nuit parfois (deux titres me laissent sur ma faim) alors qu'on aimerait en savoir plus : "Sassy", tube en puissance, semble malheureusement vide d'enjeux ; "El Gitano" déploie une inventivité intéressante sur le métissage musical, mais sonne encore comme la démo d'une cassette oubliée ; c'est que les travaux orientalistes de plusieurs projets sont allés plus loin et il y a comme un train de retard un peu gênant sur ce titre.
Mais deux chagrins ne font pas une rupture.
La doublure à la quinte des notes de basse (un procédé très EBM) vivifie les fonds, tout en échappant aux démons de la danse, tant le verglas de la mélodie lead suffoque et étouffe l'enthousiasme : "Laudanum" est un rêve, mais pas un trip, c'est cotonneux, nuageux, tristounet (comme le disait ma grand-mère), proche d'un Jacno. Le minimalisme est cependant plus dense qu'il n'y paraît : comme pour la voix, la production a lissé les détails pour qui écoute trop vite, laissant l'ambiance régner en maîtresse de cérémonie. Mais à y revenir, on perçoit le travail important accordé par Aveline sur ses compositions : cinq pistes minimum sont nécessaires pour construire cet à-plat qui n'a rien d'une platitude. De là l'équilibre entre l'autrefois – un passé que se plaît à vivre par procuration Aveline – et le maintenant (justesse des tons, cousinage avec la scène actuelle, forte de dizaines de noms).
Le travail sur le rendu est important, de manière à ce que chaque titre se distingue des autres ; ainsi "Paradise Lost" revient sur la cécité de John Milton, avec des notes lead qui oscillent, une voix parlée en retrait avec effets. Le résultat est vicié, sournois. "Electro Sad" s'amuse avec une construction imbriquée en trois moments, tirant par la main l'auditeur pour une farandole entre extase et fond du gouffre. La superposition des trois mélodies au passage de deux puis trois minutes est un grand moment de perfection stylistique.
Pour offrir un album plus dense, quatre remixes complètent les huit titres. Ils sont bons ("Amours noires" en version acide et "Laudanum" sous vocoder ont ma préférence), même si je conseillerais de les réserver à des écoutes ultérieures, pour en faire comme un EP de bonus. Avec ses huit titres originaux dont six sont très efficaces, Aveline signe un premier album à garder sous la main.