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Ténèbres, puits sans fond. Obsküre plonge, fouine, investigue, gratte et remonte tout ce qu’il peut à la surface

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Interview
11/06/2020

Babel 17

"Se lâcher à tout prix" (Pt. I)

Genre : post-punk / coldwave
Contexte : 'Celeano Fragments' - XXXe anniversaire de la solrtie du premier album studio
Posté par : Sylvaïn Nicolino

En juin 1990 sortait Celeano Fragments, premier album de Babel 17. Le rock gothique français avait eu ses Neva, Jad Wio, et Kni Crik en bande à part. Rosa Crvx tisse sa grande œuvre, Les Tétines Noires apparaissent ; bientôt Corpus Delicti tiendra haut le flambeau. Au milieu de cette traversée du désert en ordre dispersé émerge la touching pop, courant géré par les groupes autant que par leur entourage et dont les journalistes accréditent la mouvance. Mary Goes Round seront mes chouchous. Dans l'ombre, connus des fouineurs, surgissent Babel 17. Une référence incontournable pour qui aura approché leur univers à cette époque, au point que plus de vingt ans après, j'utiliserai leur nom en référence au travail des batcave de Deadchovski. Aujourd'hui, Babel 17 poursuit son activité, dans une ombre peu méritée. L'anniversaire qui se joue ce mois-ci est l'occasion de revenir sur ces années de formation et de s'interroger sur ce qui fait encore sens.
Ceci est la première des deux parties de cet entretien fleuve.

Obsküre : Bonjour, Jean Franceschi. Nous allons fêter ensemble ces trente ans de Babel 17 en offrant à nos lecteurs une partie de tes souvenirs. Si je ne me trompe pas, ce ne sont pas les trente ans du groupe, mais les trente ans de votre première sortie vinyle, celle de Celeano Fragments... Vous baigniez dans la SF étant adolescents, c'est bien ça ? Ian Curtis et les jeunes gens de son époque lisaient aussi de la SF...
Jean Franceschi : Ce sont bien les trente ans de la parution de notre premier album, Celeano Fragments, qui est sorti en juin 1990 en format vinyle, K7 et CD, avec une pochette spécifique par format : la pochette du CD n'est pas la même que celle du vinyle, qui n'est pas la même que celle de la k7. Pour la réédition CD d'Infrastition parue en 2007, nous avions repris la pochette du vinyle original, réadaptée au format CD, car c'était la mieux réussie, de notre point de vue.
Certains membres du groupe, dont moi, lisions à l'époque beaucoup de science-fiction. J'imagine bien que tu me poses cette question car tout le monde sait que Babel 17 est avant tout le titre d'un livre écrit en 1966 par l'écrivain américain Samuel R. Delany ! La science-fiction était en effet un genre encore très en vogue en ce temps-là, les jeunes en lisaient beaucoup… Je pense que moins de gens lisent de la SF maintenant, mais que ce genre a largement dépassé le cadre littéraire qui l'a fait connaître pour envahir le monde du cinéma, des dessins animés et des jeux vidéo. Et puis, vu sous un autre angle, nous vivons maintenant dans un monde où beaucoup de concepts technologiques dont on entendait parler avant uniquement dans la science-fiction existent réellement de nos jours !
Les années 2000 sont des années "science-fictionesques"…

Avant Babel 17, il y avait eu d'autres groupes, durant plusieurs années, qu'on dira "de formation". C'était douloureux de changer de nom et de repartir à zéro ou presque ?
Nous avons changé de nom vers fin 1988, début 1989. Avant, on s'est appelé Overlords, Malice in Wonderland, puis Acid Rain… Nous étions déjà tous les trois ensemble depuis 1987, accompagnés par deux batteurs successifs, jusqu'au jour où notre second batteur nous a quittés. Nous avons alors décidé de jouer avec une boîte à rythmes. C'était l'époque d'Acid Rain, nous commencions à enregistrer nos premières démos, dont "Empty Life", qu'on peut trouver sur Youtube…
À un moment donné, nous avons décidé de faire table rase du passé et de jeter à la poubelle la plupart de nos vieux morceaux qui sonnaient souvent assez pop / new wave, pour en faire des nouveaux avec une base plus électronique et plus cold-wave, disons…

Avec deux Vincent dans le groupe, tu faisais comment pour mentionner l'un ou l'autre ? Vous aviez des diminutifs distincts pour eux ?
Nous avions chacun notre surnom, celui de Vincent Perret était "Zaza" (photo ci-dessous), Vincent Porte était "Le Peaucre", et tout le monde m'appelait (et m'appelle toujours !) "JeanJean"… Au fait : le nouveau bassiste de B17 depuis 2010 s'appelle aussi Vincent, et ses initiales sont V.P ! (sourire)

Avec la sortie chez Lively Art et l'année, on vous a liés aux groupes de la touching-pop que furent Mary Goes Round, Asylum Party et Little Nemo. Personnellement, ça ne m'allait pas du tout car lorsque je vous écoutais, je sentais du Virgin Prunes. Sur le catalogue du label, Data Bank-A et Numb étaient plus proches... En France, Norma Loy avaient aussi une personnalité forte.
Et pourtant les groupes touching pop étaient tous nos potes ! Nous nous voyions régulièrement et on festoyait ensemble. On a beaucoup tourné avec Little Nemo… Musicalement, on était plus ultimes qu'eux - eh oui, les Virgin Prunes étaient une de nos nombreuses influences - ou du moins nous essayions de l'être, sans pression commerciale du label… On voulait faire ce qu'on avait envie de faire, avant tout ! Se lâcher à tout prix, même si ça comprenait une certaine forme d'autodestruction sous-jacente, qui avec le temps nous a fait exploser.

Que veux-tu dire ? La tension autour et dans le groupe était trop forte ? Le sex, drugs and rock'n'roll, vous l'aviez fait vôtre ?
Il y a eu des tensions dans le groupe, des histoires d'ego, comme dans tous les groupes d'ailleurs… Et puis, le temps passant, on n'avait plus exactement envie de faire la même chose musicalement parlant : il y avait des divergences.
Concernant la drogue, on ne faisait que fumer des joints et boire de l'alcool, voire parfois prendre des acides ou de l'ecstasy, mais on n'était pas des toxicomanes… Sinon, on n'était pas du genre à s'entourer de groupies ! On avait plutôt tendance à faire fuir les gens… Et peu de gens trouvaient grâce à nos yeux !

Où traîniez-vous vos guêtres ? Magasins, bars, vie nocturne ? Le sous-sol de la Banque de l'Image à Beaubourg faisait partie des incontournables, non ? C'était une période à la fois sympathique et difficile ces années post-Disintegration (je mets The Cure en jalon temporel) : il y avait un public très nombreux, pléthore de groupes, mais ça sentait le cercueil médiatiquement, une fin de règne autour de la cold ; le revival qui suivra avec Manson produira une nouvelle affluence mais sans recouper exactement les mêmes univers. J'ai l'impression que vous, Babel 17, comme Corpus Delicti d'ailleurs, êtes arrivés presque au mauvais moment…
Nous traînions beaucoup au Gibus (cf. photo ci-dessous : JeanJean  dans les loges du Gibus), ou dans le quartier des Halles, où il y avait plein de clubs sympas ouverts la nuit à cette époque (Le Sens du Devoir, par exemple), on allait aussi souvent au Piano Vache durant les 80's, qui existe toujours, je crois, et qui n'a pas tellement changé depuis… On traînait aussi dans notre banlieue – car nous étions des banlieusards, pas des Parisiens…

Vous étiez de quel côté ? Des punks traînaient aussi dans le coin, non ?
Nous étions basés en Essonne (91), à Ballainvilliers et Chilly-Mazarin, et notre local de répétition se trouvait à Morsang-sur-Orge, on le louait aux punks HxC de l'organisation Radical Noise et du groupe Judge AK 47, qui répétaient au-dessus de nous… Ça faisait deux groupes avec des noms à tendance numérologique se terminant par un 7 au même endroit ! On traînait souvent avec eux, et on allait voir des concerts de hardcore ensemble…
La fin des 80's a marqué l'avènement de la cold, et comme tu dis, sa fin de règne : les groupes de cold les plus connus étaient devenus des "gros bœufs", comme Cure, New Order, ou Sisters Of Mercy… Leur but était de faire de l'argent, et on n'avait plus rien à attendre d'eux en terme de prise de risque… Je me souviens que quand Disintegration est sorti, tous les chroniqueurs d'albums s'étaient passé le mot pour dire que c'était le prolongement de Faith ! Ça me faisait halluciner… Je trouvais ça tellement calculé et inexact ! En surface, oui, peut-être, mais Disintegration est bien plus mièvre et sucré que Faith, qui par contre est vraiment glacial ! C'est l'époque où j'ai commencé à me désintéresser totalement de Cure… Le début des 90's était le mauvais moment par excellence pour les groupes comme nous, surtout à partir de 1992, car la techno a commencé à arriver et tout le monde a commencé à fréquenter les dancefloors et à se détourner des concerts…

FIN PREMIERE PARTIE