Digital Media / Dark Music Kultüre & more

Articles

Ténèbres, puits sans fond. Obsküre plonge, fouine, investigue, gratte et remonte tout ce qu’il peut à la surface

Image de présentation
Interview
25/11/2022

Black God Records

"Black God Records est né de ma passion pour les musiques sombres et alternatives"

Genre : cold wave, gothic, darkwave
Posté par : Emmanuël Hennequin

Pierre Couquet, actif au service de Cargo Records UK et ancien membre d’Anorexia Nervosa, a grandi dans l’univers des musiques sombres, au sens large du terme. Aujourd’hui, il prend l’initiative : Black God Records est son propre label, un espace qu’il s’est créé pour à son tour défendre ces musiques en lesquelles il croit. Le premier format EP quatre titres homonyme des Français Sang Froid, qui nous a chavirés, est sa toute première référence. Retour en compagnie de Pierre sur ce qui nourrit l’envie et ouvre le besoin de se mettre au service des faiseurs de musiques mélancoliques, hantées, puissantes.

Obsküre : Tu as toi-même été musicien metal dans les années 1990-2000. Qu’attendait un groupe comme Anorexia Nervosa de l’interlocuteur maison de disques, en l’occurrence  Season Of Mist, Osmose puis Listenable ? En quoi cette expérience des choses, de l’intérieur, a-t-elle nourri ta réflexion sur ce que doit être aujourd’hui Black God Records ? 
Pierre Couquet : Avec Anorexia Nervosa nos attentes étaient claires, nous cherchions un label capable de nous soutenir à 100% artistiquement et faire de nous un groupe international en gérant la partie plus technique, et souvent pénible, du music business. Nous cherchions une maison, une famille qui nous permette de nous épanouir en tant que musiciens, et qui comprenne notre démarche. C’est ce que nous avions trouvé avec Listenable Records, nous nous sentions soutenus et appréciés pour ce que nous étions et le respect était mutuel. La façon dont Laurent gère Listenable reste pour moi un modèle d’intégrité et d’efficacité (et sa collection de disques est a tomber par terre).
C’est comme ça que je conçois le fonctionnement de Black God Records, pour moi il sera toujours important d’avoir des liens forts avec les artistes. Même si je sais pertinemment que l’équilibre entre aspects financier et artistique n’est pas toujours facile à trouver.

Comment définirais-tu la philosophie de travail de Black God ? Que cherches-tu à défendre à travers le label ?
Black God Records est né de ma passion pour les musiques sombres et alternatives, en particulier le gothic rock. C’était très impulsif, j’ai adoré la musique de Sang Froid et l’idée du label est immédiatement partie de là. BGR va se concentrer sur ce style de musique, je pensais lancer un label orienté sur le death metal dans un premier temps, mais Sang Froid m’a fait replonger dans tous les groupes goth/cold wave qui m’avaient marqué dans ma jeunesse : The Sisters Of Mercy, The Nefilim, The Cure, Christian Death, Rosetta Stone, The Chameleons, Clan Of Xymox, Love Like Blood, London After Midnight, Ikon et bien d’autres. Produire des groupes qui leur rendent hommage me paraît maintenant comme une évidence.
Je ne sais pas si je suis encore capable de définir entièrement la philosophie du label, cela va évoluer au fil du temps et en fonction des artistes qui travailleront avec moi. Ce qui est certain, c’est que tout va découler de cet esprit familial dont je parlais plus haut. Je souhaite défendre les artistes auxquels je crois et créer une relation de confiance sur le long terme. Garder la liberté de signer un groupe parce que leur musique me touche profondément, ne pas juste penser en termes de ventes et de succès. Pour moi le côté humain reste primordial dans cette aventure.

Jusqu’à la fin des 90’s / au début des années 2000, période des grandes mutations du marché de la musique liées au numérique, le support physique restait le support maître et la causalité des tournées : il fallait aller sur scène pour défendre une chose existant physiquement. Aujourd’hui, la tendance s’est quasiment inversée, ce qui questionne le rôle du label et celui des acteurs de l’édition et de la distribution de la musique. Comment appréhendes-tu le rôle d’un label dans le contexte actuel du music business ? À quoi sert-il ?
Il y a eu beaucoup de changements dans la façon de consommer de la musique depuis l’arrivée du format numérique, c’est indéniable. Mais au final ces changements ne sont pas si profonds et je trouve que l’ère digitale offre une liberté aux artistes et aux labels qui était bien nécessaire dans une industrie assez conservatrice. Le format long n’est plus aussi obligatoire que dans le passé. Combien d’albums ont été gâchés parce que les maisons de disques voulaient faire du remplissage et atteindre au minimum quarante-cinq minutes de musique sur un album ? Un EP comme Sang Froid avec quatre titres ne comporte pas de temps mort et la satisfaction après écoute en est encore plus grande. 
Aujourd’hui les fans peuvent choisir sans être forcés à acquérir des morceaux qu’ils n’aiment pas. Quand j’étais gamin, j’achetais souvent des disques sans savoir sils étaient bons avec le peu d’argent de poche que j’avais. Souvent, la déception était au rendez-vous. Maintenant j’ai l’opportunité de pouvoir écouter avant d’acheter. Les artistes, eux, peuvent sortir plus de formats courts, et en un temps record ; c’est plus spontané. J’aime la souplesse que peut offrir le format digital, en revanche j’aime beaucoup moins la qualité du MP3.
Pour ce qui est des ventes physiques, même si elles sont loin d’être ce qu’elles étaient il y a vingt ans, elles se maintiennent et le streaming/téléchargement, au départ considéré comme un ennemi, peut au contraire aider les fans à acheter la musique qu’ils aiment sur format physique. Je pense par contre que tout s’est ramifié, spécialisé, codifié, et aussi démultiplié. L’offre est énorme, le marché est inondé et c’est là que les labels, la distribution et leurs réseaux d’expertise sont essentiels et seront là encore longtemps pour aider les artistes à trouver leur public et guider les fans vers les groupes. Les artistes ne peuvent pas être sur tous les fronts et nous sommes là pour les soulager dans leurs efforts.

Comment fouines-tu pour Black God Records ? Le bouche à oreille qui te remonte via tes réseaux ? Tu vas défricher via Bandcamp ?
Du fait de mes activités professionnelles avec Cargo Records UK et de mon passé au sein d'Anorexia Nervosa, je suis au contact de groupes et d’artistes que j’admire. Pour Sang Froid, je n’ai pas été chercher bien loin puisque Ben Notox, qui était technicien scène d’Anorexia Nervosa, membre de The Veil pour qui j’ai été roadie sur leur tournée européenne et surtout qui est un ami proche, m’a contacté en me parlant de son projet coldwave/goth avec des membres de Regarde Les Hommes Tomber. Après avoir écouté et réalisé l’immense potentiel du groupe, j’ai immédiatement signé. J’ai beaucoup d’idées et voudrais travailler avec presque tous les artistes que je côtoie. Mais bien évidement je fouine sur Bandcamp et Youtube régulièrement… et pas seulement pour trouver des groupes a signer.

Dans un contexte où l’épidémie de Covid a posé de nouvelles difficultés et a rallongé les délais pour la fabrication des supports physiques, entends-tu spécialiser Black God sur l’édition vinyle ou vois-tu le label proposer une plus large palette de supports ?
À l’avenir, Black God Records va diversifier les formats : digital, CD et peut-être même cassette. On ne peut plus compter uniquement sur le format vinyle ces derniers temps, il faut s’adapter. Les coûts de production ne cessent d’augmenter et cela va changer la donne à très court terme pour beaucoup de labels.
Pour ce qui est des retards de production, l’épidémie de Covid 19 n’est pas la seule responsable, loin de là. L’industrie n’a pas su anticiper/gérer le retour en force du vinyle et bien que cela semble absurde ce succès est totalement contre-productif.
Les artistes mainstream qui pressent leur albums en vinyles à des millions d’exemplaires ont aussi une grande part de responsabilité. Le Disquaire Day également, pourtant une excellente idée au départ, monopolise une grande partie de la production. Pour ma part, il a fallu attendre neuf mois pour recevoir les vinyles de Sang Froid… mais pour finir sur une note positive, cela m’a donné du temps pour me préparer et démarrer Black God Records dans des conditions idéales.

Qu’est-ce qui t’a fait retenir Sang Froid comme l’une des premières signatures du label ? Quel bilan tires-tu pour l’heure de cette première sortie officielle ?
Dès la première écoute j’ai été surpris par la facilité avec laquelle Sang Froid arrive à avoir un son si authentique. Aucun doute, ces musiciens sont passionnés et ont fourni un travail exceptionnel pour sonner comme leurs idoles tout en apportant une touche personnelle à leur musique. Post black metal / goth rock / cold wave / new wave / minimal/electronic : leur façon de s’adapter à une multitude de styles différents est un gage de talent. Ils m’ont rappelé ce que j’appréciais dans toutes ces musiques. Il est tellement facile de tomber dans le piège de la banalité, d’être cliché et sans intérêt dans ces styles qui sont très codifiés… Sang Froid passe le test avec une aisance redoutable. Au fur et à mesure des écoutes, je découvre encore avec étonnement et plaisir de nouveaux aspects dans leur musique, je ne pouvais pas demander mieux pour une première production.
Pour ce qui est du bilan, il est encore tôt mais je suis extrêmement satisfait par ce disque musicalement et visuellement, car l’artwork magnifique par New Salem fait de Sang Froid un disque abouti à tous les niveaux, et je pense qu’il passera l’épreuve du temps. 

L’avenir de BGR, comment se dessine-t-il ?
L’avenir de Black God Records n’est pas tout tracé. J’espère pouvoir produire l’album de Sang Froid, beaucoup d’autres projets se dessinent à l’horizon mais il est encore tôt pour en parler. J’ai la chance de pouvoir prendre mon temps avec ce label et mûrir mes choix. Rien ne presse, je produirai des disques qui me font vibrer et si cela doit prendre des années, ça me convient parfaitement. J’ai toujours pensé que les choses n’arrivaient pas par hasard. Si Black God Records peut continuer, alors tant mieux. Si l’aventure doit s’arrêter là, je serai fier du travail accompli avec Sang Froid.