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Album
25/01/2021

Brame

Ce Qui Rôde

Label : autoproduction
Genre : noise blues raclé
Date de sortie : 2020/11/27
Note : 75%
Posté par : Sylvaïn Nicolino

Retour de Brame avec un cinq titres dépouillé d'une durée de quarante minutes. Cette fois-ci, ce n'est pas la bande sonore illustrant un film comme c'était le cas avec Le Manoir De La Peur et comme ils le feront pour Häxan - La Sorcellerie À Travers Les Âges. Il y a bien un clip pour "Drailles" et on peut s'appuyer dessus pour dire ce qu'est Brame. Du noir et blanc, une sorte de palissade ou de mur en palettes, marquée par les emplacements du métal martelé. Des outils agricoles posés contre ce support. Des chaînes et un coin de ciel. Quelques herbes qui ploient sous le vent. Pas d'humain. Les images se répètent, le montage est serré et les gros plans dominent. Progressivement, lorsque les cris fusent, des écritures déchirées se superposent et rayent les visuels. De temps à autre, un mot est lisible, mais subrepticement. La musique, elle, est moins syncopée. Elle racle et déchire toujours, en s'appuyant sur un fond qui est celui du blues. Même si la campagne et les animaux sont privilégiés, on pense forcément à une décharge rurale tant cette musique sent la rouille. J'apprécie particulièrement la façon dont les cris sont lancés : c'est non-humain, sans tomber dans le bestial des genres death, black ou screamo. Les variations sont multiples, allant de la colère aux appels, des prières aux lamentations. On a un peu de la façon d'Unsane pour cette idée de société malade. Mais la force de Brame c'est de donner corps à cette ruralité de rednecks méchants. On sent à la fois une Amérique en déclin et son parallèle français avec des coins reculés et abandonnés de tous (un peu à l'instar du livre en réalisme fantastique de Maurice Pons, Les Saisons, ou encore du film Calvaire de Fabrice du Welz).

Les titres donnés sont révélateurs, crus et angoissants ; on peut y lire une référence au livre Demain Les Chiens de Clifford D. Simak, exposant la lente dérive de l'Humanité et sa disparition au profit des chiens qui ont appris à parler. Même "Le Dehors" porte sa charge de danger (le klaxon bloqué ou bien la corne qui lance son appel dans le vide au début), comme s'il fallait rester pour toujours dans cette "Vallée borgne", en affronter "Les Chiens" (qui deviendront des loups, avant d'en passer par les coups) pour accéder au "Plateau" en empruntant la "Draille" (le chemin de transhumance). Les riffs éraillés à la basse ou à la guitare sont calés sur une batterie percussive minimale (au son sec, comme doublé). Des notes en larsens lacèrent la mélodie de base, répétitive, incantatoire, qui utilise également une sorte de violon en mode scie (à la John Cale) sur "Les Chiens". C'est une musique faussement planante, une sorte de mélopée ritualisée mais sans gourou. Elle sonne solitaire alors même qu'elle est produite par le nombre : même si c'est bien un groupe qu'on entend, qui joue ensemble et construit sa narration (le démarrage soigné en note à note de "Vallée borgne"), le résultat est lié à l'aliénation aux autres, au repli. La fête alcoolisée ou démente qui se trame isole ses participants. Ce n'est pas une communication, mais une excommunication forcée.

La violence inhérente à cette musique est toutefois tempérée par la simplicité des riffs bluesy : on peut accompagner sans difficulté ces défaillances mentales. Finalement, ce qui rôde n'est sans doute pas un danger extérieur, mais bien une maladie qui empoigne chacun de nous si les circonstances l'y invitent. Pour faire un raccourci factuel, cette musique illustrerait parfaitement le moment qui précède le passage à l'acte d'un survivaliste violent et pyromane. Glaçant ?

Tracklist
  • 01. Drailles
  • 02. Vallée borgne
  • 03. Plateau
  • 04. Les Chiens
  • 05. Le Dehors