Rejeton du label Born Bad, les Parisiens de Bryan’s Magic Tears apparaissent comme la réincarnation heureuse du rock indépendant des années 80-90… Ouvertement associé au shoegaze, à la dream-pop et à la culture "Madchester", le groupe parvient en définitive à produire une musique tout à fait novatrice dans le panel des productions actuelles. Avides de défendre sur scène un dernier album - Smoke & Mirrors - remarquable et remarqué, Benjamin Dupont (chant, guitare) et Lauriane Petit (basse) ont accepté de répondre aux questions d’Obsküre lors de leur passage au festival Levitation France à Angers.
Ce n’est jamais simple de faire son autopromo mais pour les lecteurs-auditeurs qui seraient malencontreusement passés à côté de votre musique, comment leur donneriez-vous envie de plonger corps et âme dans l’œuvre globale de Bryan’s Magic Tears ?
Benjamin : Sans doute l’envie de mettre la tête dans du gros son et de fréquenter plusieurs salles et plusieurs ambiances : on y côtoie à la fois du triste, de l’énervé, du dansant… mais avant tout du bon (rires) !
Lauriane : Il s’agit de venir chercher une symbolisation de ses émotions, quelle qu’elles soient en fait.
Depuis la sortie en 2016 de votre album éponyme, cela fait maintenant près de dix ans que le projet existe : comment a-t-il évolué sur le plan artistique ? Existe-t-il une volonté commune de suivre une direction musicale particulière ou les choses se font-elle de manière plus spontanée ?
Benjamin : Je dirais qu’il y a eu plusieurs phases : entre le premier et le deuxième album, nous sommes devenus plus assidus et plus rigoureux sur notre manière d’enregistrer, sur le choix des sons ; nous sommes devenus, en fin de compte, plus professionnels dans notre manière d’aborder les choses en passant d’une simple chambre à un studio… Et puis, sur les deux derniers albums, il s’agissait avant tout de ne pas céder à l’ennui en appliquant une recette particulière qui pourrait nous déranger en tant qu’artistes. Le dernier biais, par exemple, qui m’a donné envie de faire un nouvel album, c’est la découverte des musiques électroniques et des instruments et machines qui lui sont dédiés ; j’ai soudain eu envie de les utiliser… Après, je ne sors pas des Beaux-Arts, je ne réfléchis donc pas énormément (rires).
Lauriane : En règle générale, c’est de toute façon très mauvais pour l’inspiration de programmer ce que l’on veut faire avant même de composer en se conformant à un plan préétabli.
Il semblerait, toutefois, que vous accordiez une importance bien plus grande au travail de production depuis Vacuum Sealed. Sur les deux premiers albums, le son semble émerger de la poussière d’une manière plus rugueuse et primitive.
Benjamin : Oui, tout à fait… C’est un point qui résulte du début de notre collaboration avec Marc Portheau, qui a produit les deux derniers albums et qui est aussi notre ingé-son sur scène…
Lauriane : En ce sens, il est un membre vraiment important du groupe depuis Vacuum Sealed.
Benjamin : Il a en fait sorti le groupe de cet aspect ultra-immédiat, une caractéristique qui était la résultante de mon manque de technique et d’envie de passer un temps qui soit autre chose que du plaisir à l’état brut pendant la phase de composition et d’enregistrement…
Lauriane : Oui, ça a interrogé les limites entre le jeu et le travail en fait…
Benjamin : Et puis, le premier jet est toujours lié, pour moi, à un moment d’épiphanie si bien que le reproduire ne permet pas réellement de retrouver cet instant jubilatoire… C’est comme s’il était déjà un peu mort… Comme si, d’autre part, j’étais en train de me singer moi-même.
Lauriane : Avant, nous travaillions mais nous ne nous en rendions pas vraiment compte… Aujourd’hui la notion d’effort est davantage présente...
Peut-on dire que le confinement de 2020 a, d’une certaine manière, redéfini votre perception des choses puisque les deux premiers opus sont sortis avant l’apparition de la COVID ? D’ailleurs, comment le groupe a-t-il appréhendé cette période, tout à la fois anxiogène et féconde sur le plan créatif ?
Benjamin : On a eu la chance que le confinement arrive à un moment où nous n’étions plus censés tourner…
Lauriane : … donc, au final, c’est bien tombé (rire) !
Benjamin : COVID ou pas, on se serait de toute façon retrouvé en studio à cette période-là mais cela nous a permis d’être encore plus concentrés qu’à notre habitude, parce que nous avions tous en temps normal des obligations professionnelles qui nous détournaient de notre travail purement créatif. Ce fut donc une aubaine d’avoir tout ce temps à consacrer à notre art.
Lauriane : C’était un temps suspendu où soit on allait en studio, soit on restait à la maison…
Je vous ai découverts à la sortie de Smoke & Mirrors et, pour quelqu’un comme moi qui a vécu sa pleine adolescence à l’orée des années 1990, votre album a les allures d’une plongée introspective, au cœur même d’une scène musicale qui a contribué à forger l’identité musicale de nombre de mes contemporains… Comment les jeunes gens que vous êtes – et qui ont grandi bien après l’émergence de la scène shoegaze, de la dream-pop et de la révolution "Madchester" - ont-ils bien pu découvrir et rendre hommage, somme toute, à cette musique en définitive très ancrée dans l’histoire ?
Lauriane : Quand j’étais adolescente, je n’écoutais pas forcément ce qu’écoutaient mes pairs ; j’étais assez obsédée par les années 1990 et si j’étais bien trop jeune pour aller voir My Bloody Valentine sur scène, c’est une musique qui m’a malgré tout marquée dans le sens où elle est l’expression des obsessions adolescentes, de cet état de transition peu valorisant qui rend nostalgique entre l’enfance révolue et le monde adulte… Mais à vrai dire, je ne sais pas d’où me viennent ces références…
Benjamin : À l’époque où tu écoutais cette musique, il y avait déjà ce revival rock mais écouter My Bloody Valentine ou The Jesus And Mary Chain, c’était déjà une véritable démarche de recherche et de découverte… À part JAMC, pour ma part, j’ai vraiment découvert cette musique sur le tard, au moment même où je me suis impliqué dans Bryan’s Magic Tears.
Brian Eno disait en substance que tout acte créatif et artistique repose globalement sur le ratio suivant : 95 % d’héritage culturel et 5 % d’innovation pure qui en faisait tout le génie… Il ne fait aucun doute que des formations comme Happy Mondays, My Bloody Valentine, Ride, Cocteau Twins ont pu avoir une influence sur votre son mais sauriez-vous définir ces 5 % de votre musique qui en constituent précisément le caractère unique et, disons-le clairement, jubilatoire ?
Lauriane : C’est le fait précisément de digérer tout cela avec notre expérience du quotidien, notre éducation.
Benjamin : Oui, et il y a aussi cette maladresse consécutive au fait de vouloir copier sans toutefois y parvenir (rires)
Lauriane : Tout cela donne effectivement quelque chose de nouveau. On se dit : "Mince, je me suis trompé mais, en fait, c’est mieux !" (rires)
Benjamin : Parfois, quand je compose, j’ai certaines lubies ou marottes concernant certains groupes ou certains morceaux ; je fais tout ce qui est en mon pouvoir pour les reproduire mais en passant par le filtre de ton corps, ça donne, en définitive, quelque chose de nouveau… duquel je suis d’ailleurs très souvent insatisfait…
Lauriane : La nouveauté est la résultante en fin de compte d’une certaine frustration (rires).
Smoke & Mirrors est votre album le plus abouti à ce jour : les lignes mélodiques sont aussi limpides que les arrangements sont complexes… On sent clairement qu’un temps significatif a été passé en studio à expérimenter et peaufiner un rendu global extrêmement riche… On imagine aisément tout le bouillonnement créatif qui a dû accompagner la composition de cet album, toutes les sempiternelles discussions et pourparlers pour ajouter ou soustraire des éléments… Mais à quel moment décide-t-on qu’il faut mettre un terme à tout cela et accepter qu’un album est achevé ? Qui prend la responsabilité de cette décision ?
Lauriane : Je crois que c’est le label qui nous dit à un moment : "Bon, je crois que c’est fini là !" (rire)
Benjamin : Oui, on commence bien évidemment par répondre à des deadlines et, ensuite, je pense que c’est moi qui prends cette responsabilité car ce sont, pour beaucoup, de mes morceaux… et que, le fait de voir certains amis musiciens se perdre dans de sempiternels réarrangements, m’impose de trancher… Mon côté "feignant" se mêle à mon caractère plus "pragmatique" et m’incitent très fortement à mettre un terme… et même si davantage de temps de travail aurait pu améliorer éventuellement certains morceaux, cela a tendance à tuer la fraîcheur de l’instant… La recherche perpétuelle de la perfection ne fonctionne pas trop concernant notre musique de toute manière…
Lauriane : Oui ; et puis il faut savoir dire "au revoir" à un moment…
Benjamin : Maintenant, de nombreux artistes se complaisent dans cette recherche à outrance, ce que je peux naturellement comprendre.
Comment abordez-vous la scène sur le plan musical ? Comment y accordez-vous vos divers univers qui vont de la dreampop éthérée au shoegaze le plus dégueulasse ?
Benjamin : C’est humainement que le lien se fait car, sur scène, on voit bien qu’on est tous ultra-liés… On s’est évidemment posé la question au début car on a des morceaux shoegaze de sept minutes qui côtoient des titres dance-rock à la "Madchester".
Lauriane : C’est pendant les répétitions que tout se met en place… On joue encore et encore et on commence à s’interroger sur l’ordre des morceaux en fonction de leur complémentarité. En définitive, on n’éprouve même plus le besoin d’en parler ; il y a une sorte d’inconscient collectif qui s’exprime malgré nous et qui fait ce travail de connexion entre les morceaux.
Un titre comme "Stream Roller", croisement heureux entre Happy Mondays, New Order et Primal Scream, montre certaines accointances avec l’acid house. N’éprouvez-vous pas quelques tentations, parfois, de basculer vers un son plus ouvertement électronique ?
Benjamin : Ça m’est arrivé bien sûr… C’était d’ailleurs le projet quand on a commencé à enregistrer Smoke & Mirrors de faire un album qui soit au même BPM tout le temps, comme une sorte de set électro à la Chemical Brothers et, très vite, je m’en suis éloigné car ça ne me ressemblait pas assez… Disons que la redondance ne m’allait pas.
Lauriane : Ce qui est étrange, c’est que je lui ai fait remarquer, à un moment, que sa volonté de créer un album à partir de machines l’avait amené en fin de compte à composer l’album le plus rock qui soit...
Quelle place accordez-vous à l’écriture des paroles ? Sauf erreur de ma part, on sent de ce point de vue, un processus quasi instinctif, un travail fait dans l’urgence du moment. Je peux me tromper naturellement mais on a le sentiment que ces paroles viennent combler un vide essentiel plus qu’elles ne traduisent la volonté d’exprimer un regard sur la société, le monde et sur soi en définitive… C’est en tout cas un sentiment éprouvé à l’écoute de "Fancy Cars" ou "Stalker".
Benjamin : Je n’ai rien à ajouter, c’est exactement ça (rire). Pour Lauriane, les choses sont différentes mais pour moi, c’est de cette façon que je conçois l’écriture.
Quel est aujourd’hui le titre de Bryan’s Magic Tears dont vous êtes le plus fier et quelles en sont les raisons ?
Lauriane : Me concernant, c’est "Death Row" car c’est un morceau que j’ai en majorité composé…
Benjamin : En vérité, je crois que je suis aussi assez fier de celui-là parce qu’il s’avère très abouti sur le plan des arrangements ; je suis parvenu à lâcher prise et à faire en sorte que ce morceau soit le résultat d’un vrai travail collaboratif avec Lauriane.