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Album
23/11/2020

Cabaret Voltaire

Shadow Of Fear

Label : Mute Records
Genre : electro / techno
Date de sortie : 2020/11/20
Note : 60%
Posté par : Mäx Lachaud

Shadow Of Fear est un beau titre, très adapté à la situation actuelle, et un retour de Cabaret Voltaire en cette période très sombre, eux qui ont toujours souligné l'aspect terrifiant des médias dans une société paranoïaque et psychotique, a de quoi intriguer. Ces derniers n'avaient rien sorti depuis 1994 et The Conversation, donc ça remonte à loin. Mais un changement de taille s'est opéré. Stephen Mallinder a quitté le navire et il ne reste plus que Richard H. Kirk ; et il faut bien le dire, les derniers et nombreux travaux solo du musicien n'ont pas suscité énormément d'enthousiasme chez nous. Pourtant ses deux premiers albums étaient remarquables (Disposable Half-Truths, Time High Function), tout comme sa collaboration avec Peter Hope (Hoodoo Talk) mais c'était les années 1980.

Il est vrai que Kirk se produit sous le nom de Cabaret Voltaire depuis 2014 et le concert à l'Atonal de Berlin, donc il était à prévoir qu'il sortirait un disque s'inspirant de ces concerts passés. Et on sait que Cabaret Voltaire ont été des pionniers dans leur première période (1974-1981) quand ils étaient un trio avec Chris Watson, mais ils se sont par la suite tournés vers un style plus commercial, qu'on pourrait dire electro-funk industriel, qui a pu donner de très bonnes choses (The Covenant, The Sword & The Arm Of The Lord, 1985) mais qui ne leur a pas apporté la reconnaissance mainstream et qui n'a jamais atteint la créativité et le génie des débuts. Ayant posé les bases d'une esthétique du collage et d'un genre cold-indus qui allait proliférer par la suite, leurs premiers disques restent d'une noirceur sans nom (Mix Up, The Voice of America), dépeignant un monde déshumanisé et dystopique au travers d'ambiances claustrophobes et mentales à souhait. Le fameux son de Sheffield, ces synthés glaciaux pour gens aliénés qu'admirait tant Ian Curtis c'est bien eux. C'est vrai qu'on aurait pu attendre de Kirk qu'il s'en retourne à cette essence. Mais pas du tout.

Les deux premiers titres de l'abum ("Be free" et "The Power (of their Knowledge)"), cela dit, nous renvoient directement au son qu'ils ont initié : de vieilles boîtes à rythmes vintage surnagées par des bruitages divers qui s'entrechoquent avec des samples et boucles de partout, et des voix qui prêchent des discours apocalyptiques : "The City's falling apart". Ce n'est pas forcément un retour en arrière mais une marque de fabrique que Kirk arrive à retrouver. Mais est-ce que cela suffit à en faire un album de Cabaret Voltaire? Assez vite, on s'aperçoit que malgré tous ces extraits de films qui cherchent à créer un sentiment de panique, Kirk a voulu faire un album de pur dancefloor, une musique de club dans une période où justement les lieux de concert et les boîtes de nuit ont tous été contraints à fermer leurs portes depuis le mois de mars. Une musique dont le but est de se défouler, de bouger et de lâcher de la sueur aujourd'hui a presque une valeur ironique. Il faut tout de même préciser que, si l'album a été terminé au printemps, les morceaux étaient plus anciens et renvoient à un monde d'avant dont on ne sait toujours pas quand il reviendra. "Universal Energy" ou "Vasto" sont clairement des titres techno efficaces, mais qu'il n'est pas aisé d'apprécier en dehors d'une salle avec un gros son. De temps en temps, Kirk injecte comme dans "Night of the Jackal" des sonorités house, acid, voire dub, qui nous rappellent elles-aussi une époque aujourd'hui lointaine. Cet aspect énergique, agrémenté de la dimension hystérique et distordue des samples, reste plaisant, mais bien en-deça de ce qu'on peut attendre d'un nom comme Cabaret Voltaire.

Shadow Of Fear est au final le disque le plus happy jamais sorti par le projet, mais associer la joie de vivre aux compositeurs de "Nag Nag Nag", "Premonition" ou "Seconds Too Late" est pour le moins... décalé ! Écoutez "What's goin' on", par exemple : on y retrouve la touche electrofunk et le goût pour les cuivres que Cabaret Voltaire avaient bien développé dans les années 1980, mais sans le côté grinçant, malgré les voix étouffées qui se percutent à des samples noisy. Pas de chemins tortueux ou torturés ici, juste le plaisir du beat. Vous me direz, c'est déjà pas mal de produire un album qui a la pêche pour oublier une atmosphère politique nauséabonde et une toute-puissance de médias schizophrènes. Sûrement. Mais je me pose toujours la question de la pertinence d'avoir utilisé pour ce faire le nom de Cabaret Voltaire ?

Tracklist
  • 01. Be free
  • 02. The Power (of their Knowledge)
  • 03. Night of the Jackal
  • 04. Microscopic Flesh Fragment
  • 05. Papa Nine Zero Delta United
  • 06. Universal Energy
  • 07. Vasto
  • 08. What’s goin’ on