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Livre & Musique
10/12/2020

Charles Pennequin / Jean-François pauvros

Le Martien

Label : lenka lente
Genre : poésie sonore SF méta-référentielle dada's noise
Date de sortie : 2020/10/19
Note : 80%
Posté par : Sylvaïn Nicolino

C'est étonnant de voir Pennequin signé chez lenka lente : le poète sonore a depuis de nombreuses années ses propres relais éditoriaux, et de son côté le label / maison d'édition donne d'habitude dans l'écriture recherchée.

Avec Pennequin, ce qu'on aime, c'est qu'il fait le fou. Son écriture simpliste, digne d'un élève de 6° retouchant pour la quatrième fois son poème sous les ordres d'un professeur bienveillant et dirigiste, offre un panorama ras de terre de ce que peut la poésie. Ne fuyez pas ! Le texte de Pennequin est amusant et raconte une histoire. De son ton pince-sans-rire, le poète se lance dans une montée impitoyable pour dresser un miroir de l'autorité et de l'enfant-roi.

Le synopsis est rapide : un jeune Martien vient détruire la terre sous le regard émerveillé de sa maman, qui en rend compte à sa voisine. Pourtant, la destruction se met à ressembler à celles prônées par les avant-gardes, provocante et désopilante à la fois. Pennequin montre le ridicule répétitif de cette loi de la modernité "avec plus de conscience, avec plus de volonté", l'artiste d'aujourd'hui singeant malgré soi le post-libéralisme et son individualisme forcené ; il faut faire toujours plus que le précédent, dans une compétition absurde. Le Martien va ainsi se mesurer à Dieu et tenter de détruire l'Univers, prochaine (et ultime ?) étape de son parcours.

Vous le voyez venir, le rusé Charles ? Ce Martien, est-il un Fou de Dieu, prêt à détruire la Création, dans un esprit Ancien Testament bien cruel ? Est-il l'Homme et sa modernité capable de détruire sa propre planète et se réfugiant dans d'hypothétiques voyages interstellaires et le transhumanisme ? Ou, plus proche de nous, Charles Pennequin fustige-t-il les rapports mère-fils et la fierté mal placée face à l'agressivité d'un petit monstre, qui de son côté fait tout ce qu'il peut pour que sa maman le regarde ?

Pennequin exprime nonchalamment tout ça à la fois. Sa farce grotesque mérite la répétition, c'est pourquoi le texte lu est repris trois fois sur le CD. Les versions 1 et 3 sont mes préférées. Le ton déclamatoire et forain de Pennequin, le truchement des pistes superposées, la jouissance des instruments en font un spectacle pour l'oreille. C'est Pauvros qui joue, habitué de Pennequin mais aussi du poète Goso Yoshimasu, compositeur de musiques de films et fondateur de plusieurs groupes dont Les Quatre Filles De L'Industrie.

Pourquoi j'aime Pennequin ? Il est drôle dans ses performances, léger dans ses propos, ce qu'il dit n'est pas con. Il est humble et par son âge fait le lien entre la poésie sonore / poésie-action des années 1970 et le slam des années 2000. Il crée une poésie à échelle humaine, non expérimentale mais qui reprend des principes reconnus (la répétition, les euphonies, le caractère enfantin et trivial...). Il joue avec le mode exutoire sans en faire des tonnes.
Merci pour tout, Charles !