Beck Goldsmith et Jon Dix sont tout sauf des inconnus l’un à l’autre. La magie qui se dégage du premier opus studio du binôme britannique paraissant sous le nom de Chimehours ne se doit à rien d’autre qu’à ce que l’on nomme, à défaut de mot permettant de cerner intrinsèquement le processus, une "chimie" : un phénomène de la résonance, le contraire d’une dictée – une évidence qui passe par un instinct partagé, anticipation permanente de la destination que voit l’autre.
Inspiré par le Lanny de Max Porter (des extraits du texte original figurent dans l’album), Underneath The Earth porte en lui cette vibration naturelle au sens le plus authentique du terme : la forme est comme décrétée par une force qui n’aurait connu nulle embûche sur le chemin de l’accouchement d’un monde. Ce n’est peut-être pas la vraie histoire du disque, qui sait et nous préférons ne pas le savoir, mais c’est ce dont transpirent les formes finales. "Surnaturel" est un mot qui pourrait convenir : la délicatesse des rendus, leur boisement, suggestion de la permanence des espaces naturels, de leur féerie, crée un attachement inhabituel à ces mélopées.
Underneath The Earth n’est pas un disque comme tant d’autres, c’est une musique qui fait vibrer la corde sensible, qui s’ancre. Guitares en économie mais charnelles, pas absentes au monde, percussions douces mais dont vous ressentez force incision, cette musique a un parfum d’éther mais n’abaisse pas cette barrière qui vous laisse à l’extérieur, faisant de vous ce spectateur médusé et pas sûr de vivre vraiment l’instant. Non, Chimehours vous transporte à l’intérieur du mystère existentiel, de sa vibration, sa palpitation. Vous vous sentez proche de cette vérité, à l’inverse de l’hermétisme – fascinant pour d’autres raisons – susceptible dêtre mis en œuvre par un Esben & The Witch à ses débuts. La voix de Beck, de grâce funambule, parcourt ces espaces en clair obscur et porte cette vibration de l’émerveillement de la découverte : chaque seconde est comme une première fois, dans cette émotion qui sans crier gare submerge. Dans tout ce qu’elle retient, il y a la puissance de ce qui vous traverse. Les musiciens eux-mêmes verbalisent cet appel, et sa vibration enténébrée : "Avec Underneath The Earth, nous souhaitions saisir cette relation complexe avec la nature et cette impression d'être appelés par quelque chose venu d'ailleurs", déclaraient-ils il y a peu à Jammerzine, "une altérité qui existe juste en dehors de ce que nous connaissons et comprenons. Quelque chose d'ancien, d'éternel et de familial, et en même temps d'inquiétant."
Et puis ce sont de vraies chansons, leurs tourneries ensorcellent, travaillent au ventre. Elles vous font remonter le fil de votre vie, vers les premières peurs peut-être : cette réalisation, qui un jour vous tétanise, que tout ne se passera pas toujours bien ("Say your Prayers", obscur enchantement), que les choses finissent toujours mal.
Underneath The Earth est un paysage à explorer, dans lequel entrent en mélange le clair et l’obscur, le rêve et la fatalité. De ses tréfonds, une présence se manifeste : une accompagnatrice, que vous ne nommerez pas forcément mais dont vous ressentez qu’elle peut être de celles qui restent. Qui restent jusqu’à la fin.
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Ce texte est dédié à celui qui, peu après cette mi-décembre 2025, a choisi de rejoindre les limbes, sans doute pour se sauver d’autre chose. La nature est un refuge et où que tu sois, très cher Jean-Claude Billoux, nous espérons tous que tu y sois mieux.
