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Littérature
29/07/2019

Christophe Siébert

Métaphysique de la Viande : 'Nuit Noire' & 'Paranoïa'

Editeur : Au Diable Vauvert
Genre : roman, horreur, science-fiction
Date de publication : 2019/03/14
Note : 80%
Posté par : Mäx Lachaud

Pour marquer son arrivée au catalogue d'Au Diable Vauvert, l'éditeur a fait le choix de ressortir deux des romans les plus cultes de Christophe Siébert. Bien connues des amateurs de littératures transgressives, les histoires de l'auteur sont toutes des contes du tabou et de l'interdit, comme le souligne Emmanuel Pierrat, avocat et Président du Prix Sade, dans sa préface au présent ouvrage.
 
Initialement publié chez Rivière Blanche en 2011, Nuit Noire peut être considéré comme un des classiques de Christophe Siébert, du moins une de ses œuvres les plus notables car sûrement la plus extrême dans l’abject et le dégueulasse. Pur roman sadien, celui-ci prend la forme d’une confession, un monologue à la première personne. Nous sommes donc amenés à suivre le récit autobiographique d’un tueur en série, avec tous les détails les plus crus qui soient. Les heures défilent et ponctuent les chapitres. Le texte est en lui-même chronologique et s’imprègne de souvenirs d’enfance, de suicides dans sa famille, de relations sexuelles avec sa mère, d’automutilation, de jeux rituels avec ses fluides corporels, de sacrifices d’animaux puis de meurtres d’êtres humains et de viols de cadavres. Siébert abandonne toute la fascination romantique qu’une certaine littérature populaire prête aux criminels récidivistes pour la remplacer par un réalisme fait d’odeurs écœurantes, de saleté, de merde et d’horreur pure. Inspiré par les interviews de Stéphane Bourgoin, il fait une sorte de condensé des névroses de ces serial killers célèbres mais rend l’identification impossible. Non seulement son personnage, forcément antipathique, ne pose aucune limite à la violence qu’il inflige aux autres mais il vit lui-même dans un monde fantasmé, dominé par Anteros, l’homme à la hache qui le sodomise dans ses rêves.
On se retrouve ainsi dans un dilemme proche de l’American Psycho de Bret Easton Ellis : doit-on croire les actions relatées, aussi ignobles soient-elles, ou tout cela n’est-il que la construction mentale d’un esprit malade? La gradation dans la cruauté, elle, est bien réelle, et Siébert ne nous épargne rien. Plus que les scènes gore – et là les lecteurs ne seront pas déçus – ce qui dérange le plus, est peut-être la culture télévisuelle imbécile, le culte de l’apparence (le narrateur s’est construit un corps de culturiste) et de la domination ou le mal être dévastateur du personnage qui exprime tout son dégoût de la vie à travers cannibalisme, nécrophilie et autres pratiques, souvent sur des faibles ou des membres de sa propre famille. Un roman étouffant, claustrophobe, odorant, maladif et qui nous amène à perversement tourner les pages de cette boucherie sur papier. C’est là tout le talent de Siébert : il nous happe avec la pureté et la concision de son style pour nous faire témoins des pires immondices.

Paranoïa pourrait dans ses premières pages nous renvoyer aux mêmes eaux du vice - avec notamment le parcours d'Amy Gloworm -, mais, plus choral dans sa construction, il se dirige ouvertement vers le récit d'anticipation et de science-fiction marqué par la mythologie lovecraftienne. Il nous y décrit un monde où les robots ont pris des apparences humaines et animales et la narration gravite autour de quatre protagonistes, Amy, droguée, prostituée, alcoolique, choisie par un Dieu vengeur pour s'accoupler, Jean-Jacques Népès, zoophile, hanté par des visions prophétiques, baiseur de prêtres et de crapauds géants, Emmanuel Ombric, dont le don pour identifier les robots le pousse à tout mettre en œuvre pour nettoyer ce merdier et ce génocide de masse, et pour finir, Claude Zecke, un ex flic témoin de cet étrange trafic humain. Plus délirant et fantastique dans son intrigue, Paranoïa n'en ressemble pas moins à un bad trip, cauchemar auquel seule la mort pourra mettre fin.

Au final, les deux récits se complètent très bien, soulignant une même vision noire de l'humanité mais aussi un style ciselé et tranchant comme une lame de rasoir. Les passages hallucinés et l'humour noir aident les textes à ne pas être juste sinistres ou complaisants. Entre le portrait d'une société aliénée et les visions apocalyptiques d'esprits tout aussi frappés, Nuit Noire et Paranoïa sont deux plongées dans la folie pure, à moins que ces névroses cachent une extra-lucidité ? Éprouvant mais cathartique.

À signaler : une couverture assurée par Stéphane Blanquet.