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Ténèbres, puits sans fond. Obsküre plonge, fouine, investigue, gratte et remonte tout ce qu’il peut à la surface

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Interview
30/05/2024

Corpus Delicti

"En définitive, les morceaux et les albums sont plus forts que nous"

Genre : gothic / death rock / dark rock / gathering music
Contexte : concert au Trabendo (Paris) le 25/05/2024 (+ Curtain + Martin Dupont)
Photographies : Eliott Pietrapiana
Posté par : Töny Leduc-Gugnalons

Après deux années d’une tournée marathon qui a conduit le groupe à écumer les plus grandes villes d’Europe, les Etats-Unis et le Mexique, les Niçois de Corpus Delicti, fleuron du rock gothique à la française, étaient de retour à Paris pour un concert dantesque ce 25 mai 2024, porté par un public absolument déchaîné et résolument acquis à la cause d’un combo qui n’en finit pas de nous étonner…  L’occasion était trop belle pour ne pas revenir avec eux sur cette renaissance aussi inattendue que triomphale et, à la lumière des nouveaux morceaux, sur un avenir lui aussi prometteur. Assurément, l’histoire ne fait que commencer…

Obsküre : À l’origine de ce projet de reformation scénique, il n’était question que de quelques dates dans les principales capitales européennes mais depuis votre premier concert officiel à Cannes, les prestations se sont enchaînées à un rythme d’enfer… et la source ne semble pas se tarir ! Quelles sont les raisons qui vous ont amenés à reconsidérer vos plans initiaux ?
Sébastien : Au départ, l’idée était davantage de rejouer les anciens morceaux dans la perspective de voir ce qui allait en résulter. Pour être honnête, on ne s’attendait pas à ce qu’il y ait autant de retours positifs ; et puis, ce qui est vraiment étonnant, c’est que les demandes se sont enchaînées d’elles-mêmes… Les dates ont fini par en appeler d’autres sans même que nous ayons besoin de chercher… Les organisateurs sont tout simplement venus nous trouver… Les plans se sont avérés intéressants et nous n’avions donc aucune raison de les refuser. Nous avons voulu faire plaisir à tout le monde, à commencer par nous.

Sur quels facteurs repose, selon vous, la réussite de ce retour sur scène ?
Franck : Nous essayons avant tout de ne pas tricher et de nous montrer tels que nous sommes… Nous prenons du plaisir en nous donnant à cent pour cent et en jouant des morceaux que nous adorons…  Personnellement, je les préfère tels que nous les jouons aujourd’hui parce que j’ai le sentiment qu’ils ont été dépouillés de leur emballage pour ne conserver que l’essentiel, et que ce dernier se suffit à lui-même… Par ailleurs, nous avons sans doute aussi une maturité qui nous faisait défaut à l’époque et qui nous permet aujourd’hui de les jouer différemment, ce qui décuple naturellement notre plaisir… Et puis, disons-le, les enjeux sont bien différents de l’époque où il était malgré tout question d’argent et de notre avenir…
Sébastien : Le public lui aussi a changé… Nous jouons aujourd’hui devant une foule relativement jeune et ce facteur influence directement la dynamique et l’énergie des prestations.

C’est juste, les chansons de Corpus Delicti touchent aujourd’hui un nouveau public qui n’était sans doute pas né lorsque vous officiiez dans les années 1990… On sent malgré tout le même enthousiasme et la même ferveur parmi ces jeunes gens qui reprennent en chœur les hymnes du groupe… Qu’est-ce qui, selon vous, rend les morceaux de Corpus Delicti si intemporels ?
Sébastien : Le talent, sans doute (rires)
Franck : Encore une fois, c’est la sincérité que nous dégageons qui rend cela possible… Nous proposons certes un show, mais pas un show à l’américaine où tout est monté et artificiel… Sur les réseaux sociaux, un fan disait que Corpus était l’exemple même de ce que devrait être toute reformation : l’expression du plaisir de jouer, purgée de toutes velléités mercantiles…
Sébastien : Je pense que les morceaux et les albums sont en définitive plus forts que nous ; ils ont fini par passer le temps et par toucher une nouvelle génération… C’est sans doute que les chansons étaient tout simplement bonnes… Ce sont elles d’abord que le public vient écouter, et puis les propositions que nous en faisons aujourd’hui les touchent à plus forte raison… Les retours que nous avons sont en tout cas excellents…
Franck : C’est d’autant plus vrai que les gens reviennent nous voir sur scène…
Laurent : Moi qui n’étais pas présent à l’époque, je constate que les morceaux appartenaient à une niche goth/post-punk mais qu’ils présentaient déjà une certaine singularité leur donnant une couleur sensiblement épique ; et, pour avoir vu le groupe dans les années 1990, j’ai le sentiment que ce sont là des éléments indéniables qui font la force des morceaux… Au final, cela reste du rock et le caractère organique qui en émane et qui fonctionne, donne cette énergie en live.

Continuez-vous à vous interroger sur la manière de faire évoluer votre son, sur scène et en dehors de la scène, ou s’agit-il seulement de recréer l’esprit de la formation telle qu’elle officiait dans les années 1990 ?
Franck : Il s’agissait au départ de faire en sorte que les fans se retrouvent dans les morceaux et que ces derniers ressemblent le plus possible aux versions originelles, avec un fonctionnement et une énergie live différente mais en gardant ce qui faisait le son de l’époque : j’ai pour ma part repris les pédales que j’utilisais dans les années 1990… mais peut-être qu’avec le temps et la maîtrise que nous avons, nous nous octroyons davantage de liberté dans la façon d’interpréter les morceaux…

J’imagine, Sébastien, que tu n’abordes pas l’écriture de la même manière aujourd’hui que du haut de tes dix-huit ans… Certaines thématiques demeurent-elles néanmoins ? Quels sont les nouveaux thèmes qui semblent émerger avec le temps et l’expérience de la vie ?
Sébastien : Il est évident que j’ai changé et que des thématiques comme l’amour et la mort demeurent universelles, je ne suis clairement pas le seul concerné par le problème (rires)… Sans doute que la nostalgie se fait plus présente, même si ce retour sur le passé est parfois peut-être trop idéalisé ; mais, c’est clair, les thématiques fondamentales demeurent…

Je pose aussi cette question car le single "Chaos" a fait l’objet d’une pochette conçue en partie par l’IA… Est-ce que ces nouvelles problématiques auxquelles nous sommes confrontés sont aussi de nouveaux enjeux de réflexion pour vous ?
Franck : ils font évidemment partie de notre quotidien.
Sébastien : nous essayons de faire attention et d’utiliser l’IA avec parcimonie et à bon escient… Il ne faudrait pas non plus qu’elle prenne la place de créateurs artistiques… Pour être tout à fait honnête, je n’ai pas d’avis tranché sur la question parce qu’elle est encore fraîche dans les esprits.
Franck : l’idée reste quand même d’utiliser l’IA de la façon la plus créative et la plus sincère qui soit. Il s’agissait aussi d’être en accord avec les paroles de "Chaos" et de répondre aussi, d’une certaine manière, à notre manque de moyens pour créer le clip que nous souhaitions. Sans le recours à l’IA, nous n’aurions jamais eu le budget pour le concrétiser.
Sébastien : l’IA n’a donc pas évincé le fait qu’une grosse équipe artistique a travaillé sur ce projet.

Roma est naturellement un personnage emblématique et on ne saurait l’oublier dans toute cette histoire tant son empreinte à la fois visuelle et sonore a contribué à forger le mythe Corpus Delicti… Mais il est indéniable que Laurent a su s’imposer pleinement et que sa légitimité dans le groupe est absolument indiscutable. Comment as-tu vécu, Laurent, ces premières années au sein de Corpus Delicti et qu’est-ce qui, selon toi, te distingue nettement de Laurence ?

Laurent : tout se passe parfaitement bien… Au début, il y avait des plans qu’elle faisait que je ne comprenais pas trop, si bien que ça m’a beaucoup aidé quand elle est venue durant les répétitions et que je l’ai vue jouer car, il faut bien dire, son jeu de batterie est singulier et peu académique… En la voyant évoluer, j’ai beaucoup appris… Mais si j’essaie de coller à l’esthétique de batterie de Roma, il est évident que nous n’aurons jamais la même pulsation, la même frappe, ce qui amène nécessairement des différences et, cela, même en respectant le cahier des charges… Personnellement, j’ai appris la batterie en jouant sur la musique de The Cure. Celle de Corpus Delicti restait donc conforme à mon ADN, dans une certaine mesure…

Quel bilan tirez-vous aujourd’hui de ces deux années de reformation et qu’envisagez-vous pour la suite ?
Franck : nous sommes toujours aussi bons (rires)
Chris : pour le dire très simplement, je vis mes meilleures années… Dans les années 1990, il y avait à la fois beaucoup plus d’enjeux et de pression car nous ne savions pas trop où nous allions, en fait… Nous jouions parfois dans des conditions abominables et, en même temps, nous avions cette chance incroyable d’avoir fait une tournée américaine… Les choses sont aujourd’hui plus simples et, forcément, plus agréables…

Et pour les projets à venir ? La sortie d’un live en CD ?
Franck : Oui, effectivement, on doit s’attacher à mixer le live à Mexico courant juin…
Sébastien : Il sera sans doute autoproduit, c’est une formule qui nous convient bien pour l’instant…
Franck : Par ailleurs, on termine la série de concerts par celui de Nice le 7 juin et on va se concentrer sur la composition des nouveaux morceaux en vue d’un nouvel album, c’est clair…
Sébastien : Nous avons deux nouveaux morceaux que l’on va jouer sur scène ce soir et d’autres sont en chantier… Dans l’idéal, il faudrait qu’on sorte un autre single en format numérique d’ici la fin de l’année, avec une nouvelle vidéo…

Vous avez, entre-temps, autoproduit  l’excellent 45 tours "Chaos"… Avec ces quelques mois de recul, quelle en a été la réception ?
Sébastien : Les retours se sont avérés excellents, d’autant qu’il s’agissait un peu d’un test pour nous… Comment les gens allaient-ils réagir ? Qu’allaient être leurs retours ? On a attendu d’avoir le bon morceau parmi toutes les compositions qui émergeaient de part et d’autre… "Chaos" nous a paru convenir parfaitement car il répondait à la fois au son traditionnel de Corpus tout en proposant certaines innovations qui correspondaient davantage à ce que nous voulions montrer aujourd’hui… Le pressage de 500 exemplaires est quasiment épuisé à ce jour…

Vous n’ignorez sans doute pas que le groupe a fait l’objet d’une biographie sortie chez Camion Blanc en 2011. Sauriez-vous me dire dans quelle mesure ce travail a joué un rôle dans l’histoire de Corpus Delicti ? Une suite est-elle d’ailleurs envisagée ?
Sébastien : Oui, effectivement, non-autorisée en plus… Si on pouvait choper le mec qui a écrit ça (rires)
Franck : Plus sérieusement, cette biographie a servi de base, en fait, car elle a permis à tout le monde de mettre les choses à plat… Cela nous a permis, avec le recul, de comprendre l’état d’esprit de chacun durant ces années-là… D’une certaine manière, cela a contribué à assainir le climat et les relations entre nous…
Sébastien : ce serait bien maintenant de proposer cette biographie en anglais et en espagnol… La demande existe… et de l’accompagner d’une mise à jour…
Chris : Peut-être même une traduction en breton (rires)(NDLA : Il n’est peut-être pas inutile à ce stade de rappeler que je suis à la fois l’auteur de cette fameuse biographie et breton… effectivement...)
Sébastien : Ce livre nous a aussi permis de poser une certaine assise par rapport au groupe ; je veux dire par là qu’il est sorti chez Camion Blanc, un éditeur reconnu, par quelqu’un qui a pris la peine de s’intéresser à Corpus Delicti, et qu’il a, par ailleurs, eu un succès d’estime… Tous ces facteurs ont peut-être rebattu les cartes et remis en lumière le groupe sur le plan médiatique.

À brûle-pourpoint, je vous demande de ne sauver qu’un seul titre du répertoire de Corpus Delicti et de m’en donner les raisons…
Chris : Le morceau à venir… Point...
Sébastien : Le premier titre qui m’est venu en tête est "Motherland", d’une part, parce que je sais que Christophe a un peu de mal à le jouer et c’est une raison qui n’est pas sans me faire vraiment plaisir (rires) et d’autre part parce qu’il me touche ; le texte bien sûr mais pas seulement… On a capté une émotion particulière dans ce morceau qui ne ressemble pas forcément aux autres standards de Corpus comme "Patient" ou "Broken", si bien que j’éprouve toujours beaucoup de plaisir à le jouer sur scène, lui qui a été d’ailleurs si peu joué à l’époque… Je le redécouvre donc aujourd’hui quand nous le jouons…
Laurent : "Saraband" car c’est un morceau très singulier que j’adore jouer… Un morceau à part…
Franck : "Dusk Of Hallows"… Bien que je ne sois pas crédité sur "Sylphes", j’ai compris par la suite que j’avais composé certains plans sur cette chanson… Il y a une ambiance et une cassure dans la rythmique qui me la rendent irrésistible... Donc "Dusk Of Hallows" parce que j’adore la jouer et "Ordinary Story" parce que Seb déteste la jouer (rires)… Je pourrais aussi citer "Crash", l’un de nos nouveaux morceaux qui représente à la fois le passé et le futur de Corpus… On ouvre les concerts avec ce titre en ce moment et j’avoue avoir un petit faible pour lui sur le plan émotionnel et dramaturgique.