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Live report
12/11/2025

Corpus Delicti

Altigone | Saint-Orens de Gameville, 8/11/2025

Genre : afterpunk / gothic / death rock
Contexte : parution du nouvel album 'Liminal' le 28/11/2025
Photographies : Elliot Pietrapiana (1-4) / Céline Piera (5)
Posté par : Mäx Lachaud

Corpus Delicti ont fait partie des groupes qui comptent dans mon parcours. Entre 17 et 19 ans, je les ai vus trois fois en concert, dans les années 1993-1995, dont une soirée mémorable organisée par des amis qui alignait Punish Yourself, Corpus Delicti, Gitane Demone et Rozz Williams (Christian Death). Déjà à l'époque, leurs deux premiers albums, Twilight et Sylphes, avaient su attirer un public qui s'étendait bien au-delà du milieu des corbeaux, avec des mélodies impeccables, une énergie tribale, un sens atmosphérique qui avaient tout pour séduire. Puis il fallait assister à leurs shows. Roma derrière ses toms ressemblait à une divinité égyptienne sur talons hauts, dont les bras s'agitaient au-dessus de sa tête en une danse ensorceleuse. Le guitariste Jérôme était blafard et cadavérique, semblant toujours à la limite de s'effondrer. C'était un sacré spectacle, avec cette basse puissante dans la lignée d'un Peter Hook ou d'un Steven Severin, et la voix chaude de Sebastian, faisant des yo-yo entre les graves et les aigus, ajoutant du baroque à ces fleurs mortes empoisonnées. C'était l'époque où la scène grufty/dark vivait un véritable renouveau en Europe avec des groupes comme Sopor Aeternus, Ataraxia, Das Ich, The Moon Lay Hidden Beneath A Cloud, Camerata Mediolanense et tant d'autres qui n'hésitaient pas à aller piocher dans les racines littéraires, artistiques ou médiévales de la tradition gothique. Des gros festivals émergeaient, et l'héritage des groupes fondateurs des années 1980, que ce soit Bauhaus, Christian Death ou Dead Can Dance, trouvait dans cette nouvelle génération une continuité à leurs recherches esthétiques et romantiques.



Les musiciens de Corpus Delicti avaient juste quelques années de plus que nous et, même si on ne les connaissait pas, ils étaient comme des amis. Du moins, nous savions qu'on faisait partie de la même tribu, avec notre goût prononcé pour les cheveux dressés, l'underground nocturne et le velours frappé. La dernière fois qu'ils s'étaient produits à Toulouse, c'était au Bikini en 1995, alors que leur troisième album Obsessions était tout frais ou sur le point de paraître. Forcément, nous étions dans les premiers rangs et totalement voués à la cause. Puis trente ans se sont écoulés. Nous avons continué à revenir à leur musique de temps en temps car elle fait partie de notre ADN, mais de l'eau a coulé sous les ponts. L'univers de Corpus Delicti c'est un peu comme celui de la série Twin Peaks. Il définit entièrement ce qu'a été cette période charnière du début des années 1990, puis comme la série, vingt-cinq ans après, on se le reprend dans la gueule et on s'aperçoit qu'eux aussi ont vieilli, changé, mûri. Le Corpus Delicti d'aujourd'hui n'est plus tout à fait le même. Roma n'est plus là, les cheveux de Sebastian non plus. Leur attitude scénique est moins fofolle et elle a gagné en sobriété et élégance. Le choix des morceaux se porte sur les aspects les plus rêveurs et oniriques de leur monde ("Lorelei", "Dust and Fire", "Dusk of Hallows", "The Smile of Grace"), et la théâtralité a laissé place aux volutes cold et lyriques qu'on pouvait trouver chez And Also The Trees, Echo & The Bunnymen ou le Christian Death de la période Catastrophe Ballet. Le nouveau batteur (Fabrice Gouré), avec un style plus martial et post-punk, les rapproche plus que jamais du Danse Society du début des années 1980 : intense, émotionnel, incantatoire.



Mais le groupe ne se repose pas du tout sur une nostalgie. Il habite ces vieux morceaux, se les réapproprie - la version de "Saraband" est tout juste reconnaissable - et les mêle à de nouvelles compositions qui prouvent que l'histoire est encore en train de s'écrire aujourd'hui (chapeau au titre "Crash", sacré morceau pour ouvrir un concert). D'ailleurs, dès les premières notes, on se lève de nos fauteuils pour rejoindre le devant de la scène. L'Altigone est en effet plutôt une salle de théâtre où les places sont numérotées. La physicalité du son - ils s'appellent Corpus Delicti tout du même - ne peut pas fonctionner avec cette distance. On ne regarde pas un de leurs concerts, on en fait entièrement partie, on est un seul et même corps. Et si on se retrouve tous là, après toutes ces années, c'est bien parce que nous sommes une entité à nous tous. Certains regretteront l'absence dans la setlist des titres "Noxious (the Demon's Game)" ou "Absent Friend", mais des soucis physiques du bassiste n'ont pas permis de les faire. En même temps, c'était un vrai plaisir de ne pas se limiter à des attentes et juste se laisser porter, passer des classiques "Patient" ou "Broken" à des titres de l'album Liminal à paraître le 28 novembre. Juste le bonheur d'être là, tous regroupés, de danser et de se dire que Corpus Delicti est toujours autant porté par la magie et la grâce. Le Smile of Grace.

Setlist
  • Crash
  • Patient
  • Room 36
  • Dusk of Hallows
  • Appealing Skies
  • Dust of Fire
  • The Smile of Grace
  • Dancing in the Dark
  • Twilight
  • Out of Steam
  • Lorelei
  • Saraband
  • Chaos
  • RAPPEL
  • Atmosphere
  • Broken