Une semaine après sa sortie, il ne fait déjà aucun doute que le nouvel album de Corpus Delicti, Liminal, va s’imposer comme une œuvre qui compte. Encensée par la presse musicale, cette merveille de violence mélancolique sourde n’attendait qu’à s’exprimer pleinement sur scène.
La "Release Party" organisée à La Maroquinerie - dans le vingtième arrondissement parisien - allait donc donner au combo l’opportunité de délaisser un temps les ombres indissolubles du passé et de nous prouver, trente ans après la sortie d’Obsessions, que leur sens inné de la mélodie demeurait intact et qu’ils déploieraient à jamais le porte-étendard imputrescible de la scène gothique hexagonale. Aussi, cette soirée inaugurale s’avérait-elle moins anecdotique qu’il n’y paraissait dans ce lieu mythique investi par toute la communauté corpusienne ; comme si nous avions intuitivement ressenti le besoin d’être présent à leurs côtés dans ce qui nous est clairement apparu comme un tournant majeur de leur carrière. Les deux tournées précédentes auraient pu sonner les dernières heures nostalgiques et flamboyantes d’un mythe qui s’accroche au désespoir de la nuit ; mais c’est précisément la rage inextinguible de vivre qui façonne l’unicité de ce groupe exceptionnel.

Une brève introduction va accueillir les Corpus devant une salle comble et très largement acquise à la cause, mais vous sentez d’emblée qu’une chape de tension inhabituelle contraint Chrys et Franck dans leurs recoins respectifs. La concentration est de mise dans ce confinement volontaire et il n’est pas question de faire une sortie de route sur l’inaugural "Crash". Le son est dense et ça frappe fort du côté de Fabrice qui oscille constamment entre une rythmique qui martiale qui tribale. Seb, quelque peu malmené par une voix éraillée, demeure cette force tranquille et sereine qui apaise le groupe autant que le public. Je ne l’avais encore jamais vu, à ce point, assumer ce rôle de leader et je crois qu’il a contribué nettement à rendre cette soirée magique… S’enchaînent alors tous les joyaux audacieux et déjà incontournables de l’album : l’angoissant "Room 36", le Berlinois "Under his Eye", le détonnant "Chaos", le très Hughesien "Fate" ou le coldissime "Liminal". L’outro libère enfin des protagonistes affranchis de leurs peurs légitimes et, étrangement, on souffle avec eux…

Le retour sur scène, après quelques minutes, nous replonge dans un passé adulé où l’on retrouve à la fois une partie des classiques – pas forcément les miens – et la légèreté facétieuse de Chrys et de Franck… Ils sont heureux d’être là et le public, dans une folle jovialité, le leur rend bien. La communion est telle que Seb, bientôt accompagné par Franck, rejoindra le public dans une fosse survoltée mais respectueuse. On n’offense pas les dieux… "Patient", "Twilight", "Lorelei", "Appealing Skies", "Noxious (The Demon’s Game)", "Dusk of Hallows", "Broken" viendront donc parfaire une setlist aussi inédite qu’historique… Le spectacle touche à sa fin mais personne ne souhaite vraiment cette échéance. Nous en appelons tous à l’éternité du moment, conscients que nous sommes de vivre un moment hors du temps. Pour nos protagonistes, c’est la même chose si bien qu’on aura encore le droit, en guise d’apothéose, au cultissime "Absent Friend".

Si Corpus Delicti est parvenu aujourd’hui à fédérer jeunes et moins jeunes, force est d’admettre que cette soirée était avant tout celle de la garde rapprochée, d’un contingent originel de fans qui n’a jamais désavoué ni même enseveli le groupe sous l’avalanche du reniement. Cette soirée, c’était aussi cette prise de conscience que certains artistes – rares – font naître une véritable communauté qui transcende les générations, les frontières et le temps. Reste à espérer que rien ne change et que "nos" Corpus Delicti ne sont pas encore sortis de leur nuit.
Mention spéciale également aux Parisiens Curtain, qui ont brillamment ouvert la soirée avec une série de nouveaux titres très enthousiasmants et que nous avons hâte de retrouver sur leur prochain opus.