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Ténèbres, puits sans fond. Obsküre plonge, fouine, investigue, gratte et remonte tout ce qu’il peut à la surface

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Interview
07/04/2023

Dark Sanctuary

"La volonté d’émouvoir l’auditeur est toujours là"

Genre : darkwave néoclassique / dark atmospheric revival / world
Photographies : Dark Sanctuary (2023) | Anaïs Novembre
Posté par : Oliviër Bernard

Le temps nous a paru long… Mais Dark Sanctuary s’était simplement assoupi. Un sommeil de près de quinze ans, qui a permis au groupe mythique de darkwave néoclassique de mûrir. Les premiers feux d’un retour sérieux aux affaires s’étaient déclarés en début d’année dernière avec l’EP Iterum. La formation française revient en 2023 avec le magnifique long format, Cernunnos, qui paraît chez Avantgarde Music, un label fidèle. Mixé et masterisé par Øystein G. Brun de Borknagar et orné d’une pochette surprenante conçue par Valnoir, ce disque s’impose par sa classe et ses variations. Ces morceaux originaux nous ont véritablement enchantés, une preuve magistrale que le talent perdure. Nous avons voulu en savoir plus auprès d’Arkdae, membre fondateur de la troupe, guitariste et claviériste de son état. Il évoque avec nous notamment les origines de ce retour et leurs nouveaux choix stylistiques.

Obsküre : Quatorze ans séparent Dark Sanctuary de Cernunnos, votre nouvel album de compositions originales. Des retrouvailles inespérées pour vos fans… Qu’est-ce qui a motivé ce retour ?
Arkdae : Nous n’avions jamais vraiment fermé la porte à un éventuel retour. À l’époque, nous traversions une période un peu difficile. L’enregistrement du dernier album avait été assez difficile, et des problèmes extérieurs au groupe se sont ajoutés, ce qui nous a poussés à faire une pause. Mais l’envie de jouer et de composer avec Dark Sanctuary n’a jamais été remise en cause en soi. En mars 2021, j’ai remis la main sur mon vieil ordinateur dédié à la musique ; je ne l’avais pas rallumé depuis dix ans ! Je suis alors retombé sur des morceaux que j’avais conçus pour le groupe, à l’époque de Dark Sanctuary. Ceux-ci n’ayant pas été utilisés, je les destinais à un album solo. En les réécoutant je me suis dit que c’était vraiment dommage que nous nous soyons arrêtés si longtemps. Le soir même, j’ai contacté tous les autres membres du groupe pour leur en parler. Tout le monde a été très enthousiaste à l’idée de reprendre Dark Sanctuary avec de tout nouveaux morceaux. La machine était de nouveau lancée ! Restait à voir comment rendre ce retour possible, et si nos fans ne nous avaient pas oubliés. 

Que s’est-il passé durant cette longue absence ? Il y a eu, il est vrai, entre-temps l’épisode Metal. Comment le groupe s’est retrouvé après toutes ces années ?
Nous nous sommes tous retrouvés un peu pris dans nos vies familiales et professionnelles. Certains ont aussi avancé en solo. Pour ma part, j’ai commencé à travailler sur des projets entre 2009 et 2011, mais j’ai fini par totalement arrêter la musique, faute de temps et de motivation pour être honnête. Les retrouvailles se sont bien passées. Nous n’avions jamais coupé les ponts durant toutes ces années, on se donnait régulièrement des nouvelles. L’aventure Dark Sanctuary a été un point marquant de nos vies, nous formons une famille d’une certaine manière. Donc ce fut assez simple de travailler de nouveau ensemble. L’aspect le plus compliqué de notre collaboration est l’éloignement géographique, une certaine organisation a été nécessaire. Nous avons donc sorti un EP, Iterum, début 2022, dans le but de nous tester un peu. D’une part, nous voulions voir si nos capacités artistiques à composer et créer de nouveau étaient intactes. D’autre part, des considérations techniques ont dû être prises en compte. En effet, depuis 2009, la façon dont nous composons, enregistrons, produisons et diffusons la musique a changé. Il fallait se mettre à jour, et Iterum nous a permis d’ouvrir la voie vers un nouvel album.

Le feeling typique de Dark Sanctuary est manifeste dès le début. Peux-tu nous en dire plus sur le processus de composition de cette nouvelle offrande ?
La recette pour composer de nouvelles chansons n’a pas changé depuis toutes ces années. Nous avons toujours produit une musique sincère, qui venait du plus profond de nous-mêmes, donc le processus n’a pas été très compliqué en soi. Nous essayons de puiser dans les émotions humaines pour nourrir notre propre vision musicale. Au fil des années, même si nous avons bien sûr vieilli et que la vision du monde qui nous entoure a évolué en même temps que nous, la volonté d’émouvoir l’auditeur est toujours là. Nous avons chacun des façons de travailler un peu différentes, mais là aussi rien de radicalement nouveau depuis nos précédents albums. À titre personnel, je compose beaucoup, pour ne garder que ce qui me semble le mieux et le plus pertinent, puis j’affine les arrangements jusqu’à ce que je sois satisfait à 100%. Sinon je jette, et je passe à autre chose. Pour Cernunnos, j’ai dû écrire une trentaine de chansons, pour finalement n’en garder que quelques-unes. 

Quel(s) thème(s) avez-vous voulu explorer sur ce disque ?
Pas de changement majeur, nous avons exploré des thèmes mélangeant la tristesse, la solitude, parfois le désespoir ou l’espoir… Ainsi, tout le monde peut faire un lien avec une situation plus personnelle, en rapport à un être cher, un enfant, un parent… Le fait que notre musique s’adresse à tous caractérise Dark Sanctuary depuis les premiers albums, car chacun peut y trouver une signification qui lui est propre. La nature occupe également une place importante dans notre univers, c’est un autre élément constant de notre musique, et nous avons souhaité le conserver sur ce nouvel album. 

Ce qui m’a marqué à l’écoute de Cernunnos, c’est cette exploration par moments de sonorités orientales, balkaniques, donnant au disque un parfum world, sur les morceaux "Yksin", "Cernunnos" et "Sólstöður". Où avez-vous puisé l’inspiration et pourquoi cette volonté de variation ?
Nous avons toujours été ouverts à d’autres sons, styles ou cultures, et ce finalement depuis notre tout premier album. En tant qu’artistes, même si notre style est bien défini, nous sommes néanmoins assez perméables à tout ce qui nous entoure. C’est la raison pour laquelle il est possible de retrouver des influences qui peuvent varier sur certains morceaux. Dark Sanctuary a toujours essayé d’évoquer des thèmes universels, à sa manière, sans spécialement se restreindre. Cela peut paraître un peu égoïste, mais notre musique doit nous plaire avant tout. Nous n’en vivons pas, nous ne dépendons pas du groupe pour remplir notre frigo. Nous sommes totalement libres, c’est une grande chance. Pour Cernunnos, nous arrivions donc avec presque quinze ans de plus, de nouvelles expériences vécues, de nouvelles choses à raconter, et aussi de nouvelles influences. Nous voulions vraiment faire un album très différent. En revanche, une transition trop radicale aurait pu dérouter les personnes qui nous suivent depuis toutes ces années. Nous avons donc choisi de naviguer un peu entre deux eaux. D’un côté, nous nous sommes fait plaisir avec des morceaux fidèles au style Dark Sanctuary, de l’autre côté nous avons développé des titres plus inhabituels. Selon moi, il s’agit du disque le plus varié que nous ayons fait jusqu’à présent. D’ailleurs, il est même difficile de définir une seule chanson qui serait représentative de tout l’album.

Une chose frappe d’emblée lorsque l’on considère Cernunnos : son artwork ! Qui va sans doute diviser votre public... Il a été réalisé par le célèbre Valnoir. Comment s’est passée cette collaboration ? Pourquoi ce choix de style visuel, très différent de vos précédentes pochettes ?
Nous voulions vraiment revenir en cassant notre image. Pour cela, nous souhaitions éviter l’éternelle imagerie constituée de cimetières, statues et autre paysages éthérés qui nous ont définis pendant des années. L’idée principale avec cet album était de montrer une certaine évolution. Comme je te le disais, pour la partie musicale nous avons commencé à explorer de nouveaux horizons, tout en restant encore un peu à mi-chemin avec ce que nous faisions jusqu’à présent. Pour la partie graphique, il fallait également nous renouveler. Nous connaissons personnellement Valnoir depuis plus de vingt-cinq ans, mais nous n’avions jamais vraiment travaillé ensemble. Nous apprécions tous son travail et la démarche artistique qu’il a développée dans ses différents projets. Il connaît Dark Sanctuary depuis le tout début, et nous savions qu’en lui laissant carte blanche, il saurait nous proposer quelque chose d’à la fois beau et différent, mais qui nous corresponde. 

Cernunnos sort sur le mythique label italien de metal extrême Avantgarde Music. Comment s’est fait le deal avec eux ? Est-ce eux qui vous ont contactés ?
Cela s’est fait assez naturellement. En effet, notre partenariat a commencé en 1999 avec la sortie de notre deuxième album, De Lumière & d’Obscurité, sur leur sous-label Wounded Love Records ; nous avons continué à travailler ensemble depuis. Ils nous ont toujours soutenus, y compris dans les moments difficiles. Ainsi, pour nous, ils font partie de la galaxie Dark Sanctuary. Ils ont souhaité sortir la version physique de notre EP Iterum que nous ne destinions à l’origine qu’au format numérique, et ont été intéressés de produire le nouvel album. Pour être franc, tout s’est passé assez rapidement et simplement. Nous n’avons pas prospecté ailleurs, ni souhaité particulièrement être sur un autre label, on ne s’est pas trop posé de questions. 

L’heure est à l’hyperactivité pour Dark Sanctuary ! Hylgaryss vient tout juste de sortir Covered By Cold, Drowned In Snow, le premier album de son projet dungeon synth Black Fortress. J’ai trouvé cet opus excellent et il fait suite à des essais plus métalliques datant des années 1990. Encore une fois l’exhumation de choses anciennes ! Avez-vous eu des échanges à ce propos durant la composition de Cernunnos ?
Il y a eu très peu d’échanges en fait sur nos autres projets, nous devions consacrer tout notre temps à Dark Sanctuary. Néanmoins, effectivement, nous parlons un peu de ce que nous faisons à côté. D’autres membres du groupe ont des projets annexes : Black Fortress, entre autres, pour Hylgaryss, Louarnika pour notre violoniste Ahesdis, Iris Capricorn pour notre chanteuse Dame Pandora. Mais globalement, lorsque nous travaillions sur Cernunnos, nous ne faisions que ça.

Ma question suivante fait écho à la précédente. J’ai récemment découvert votre démo Bruises sur la chaîne YouTube spécialisée The Dungeon Synth Archives. J’ai trouvé le son très intéressant et envoûtant, typique du old school dungeon synth, et différent de ce que vous alliez proposer par la suite. Quel regard portes-tu sur le revival de ce style musical, très lié au black metal, comme Dark Sanctuary ?
Dark Sanctuary aurait pu être un groupe de black, effectivement… D’ailleurs cette démo n’est techniquement jamais sortie officiellement. J’avais prévu un petit tirage d’une cinquantaine d’exemplaires, qui est resté dans les cartons, seules quelques copies faites à des proches ont circulé. Avec Bruises, je cherchais à explorer quelque chose qui ressemblât un peu à ce que faisait alors Katatonia, avec un côté plus black et atmosphérique. Cela remonte à longtemps. Dark Sanctuary en était alors à l’état embryonnaire, et la volonté était pour moi d‘exprimer un peu les mêmes choses via deux vecteurs différents. À cette époque, il y avait encore des choses à explorer qui pouvaient être intéressantes, même dans le black. Mais il faut se rappeler que le style était de plus en plus à la mode, de nombreux groupes émergeaient presque quotidiennement. Dark Sanctuary n’aurait été qu’un groupe de plus parmi d’autres, or le groupe avait un potentiel différent. Son caractère unique et atypique correspondait moins à la tendance du moment, mais il pouvait parler à beaucoup de gens, bien au-delà de la scène metal. Le choix s’est donc fait naturellement, et je n’ai jamais donné de suite à cette démo, qui n’a donc jamais été publiée. 
Il y avait aussi toute cette scène "dungeon synth" qui était assez prolifique dans les nineties, avec des projets comme Mortiis, Fata Morgana, Neptune Towers ou Die Verbannten Kinder Evas, pour ne citer qu’eux. Il y avait beaucoup de choses qui sortaient, du bon, mais très souvent du moins bon. Ainsi, presque n’importe quel membre de petit groupe de black sortait sa démo dungeon. Certains musiciens sortaient un peu du lot, mais tout cela tournait un peu en rond, on retrouvait toujours les mêmes sonorités. Même si Bruises correspondait parfaitement à cette scène, j’aspirais à faire quelque chose de plus technique, de plus construit, avec plus de possibilités. J’ai donc très vite ajouté du chant aux morceaux, ce qui a ouvert de nouvelles perspectives, avant que Dark Sanctuary ne devienne un vrai groupe peu de temps après.  
 
Quelles réactions avez-vous reçues jusqu’à présent à propos de Cernunnos et de votre retour ? Des concerts prévus prochainement ?
Les premières réactions sont toutes très positives, cela nous touche beaucoup de savoir que les gens apprécient toujours notre musique après toutes ces années. Nous ne voulions pas refaire un album juste pour la forme. Notre objectif était de réaliser un très bon opus, de la même qualité que les précédents. Ainsi, il fallait donner le meilleur de nous-mêmes, pour que le résultat soit à la hauteur de nos attentes. À titre personnel, j’ai toujours eu du mal à écouter nos disques a posteriori. En effet, je perçois assez vite les petits défauts ou les améliorations que nous aurions pu faire, et cela devient très vite assez agaçant. Mais ce n’est pas le cas pour Cernunnos, ce qui, pour moi, indique qu’il correspond bien à ce que l’on souhaitait faire. Nous en sommes très fiers et satisfaits. 
Pour l’instant, pas de concerts prévus. Cela demande pas mal de temps de préparation et une technique complexe. Étant, qui plus est, tous éparpillés en France avec des professions très contraignantes, il est pour le moment difficile de planifier des dates. Mais nous n’excluons pas totalement cette idée, nous avons toujours pris énormément de plaisir à jouer en live. Si un jour nous arrivons à proposer quelque chose dans de bonnes conditions, en étant suffisamment préparés, avec des emplois du temps coordonnés, pourquoi pas.

Diskögraphie (albums)
  • Royaume Mélancolique (1999)
  • De Lumière & d’Obscurité (2000)
  • L’Être Las - L’Envers Du Miroir (2003)
  • Les Mémoires Blessées (2004)
  • Cernunnos (2023)