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Livre
27/11/2020

Dayal Patterson

Black Metal | L’Évolution Du Culte

Éditeur : Les Publications Du Crépuscule / Camion Blanc
Genre : manuel d’histoire impie iconique
Date de sortie : 2020/09
Traduction : Angélique Merklen
Note : 96%
Posté par : Oliviër Bernard

Violence, sang, mysticisme noir, profondes forêts nordiques… Le black metal, c’est un condensé de tout cela… et plus encore. À la suite des Seigneurs Du Chaos (adapté récemment au cinéma on s’en souvient par Jonas Åkerlund), la littérature sur les méfaits du black metal s’est enrichie. De Eunolie de Frédérick Martin (Musica Falsa, 2003), en passant par les deux Anthologie Du Black Metal d’Alexandre Guudrath (Camion Blanc, 2012), le superbe The Death Archives. Mayhem 1984-94 de Necrobutcher (lui-même !) (Ecstatic Peace Library, 2018) jusqu’au Style Black Metal de Bérenger Hainaut (éditions Aedam Musicae, 2017, une analyse musicologique pointue), le genre inspire les auteurs. Le Britannique Dayal Patterson est la référence dans le domaine. Journaliste pour des magazines respectables tels Metal Hammer, Terrorizer ou Decibel, cet infatigable archiviste de l’obscur a surtout écrit le triptyque du Cult, trois ouvrages majeurs sur le "metal noir" (pour citer nos amis québécois). Nous avions salué récemment la création par Dom Franceschi des Publications Du Crépuscule, nouvelle maison d’édition qui se fixe pour objectif de sortir des livres de grande qualité sur des sujets artistiques alternatifs. La traduction de Evolution Of The Cult (paru originellement chez Feral House) est son premier titre, coédité (notamment pour des raisons logistiques) avec Camion Blanc, en tirage limité. Plus de six cents pages dévolues à ce genre extrême honni, dangereux et créatif, enrichies de nombreuses photos, dont certaines inédites. WELCOME TO HELL!

Quel plaisir de soulever entre ses blanches (vraiment ?) mains ce pavé de deux kilos en format A4 de misanthropie assumée ! Patterson se positionne nettement en historien de la musique, retraçant quarante ans d’expression sonore abominable. Le parti pris est astucieux, on évite l’écueil de la simple récitation, tout en conservant un cadre chronologique assez strict (dans la première partie du bouquin). L’Évolution Du Culte se consulte comme un bestiaire, tentant de définir l’origine du mal et d’analyser le cheminement esthétique, voire idéologique de la horde. L’Évolution Du Culte est construit ainsi selon trois axes : chronologique, géographique et thématique.

Tout d’abord, il semblait évident de comprendre d’où cette engeance venait. Ainsi, les chapitres initiaux évoquent avec force détails la "fameuse" première vague du black metal représentée par les rigolos de Venom (le terme même vient d’eux), Mercyful Fate, Hellhammer/Celtic Frost, Bathory et tout le prolongement "black thrash" (l’esprit satanique allié à la violence rythmique chez Slayer, Sodom, Destruction, Kreator et autres Vulcano ou Sarcófago). Les années quatre-vingt sont amorcées, l’univers du metal ne s’en remettra pas. Progressivement, l’effervescence naît et les liens se nouent à travers les océans, créant une fraternité malicieuse. C’est l’époque où se déploie le "metal extrême", avec l’arrivée du death metal et donc d’un black metal qui avait encore du mal à se définir, porté par des teenagers rageurs. Des quatre coins de l’Europe et de l’Amérique apparaissent des combos féroces : Master’s Hammer en Tchécoslovaquie, Samael en Suisse, Rotting Christ en Grèce, Tormentor en Hongrie, Beherit en Finlande, VON aux États-Unis et Blasphemy au Canada. L’heure du Vrai Foutoir a sonné !

Car l’auteur s’appuie sur le pivot quintessentiel du genre : Mayhem. Il lui consacre quatre parties, mais sa présence est décelable quasiment tout au long du livre. Sans le groupe norvégien, on n’aurait jamais autant parlé du black metal, c’est une évidence. Leurs frasques tiennent lieu de légende noire et sont particulièrement bien documentées. Ainsi, on constate qu’Euronymous a su catalyser un mouvement, créant une sorte de "culte" (dans le sens anglais de secte), mâtiné d’organisation criminelle. Son magasin Helvete et son label Deathlike Silence Productions ont été les points de ralliement d’une jeunesse scandinave en mal de sensations fortes et d’idéologie tenace. Le suicide de Dead, les incendies d’églises, les meurtres divers, tous ces événements sordides sont décrits avec une justesse journalistique remarquable par Patterson. On est vraiment happé par cet univers fantomatique où la haine et Satan sont invoqués pour renverser notre société pourrie par la religion… L’Anglais nous plonge avec beaucoup de talent dans cette scène norvégienne des années quatre-vingt-dix, qui a vu éclore les plus grands noms à venir du black metal mondial : Burzum, Darkthrone, Gehenna, Enslaved, Emperor, Satyricon, Gorgoroth, Thorns… On ne saurait que trop vous conseiller de parachever ce panorama avec True Norwegian Black Metal du photographe Peter Beste ou les documentaires Until The Light Takes Us ou Det Svarte Alvor (1994).

Si la Norvège reste la figure tutélaire du genre (on redécouvre la biographie d’Ulver et Fleurety au passage), Patterson ouvre le champ vers les voisins suédois, qui ont apporté énormément au black metal. Tout d’abord, à travers Quorthon, véritable initiateur de la seconde vague, et le personnage torturé (faible mot) de Dead, vocaliste incomparable. À leur suite, des formations séminales sont apparues, repoussant toujours plus loin les limites de l’extrême : Marduk, Dissection, Abruptum, Shining et Watain. De radicalisme en radicalisme, la question de la dérive identitaire survient ensuite avec l’évocation de la scène polonaise, fer de lance du NSBM (national-socialist black metal). Mais dans les années quatre-vingt-dix, les esprits s’échauffent, on rêve de conquête viking et d’extermination des plus faibles, et ce qui est vrai à l’Est l’est aussi dans le Nord. La tentation de l’extrême droite se retrouve ainsi dans les premiers discours des principaux ténors norvégiens et suédois (à l’exception plus que notable d’Euronymous qui était farouchement communiste). Alors, oui, en revanche, une forme assumée de néonazisme est très prégnante dans le pays slave cité (et en Ukraine itou), avec Graveland en figure de proue. Pour aller plus loin sur ce sujet très précis nous vous recommandons l’énorme anthologie As Wolves Among Sheep. La Saga Funeste du NSBM, parue chez Camion Noir en 2014.

Parmi les thèmes principaux abordés tout au long de l’ouvrage, nous relevons : le satanisme (ou l’occultisme sous sa forme la plus sombre) ; le folklore ; la question de l’intégrité (alors, t’es trve ou t’es pas trve ??) ; la déviance.

Ainsi, la référence au diable parcourt bien évidemment de long en large le genre, cela fait partie de son ADN. La question du Mal est au centre des débats et l’on se rend compte que l’adhésion à la spiritualité sombre fut pendant longtemps une condition sine qua non pour se présenter en tant que musicien de black metal. Depuis les origines, Satan est le maître, et les concerts sont autant d’occasions de lui rendre grâce. Des prestations incendiaires de Mayhem avec des têtes de cochons empalées, jusqu’au fameux live à Cracovie de Gorgoroth, en passant par les cérémonies macabres de Watain, la présence du Malin dans cet art controversé est essentielle. Certains en ont fait une réelle profession de foi, tels Nuclear Holocausto Vengeance de Beherit, Jon Nödtveidt de Dissection (membre du Misanthropic Luciferian Order) ou encore Behemoth.
Parallèlement à cet aspect démoniaque, Patterson constate l’évolution logique d’une partie de la scène black metal vers le paganisme (nordique principalement). L’auteur souligne le fait que Bathory a été le premier groupe à changer de style et de thématique dès Blood Fire Death (1988), créant de ce fait le viking metal. Ceci est à mettre en adéquation également avec l’importance de la nature, des paysages brumeux et forestiers, de ce sentiment d’être à l’écart du monde (même si pour certains cela relève de la pose). L’exploration d’une philosophie élitiste, la référence aux temps anciens, tout cela peut prêter à sourire, mais occupe une place déterminante dans la forme black metal. Varg Vikernes en a d’ailleurs fait son fonds de commerce à travers son positionnement raciste et "odaliste". Cette attitude fière et arrogante est une caractéristique bien établie chez les black métalleux, d’où le conflit entre les "vrais" et les "faux". Alors, peut-on accéder à la célébrité, gagner beaucoup d’argent en jouant une musique aussi sombre ? En somme, le black metal doit-il fondamentalement rester underground ? Le journaliste évoque ainsi le parcours dissemblable de grosses machines comme Cradle Of Filth et Dimmu Borgir et le mouvement français des Légions Noires, qui revendiquait farouchement de rester dans l’ombre absolue en produisant des tirages très confidentiels de leurs œuvres. Les années quatre-vingt-dix ont vraiment été le creuset d’un combat philosophique et éthique au sein de la scène black, un âge d’or sans doute, mais qui aurait pu mener à l’implosion complète de nombre de formations. Et quid d’aujourd’hui ? On se rend compte que la question de l’honnêteté du black metal est toujours d’actualité, Patterson termine l’ouvrage en présentant le post-black metal. Plus de corpse paints, de pics et d’attitudes guerrières, on navigue ici dans des eaux atmosphériques et mélancoliques, où l’intensité émotionnelle prime sur la brutalité pure. Il est ainsi intéressant de constater un renouvellement audacieux de la scène avec la maîtrise et l’excellence de groupes tels Alcest ou Wolves In The Throne Room, mais qui s’éloignent des canons traditionnels.
Enfin l’extrémisme du black metal est érigé en style de vie. Les événements norvégiens crapuleux des années quatre-vingt-dix ont fait la une des journaux bien sûr, et cette déviance consubstantielle à la scène est largement exploré par Patterson. Drogue, viol, torture, violences, armement, on constate avec un certain effroi que les idéaux sataniques, sont mis en pratique par des cas dérangés. Mais ce terme de "déviance" peut aussi s’appliquer à l’enrichissement stylistisque, avec les désordres avant-gardistes d’Arcturus, Manes et Dødheimsgard ou indus de Mysticum, Aborym et Blacklodge.

L’Évolution Du Culte est un livre majeur, une véritable bible (eh eh !) sur le genre. Tout est abordé avec le regard acéré d’un véritable passionné, un spécialiste renommé qui a d’ailleurs fondé la maison d’édition Cult Never Dies, promotrice notamment d’ouvrages sur le metal extrême. Il s’agit d’un travail colossal de compilation, célébrant un style parfois mal connu. On peut seulement regretter qu’il n’y ait pas de chapitre consacré à Immortal ou à Absurd et la scène allemande (mais qui avait été étudiée dans Les Seigneurs Du Chaos). Le livre fourmille d’anecdotes grâce aux nombreux entretiens que Patterson a entrepris au fil des années, et permet de rendre véritablement vivants à la fois le texte et les protagonistes. Pour tout dire, il s’agit d’un récit addictif, qui se lit d’une traite. Rendons aussi hommage à Dom Franceschi qui a su aller au bout de ses idées en proposant un ouvrage véritablement artistique (l’iconographie est somptueuse et nous apprécions tout particulièrement l’encart d’une soixantaine de pages de photos en couleur). Une très belle sortie, un must have pour tous les metalheads et autres explorateurs de l’étrange. Nous souhaitons une bonne route aux Publications Du Crépuscule !
To be continued…