Trois ans, il a fallu trois ans au duo scandinave le plus fascinant du moment pour donner une suite à Depressiv Magi. Mais cette durée inhabituellement longue pour les musiciens s’explique aisément. Avec l’opus précédent, Daniel Silwerfeldt et Anders Nydam clôturaient une trilogie, initiée en 2019 avec Undergangen. Celle-ci avait pour thématique (réjouissante) "[les] mondes en déclin et [les] esprits rongés. Et [le] chagrin dévorant de l'existence terrestre." Et puis, ils ont entre-temps monté leur propre structure, Crying Cosmos, servant de label et de boutique électronique pour Den Sorte Død, Offermose et ANGST Sessions. Hemmeligheden bag Den Sorte Slanges Konstellation démarre donc un nouveau chapitre dans la carrière du groupe, autour de la figure magique du "serpent noir".
Nous sommes ici happés par un style grandiose, farouchement sombre, qui lorgne toujours du côté du dungeon synth. Nous voyageons dans le temps et l’espace, en retrouvant par exemple la puissance diaphane de la meilleure Berlin School des années soixante-dix ("Hemmeligheden bag Den Sorte Slanges Konstellation", "Kosmisk Tomhed"). Silwerfeldt et Nydam diffusent aussi quelques sonorités new age anciennes par moments ("Det Underkastede Udsyn") et rendent hommage au projet expérimental Neptune Towers de Fenriz sur "Verdensrummets Lidelse". Fait remarquable : Den Sorte Død a collaboré avec Christian Berg, musicien suédois de synthpop (Kite, Småland) pour "Karmisk Vansinne". Cette piste se distingue par sa quiétude triste et son effet planant, évoquant légèrement Burzum.
En six titres et quarante et une minutes trente, les deux hommes poursuivent pleinement ce qu’il ont bâti précédemment. Cet album à la pochette apocalyptique signée Elena Biner (on pense à Jérôme Bosch), s’impose une nouvelle fois par sa grâce mélancolique et spatiale. D’aucuns pourraient concevoir une forme d’amertume à l’écoute de ces morceaux inédits, tant la formule ne change pas. Mais qu’importe ! Les artistes suivent un processus rituel qui fonctionne selon nous à merveille. Depuis leur cabane au milieu des bois, ils composent une kosmische musik diablement efficace, à partir de claviers vintage, de réverbération et autres séquenceurs. Chaque élément du disque suit une trame identique, constituée de quelques notes, modulées progressivement, créant un climat onirique et solennel.
Hemmeligheden bag Den Sorte Slanges Konstellation est réussi. Pas de surprise donc, mais quel plaisir de retrouver la formation dano-suédoise après cette attente. Les accords sont en place, les séquences, parfaites et émouvantes. Nous sommes particulièrement frappés par ce talent de nous emmener loin de façon aussi minimaliste. Ainsi, Den Sorte Død se distingue, au même titre qu’Arcana (par exemple), par le fait qu’ils ont trouvé leur son. Certes ils le reproduisent à l’envi, sans réelle originalité, mais justement toute l’essence du combo se trouve dans cette très forte identité. Une sorte d’extase nous étreint lorsque nous écoutons avec recueillement ces textures dantesques, nous plongeant dans la forêt nordique obscure. Désormais indépendants (ils ont quitté le navire Cyclic Law), l’aventure continue avec intensité pour nos Vikings.