Quatrième album pour le duo Denuit, une nouveauté marquée dans notre écoute par leur participation à la compilation RainboWarriors Volume 1 au printemps 2024. Le son des Montpelliérains a encore évolué, vers quelque chose de plus électronique, de moins en moins ouvertement gothique. Et il y a des intonations nouvelles, sur "Tears fall" ou bien dans l'élégance de "Cyanure" qui évoquent la scansion de Rebeka Warrior du temps de Sexy Sushi.
Pourtant, Denuit est resté dans l'escarcelle du label Manic Depression, et on ne peut que souhaiter que cette collaboration porte ses fruits tant les modèles économiques (entendre de survie) des indépendants ont été bouleversés. Si Denuit pouvait attirer l’attention sur ce label, ce serait mérité.
Trêve de détours et de réflexions annexes, Denuit peut vraiment monter en visibilité. Sa musique a évolué, disais-je, mais il y a pour nous moins de surprise puisqu'on connaît tout le potentiel stupéfiant de la voix de Lis Araignée, capable de basculer dans des notes hautes avec un naturel confondant. Là où autrefois, ce talent était utilisé pour étonner, désormais, sa large gamme vocale est intégrée avec plus de liant ; cet aspect plus lissé donne alors un potentiel impressionnant…
On connaissait donc déjà le titre "Cendre" (de plus en plus addictif) et maintenant que le long format est dévoilé, c'est "Wounded Heart", astucieusement placé en deuxième place qui fascine. La base électronique virevolte, se fait clubby sans être dans le binaire, quelque part du côté des essais concluants d'Austra dans les années 2011-2013. Las, ce n'est pas au Canada qu'Ivi Topp et Lis ont envoyé leurs bonnes ondes, mais vers la Suède où Emmon, un temps princesse de l'electroclash, a frémi en entendant les boucles hypnotiques de "Nocturnal Vision". On aimerait retrouver de telles compositions pour un concours Eurovision à notre sauce dark ; peut-être est-ce encore trop connoté pour le mainstream, mais la légèreté porte ce joli titre vers des sphères pop qu’on souhaiterait entendre dans l’avenir.
"Cyanure" va plus loin, avec quelques arrangements très années 1980 (Kim Wilde...) et un texte en français bien écrit. Le duo pourtant ne se risque pas à la variété, tant le talent est fort ; les idées décalées ne valent pas compromission avec le mauvais goût, mais aspirent ce qui touche et sert la composition. Avec "Bleeding Love", la voix se pose, parle par moments, donnant dans la confidence. Le contraste se fait fort avec le refrain haut perché et la montée des pulsations. C'est une belle fermeture / ouverture vers encore autre chose.
On regrettera peut-être l'option boum-boum de "Banshee" (pourtant un coup de poing musical), la mise en avant trop régulière de la jolie plastique de Lis Araignée et des vêtements ("Nocturnal Vision" trop centré selon moi), ou encore la facilité musicale de "Chaos", une recette synth-pop en soft EBM trop entendue au cours des années 2000... pour nous les vieux… Reproches générationnels : pour ces jeunes, c'est leurs premières fois où ils jouent avec ces codes de la génération précédente. Et ils ont raison, puisque nous sommes dans une époque où maquillages et affirmation du corps parfait font partie du jeu. Et, il convient de le dire, voir danser Lis donne aussi envie de danser, de laisser les corps bouger. Denuit, c’est un ensemble sur lequel Lis et Ivi consacrent toute leur énergie.
C'est ce que j'aime avec cette nouvelle vague : les artistes se promènent dans les références passées et contemporaines (Potochkine seraient ainsi les cousins de Denuit), chamboulent les bienséances, n'hésitent pas changer de voie sans clignotants, quitte à nous bousculer dans nos repères. Nous avons donc du mal à savoir où va Denuit, à parfois regretter l'énorme attachement qui nous lie à leurs débuts, mais nous leur reconnaissons le talent, la liberté, l'audace.
Allez, on se le remet ce disque, il y a de la place pour aimer les quatre !