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Ténèbres, puits sans fond. Obsküre plonge, fouine, investigue, gratte et remonte tout ce qu’il peut à la surface

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Interview
21/10/2022

Fleuves Noirs

"Se réveiller et s'énergiser par le travail du son et par les vibrations"

Genre : rock noise
Photographies : Titouan Massé
Posté par : Sylvaïn Nicolino

Transfert de disque entre deux chroniqueurs, le premier étant débordé par ses riches activités annexes. Me tombe sur le disque dur l'album (et le dossier de presse bien ficelé) de Fleuves Noirs. À vrai dire, j'ai d'abord cru que j'allais enchaîner sur un article littéraire, avant de distinguer le pluriel qui distingue ce nom de celui de la Maison d'Edition.

Bon, le dossier de presse, il attend : je préfère toujours commencer par balancer le son sans les informations qui vont avec. Une simple écoute distraite pour sentir si ça me parle, au casque, en triant les mails. Et, c'était prévisible du fait de la personnalité du chroniqueur forfait, Fleuves Noirs, ça tape : rock, rugueux, noir, professionnel et surtout singulier avec plein de petits bouts de trucs que je me dis que c'est bien vu et que ça c'est pour moi, et que par ricochet ça va être pour pas mal de nos lecteurs. On s'imagine souvent que si le musicien et le chroniqueur ont un terrain commun, alors le lecteur fait partie de ce même monde et peut venir jouer avec cette œuvre. Votre curiosité renouvelée conforte cette impression. Fleuves Noirs, donc, je chronique, je lis davantage et je m'engage à lancer quelques questions. L'album sort : on soutient ou pas ? Bien sûr que oui ! L'interview offre aussi l'occasion de nommer les multiples compagnons de route. Un groupe, ça tient aussi par son entourage artistique et technique.

Obsküre : Vous avez des titres assez surprenants qui ne collent pas forcément à l'idée que je me fais du groupe. Comment choisissez-vous le titre des morceaux et celui de vos longs formats ?
Fleuves Noirs : Pour les morceaux, par un humour un peu trop absurde. Parfois, la synchronicité des événements, le sens caché des mots qui flottent autour qui vient se coller sur un instant inattendu. Pour les albums, le premier s'appelle Respecte-Moi, entre injonction et supplique. Une sorte de commentaire sur la volonté très humaine d'être entendu et reconnu à tout prix qui cache souvent une peur de l'oubli et de l'abandon. Le deuxième que tu viens de chroniquer, se nomme Respecte-Toi, comme une réponse, un mot d'ordre. Il faut commencer par là, essayer tous les jours même si on ne peut pas y arriver à tous les coups.

Le travail rythmique est très engagé (ma préférence va à "C'est pour Ça") et vous avez des compositions accrocheuses et entraînantes. Comment réussir à placer la voix et une ligne mélodique sur un travail musical qui martèle ?
Je ne sais pas... Le morceau est déjà fini quelque part, il suffit d'aller le chercher là-bas, faire son petit voyage astral vers la solution. Bien écouter les copains tout en étant dans son monde, s'engager dans la conversation en ayant son mot à dire, parfois marcher sur les pieds de l'autre, mais uniquement si ça fait avancer le débat et que tout le monde est (à peu près) d'accord.

Vous insistez sur la dimension live de votre musique et on sent à l'écoute du disque que c'est un engagement sérieux, intense. Dans quel état physique et émotionnel abordez-vous une répétition ?
On arrive généralement déjà bien amochés par les événements du quotidien. Puis on tente de se réveiller et de s'énergiser par le travail du son et par les vibrations. Pour repartir encore plus usés, mais d'une bonne fatigue.

On sent que chez vous la musique est un exutoire, mais vous ne faites pas du punk ou du black ou du hardcore ni même du noise-rock 90’s : à quel moment êtes-vous sortis des cadres trop formatés des courants musicaux ?
La musique devrait être un exutoire pour tout le monde, sans l'être. Bizarrement, la forme du nôtre est devenue de plus en plus rapide et percutante sur ce disque, mais le but est surtout de créer des états altérés, ou du moins de faire revenir l'esprit dans la racine du corps en lui faisant faire un petit tour sur d'autres plans avant sur la route. C'est difficile de dire si et "quand" nous avons vraiment décroché de courants formatés... Je crois que ça a été un chemin naturel ou même juste la voie de départ pour tout le monde, une recherche d'autre chose. Mais ça reste tout de même très ancré dans des formes connues, non ?

Justement, non, je trouve que vous avez votre patte et c'est cette singularité qui m'a tout de suite étonné. Quand ensuite je suis allé voir le clip, j'ai là aussi été surpris : on a une atmosphère proche de Cocteau – le couloir de La Belle & La Bête –, des mouvements saccadés de danse, un vague rappel de la batcave et une installation impressionnante et luxuriante de jungle. L'installation pour le clip est-elle une création qui existait déjà ?
On a eu la chance de se voir prêter la scène du centre culturel Paul André Lequimme à Haubourdin afin de réaliser la vision d'Honorine (NDLR : Poisson, la réalisatrice), et d'avoir une équipe d'amis et de connaissances talentueuse et motivée qui a proposé un décor improbable. Nous remercions encore Babette Galet et Raphaël Bariatti pour ce travail bien fou, ainsi qu'Elisabeth Delesalle et Kevin Voinet qui ont géré le maquillage et les costumes. Honorine était à l'origine de la vision mais c'est grâce à leur travail commun que nous avons atteint cette esthétique bien chelou, entre kitsch et symbolique, décalage et magie, comme un croche-pied sur le chemin de la révélation. Encore un grand merci à tout le monde et à l'équipe d'Haubourdin, mention spéciale à Gilles Ponce et à tous nos danseurs !

Dans la région Nord, y a-t-il d'autres groupes avec lesquels partager des moments ? Des lieux où la possibilité de se produire existe encore ?
Fleuves Noirs est un groupe résident de La Malterie, à Lille : un lieu de création génial, qui connaît hélas des difficultés depuis des années ; mais on commence à voir le bout du tunnel et nous sommes confiants pour l'avenir. Pour voir les musiques les plus excitantes et déviantes, il reste donc La Malterie et le CCL [centre Culturel Libertaire], mais beaucoup de structures se démènent pour faire vivre la musique en dépit de l'agressive nullité de la politique locale (on ne citera plus Martine...) : Cerbère Coryphée, Ah Bon, Mohamed Dali... Des groupes à découvrir et à suivre, il y en a tant que ce serait trop long de les nommer, mais jetez une oreille à tout ce qui se passe dans le Nord et en Belgique, c'est sans fin, ça se mange sans faim.

C'est un bouquet de labels qui sort l'album : pourquoi cette structuration ?
Pour pouvoir faire vivre la musique. Dans le contexte actuel, il est difficile de produire et distribuer un album "différent" indépendamment : tout coûte plus cher, prend plus de temps, il y a tellement d'acteurs, d'artistes, de façons d'accéder aux sons. Tous les labels impliqués dans cette sortie apportent leur pierre à l'édifice, l'avantage supplémentaire étant qu'ils sont dans différentes zones de la France, ce qui permet aussi une distribution plus efficace logistiquement et d'obtenir les fonds nécessaires à la production des œuvres en additionnant un puzzle financier.

Pourquoi ce titre si court nommé "Omn" à la fin de l'album ?
On tient à remercier Xavier Poittevin, Bastien Loufrani, Cyrille Michaud et Karim Belarbi...

Ah ?… Bon, on fera avec. Merci !

> LIVE 2022 :
03.11 | Lille - Aéronef
11.11 | Marseille - L'Embobineuse
12.11 | Lyon - Grrrnd Zero

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- Respecte-Toi (05/10/2022)
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