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Art & Musique
31/12/2024

4000blackbirds & Flesh:On:Steel

Poudres Aux Yeux : A Soundrack For Hervé Bonhert

Label : [Walnut + locust]
Genre : environnement
Date de sortie : 2024/10/18
Note : 78%
Posté par : Sylvaïn Nicolino

Belle collaboration entre deux pointures des musiques ambient noise. Albérick et son fourthousandblackbirds joint ses idées à celle du Strasbourgeois :Teewee : de Flesh:On:Steel. Mais, à bien y regarder, ils sont en fait trois puisque la pièce unique qui compose cet album de presque quarante-cinq minutes est dédiée à Hervé Bohnert. Plus exactement c'est une commande pour l'exposition des œuvres d'Hervé dans la salle de La Poudrière, espace d'art situé dans la ville de Sélestat (Bas Rhin). Archéologie Alsace prête également des pièces de ses collections et les deux visions (celle présente et matérielle, et celle dématérialisée et auditive) vont se confronter, s'assembler.

La spatialisation des sons est une partie intégrante du morceau et il convient d'écouter les yeux fermés, à défaut de déambuler dans la grande pièce de La Poudrière (on peut aussi s'y asseoir, à l'étage en mezzanine). Des cloches, des crépitements, des échos mêlés, comme des voix formant un brouhaha, de brusques interruptions de pistes (mais pas de silence), comme un cache-cache et des révélations successives. Ce n'est pas une pièce construite dans le sens de la narration ou de la description d'un lieu, pas quelque chose de composé pour faire un sens et affaiblir les yeux par ce que les oreilles perçoivent, mais bien un environnement qui se déplace.

Les différentes atmosphères s'étalent, prennent place quelques minutes avant de muer ; l'accent est mis sur ces temps de passage de quelques secondes, des interludes courts qui conduisent vers un moment différent et singulier. Ce sont des transitions fortes, qui font tendre l'oreille. Les sons sont légers, lointains, en partie discernables (des bouteilles qui se choquent par exemple ou tournent sur un sol de graviers).

Visuellement, la grande affaire de cette exposition, c'est la guerre, ses morts, ses déchets tant humains que métalliques, et sa sublimation par l'Art ou par la découverte archéologique. Le reste, l'os, le morceau, deviennent des petites icônes, des traces respectées.

Hervé Bohnert a obtenu une carte blanche pour installer ses propres créations (sculptures, peintures, photos retouchées, et même un meuble) face à des pièces archéologiques, instaurant ainsi un dialogue entre maintenant et autrefois, entre le connu et nommé et l'inconnu autour duquel on ne peut que lancer des hypothèses. La Poudrière interroge ainsi la notion d'art brut en forçant à la comparaison ; avec malice, Bohnert nomme son installation "Poudre aux Yeux", comme cette terre remuée par les archéologues, comme cette poudre à canon (La Poudrière est d'ailleurs un ancien bâtiment militaire...) et comme les artifices utilisés de tout temps pour tromper le public. La mort est là, elle s'étale, elle est belle sans l'être. Les interstices dans lesquels Albérick et :Teewee: s'engouffrent deviennent des moments où ils rappellent à la vie, poussent à se déplacer, à modifier notre position, tant spatiale que psychologique.

Le sujet est sérieux alors les sons vont prendre le temps de se poser, de créer un espace audible dans lequel on sent une tension, mais sans la subir : elle est ainsi, installée en suspension, jamais trop longtemps saisissable, mouvante, en ombres plus qu'en ondes. C'est un second plan, qui donne des pistes puisque, on le sait, le cerveau va enregistrer ces perturbations et orienter en partie ses réflexions en fonction des stimuli reçus.

Il y a du sacré dans cette musique, ne serait-ce que par les échos de ces cloches qui tintent ici et là ; on peut aussi se sentir en haut d'un col, d'une estive, ou proche d'un océan dont les vagues lècheraient le sable, calé contre un roc ocre dans l'attente d'une tempête, coincé avec d'autres corps dans une tanière, blottis au chaud et attendant... Pourquoi est-on en armes, quel ennemi va surgir ? Sous quelle forme ? 

L'esprit s'emballe, on décroche peut-être des œuvres visuelles, à moins que l'ensemble ne conduise à cette espèce de transe chamanique, un rêve éveillé, un éveil à d'autres possibles, autrefois, ailleurs...