Sorti début avril 2019 sur Artoffact, le quatrième opus studio des Néerlandais Gold (originellement signés sur le beau Ván Records) parfait un son sensible, que d’acrimonieuses duretés incrustent. Des accidents ? Non. Pour ces gens de Rotterdam, pas de choix entre bruit et éther : leur diction est noire, contient certes une romance mais la vibration est existentielle. Alors sur Why Aren’t You Laughing?, ils laisseront aller les choses, et le niveau d’esthétisation est secondaire. Tout cela est peurs et douleurs, affrontées. Elles hantent ce son, dont l’élégance se remarque plus fort à chaque nouvelle parution. Le résultat, charbonneux en surface et subtil en épaisseurs, s’étale tout le long d’une collection aux mélodies envoûtantes et produites par un certain Jaime Gomez Arellano (Grave Pleasures, Paradise Lost). Le groupe a su s’entourer pour dire les choses… et elles viennent d’assez loin, ce dont les co-compositeurs Milena Eva (chant) et Thomas Sciarone (guitares) s’entretiennent avec Obsküre. En toile de fond : une distance assumée vis-à-vis des clichés et autres chemins tracés.
Obsküre : Comme souvent sur la longueur d’un tel travail, le nouveau format album de Gold est imprégné de divers sentiments ou situations, parmi lesquels la douleur et la perte. Au fil du temps, l’expérience vous aide-t-elle à appréhender et à mieux résister à une situation de douleur ? Avez-vous développé une philosophie personnelle à ce sujet ?
Milena Eva : Tout d’abord, je ne pense pas l’on puisse s’habituer à la douleur – mais je crois possible de l'atténuer ou de s’en distancier. Un fait aidant est la conscience de se savoir entouré(e) : vous n’êtes pas seul(e), même si vous le pensez. Il est bon d’être entouré(e) de personnes qui savent ou comprennent, même si vous n’exprimez ou ne verbalisez pas la douleur. Depuis mon plus jeune âge, j’ai connu à diverses reprises la mort et la perte, et je n’ai jamais vraiment appris à gérer cela. Je me souviens avoir été une adolescente extrêmement triste et me sentir mal comprise. Grâce à la musique, j'ai appris que le monde était en réalité plus vaste et ouvert que celui auquel j’avais affaire. Pendant un certain temps, je me suis rendue dans une école où je me sentais intimidée, et je vivais dans une maison où il n'y avait pas place pour tristesse ou larmes. Partout ailleurs, enfin, j'étais l'intruse. Quel soulagement alors que l'écoute d’un album, la lecture des paroles, la contemplation d’une œuvre. Tout s’est mis en place ainsi… Et les choses marchent encore et toujours comme ça pour moi.
Le groupe a-t-il changé entre depuis l’avant-dernier album ? Pensez-vous réinventer un processus à chaque fois ou vous voyez-vous construire voire consolider sur une base établie ?
Thomas Sciarone : Pour nous, le passage d’Optimist à Why Aren’t You Laughing? n’est ni réinvention ni consolidation, mais évolution. Nous avons tendance à réfléchir continuellement à ce que nous faisons, et où nous en sommes à tel ou tel moment. C’est la trame d’un développement constant chez nous : continuer à explorer et trouver diverses manières de nous exprimer. Nous sommes en outre des gens très ouverts d’esprit, ce qui inclut nos goûts en musique. Par conséquent, un large éventail d’artistes influence ce que nous faisons, ce qui joue et impulse des différences entre nos travaux successifs.
La dimension multiforme de votre musique, sans préjudicier à sa stylisation, lui donne une spécialité. De fait, le groupe semble avoir pris distance avec la problématique du genre. L'intuition est-elle un mot clef de votre processus ou, au contraire, vous méfiez-vous de votre instinct ?
Thomas : Nous sommes intrinsèquement mal à l'aise avec les stéréotypes et les clichés. L'intuition pourrait en faire partie… Pour nous, la création d’un groupe détaché de tout genre n’a jamais été un objectif ni un but. Pour autant, bon nombre de nos albums préférés et les artistes nous inspirant ne correspondent pas à un style ou un genre clairement définis.
Votre univers musical s’imaginait ouvert, et vous le confirmez vous-mêmes. Quels seraient les points communs… ou non, entre les membres du groupe en termes de références personnelles ?
Milena : Le point commun entre les membres du groupe est… Gold ! Il n’y a pas de terrain commun à 100% entre les membres du groupe en ce qui concerne la musique que nous écoutons chacun de notre côté. Bien sûr, certains d’entre nous aiment les mêmes choses, mais je ne pense pas qu’il existe un artiste que nous aimions tous au même point et unanimement. L’important est qu’il existe un terrain d’entente entre les musiciens pour ce qui est d’écrire de la musique. C’est là, dans cette expérience, que nous nous retrouvons vraiment.
Votre feeling mêle parfois une dynamique black metal et des substances éthérées délicates – harmonies de guitare, orientation de la voix – ce qui rappellera un certain « bon vieux temps » à certains… et pour ne pas le nommer, l’âge d’or de 4AD ou du moins, celui qui est considéré comme tel p ar ses adeptes 80’s/early 90’s. Votre morceau "Taken by Storm" est un exemple de cette combinaison. Or de nos jours, il existe une tendance au sein des musiques rock et metal à associer ces opposés afin d’obtenir quelque chose de dur et délicat en même temps. Quelle importance a la notion de contraste dans ce que vous faites ?
Thomas : Ce contraste définit très certainement ce que nous faisons. Pourtant, nous n’avons réalisé qu’assez tard que cela faisait partie de nous. Quand nous avons commencé à faire de la musique, nous ne nous sommes pas assis en nous disant : créons ce contraste. Non, nous avons juste fait ce que nous avons fait et après deux albums, nous avons pris conscience que nous développions précisément ce contraste-là, déterminant (rire).
Vous êtes un groupe assez jeune mais votre son s’avère profond et… contrasté, donc. Ce que vous obtenez en son est-il le fruit d’une bataille entre individus ou êtes-vous parvenus à un stade où l’ego serait gouverné par l’objectif d’une musique à servir ? Comment cela a-t-il fonctionné pour Why Aren’t You Laughing? ?
Thomas : Nous pouvons honnêtement dire que Gold est un groupe sans ego. Nous avons une image partagée de ce que pourrait être et ce que représente Gold, et c’est ce que nous recherchons collectivement. Milena et moi avons jeté les bases de chaque morceau pour le nouvel album ; mais lorsque nous commençons à travailler en configuration groupe, cela ne prend jamais la forme d’une bataille entre musiciens... même s’il peut parfois être difficile de toucher la forme à même de faire prospérer l’idée originale.
Vos commentaires sur la vidéo réalisée pour le titre éponyme laissent transparaître la notion de féminisme. Jusqu’à quel point cela a-t-il imprégné le nouvel album ? Y a-t-il en le féminisme une causalité à ce que vous faites en musique, en tant que groupe, et pour Milena en tant que chanteuse ?
Milena : Le féminisme signifie simplement l’égalité des sexes et c’est cette idée que nous visons. Nous constatons fréquemment la situation d’inégalité. Par exemple, Thomas est appelé "le cerveau de Gold" dans un article où je suis simplement qualifiée, moi, de "chanteuse" ; et ce, bien que nous signifiions toujours que nous écrivons tout ensemble, ce qui n’est que stricte vérité ! Franchement, et si j’étais, moi, le cerveau derrière Gold et Thomas le simple guitariste ? C'est du sexisme institutionnel. La société schématise par défaut une manière de regarder les choses dans laquelle le mâle serait créateur et la femme suiveur. C’est finalement le même problème que pour Gold, concernant les genres : nous sommes mal à l'aise avec les stéréotypes et les clichés. Il devrait y avoir davantage place pour les variables, en lieu et place de ces normes et règles que nos sociétés maintiennent avec amour et qui nous limitent.
