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Album
20/04/2024

Gwendoline

C'est À Moi Ça

Label : Born Bad Records
Genre : shlag wave (bis)
Date de sortie : 2024/03/01
Note : 75%
Posté par : Sylvaïn Nicolino

Ah ! le deuxième disque... Celui qu'il faut scruter et qui révèle la fragilité de certaines formations lorsqu'il s'agit pour elles de réitérer l'exploit qui les a vu atteindre la popularité et à l'opposé se renouveler afin d'éviter la redite et prouver qu'elles ont bien plus de talents et de possibilités d'évolution.

Gwendoline est dans une situation incofortable mais pas vraiment comparable à celle de Billy Ze Kick et les Gamins en folie, Reg'Lyss, Stardust ou encore Yannick (un premier succès jamais reconduit), car le projet a attendu trois ans avant que leur disque (sorti en 2017) ne sorte de l'ombre puis que la réédition (2022) et le bouche-à-oreille des réseaux ne propulsent leur musique dans les autoradios et les playlists. Le succès est donc venu subrepticement, en décalage, et comme la musique de Gwendoline était elle aussi un pas de côté, quasiment une boutade récréative, Pierre et Mickaël, déjà âgés et pas naïfs pour deux sous, ont eu le temps de méditer.

Puisque succès il y a, le duo a décidé de ne pas se soucier du confort et la redite est évitée. Ne cherchez pas de "tube" entraînant façon "Chevalier Ricard" et "Audi RTT". On a senti que le climat serait plus rude avec le premier "single" de C'est À Moi Ça, le dénommé "Conspire" : clip qui fustige l'homme, ironie grinçante, paroles moins bien calées dans des vers et des rimes essoufflés, et surtout une musique répétitive qui va jusqu'à la nausée dans son final.

Les paroles sont des rafales de mitraillettes, dézinguant les travers de la classe populaire ("Héros national" et l'envie de reconnaissance par tous les moyens, "Palace Meetic" et le camping en famille, "Parce que j'ai rêvé d'être riche" et une vie en attente dans le noir) ou des plus riches ("Clubs", "Le Sang de Papa" aux sourdes basses magnifiques) en caricatures menées à la première personne. Là où Binet avec sa série de BDs Les Bidochon révulsait et faisait rire, on ne se voit pas rire en concert face à Gwendoline. Les propos sont méchants, agressifs, insultants. Aucune possibilité de chanter et de prendre en charge les pensées mauvaises des narrateurs-personnages. On n'est pas non plus dans American Psycho de Bret Easton Ellis, bien sûr, mais on dépasse la blague potache érigée en valeurs de partage par les sketchs des Inconnus. La lourdeur émotionnelle les rapproche de Fauve (et le phrasé aussi parfois, comme sur "Si j'préfère"), mais c'est bien une angoisse totale qui intervient. La gestion du territoire ("Merci la Ville") condamne la France périphérique à des rêves ras du trottoir. Ou à pas de rêve du tout ("J'vais m'soigner à coups de couteaux").

Ainsi dans "Rock 2000" dont la basse trépidante et le riff de guitare sont aguicheurs : "Je ne vois que des chiens quand je marche dans la rue car je ne fais que baisser la tête comme un animal mort (…) c'est plus la peine de regarder autour : tout va crever dans dix ans." Là où la rage donne des ailes à Sidilarsen ("On va tous crever"), Gwendoline tend le couteau à ses auditeurs. On sortait la tête de l'eau quand, sur le premier album on visualisait une sorte de vengeance de classe : la bande de copains qui se retrouvait au PMU et se promettait la retraite en mobylette. Désormais, devant chez Didier (le dernier bar ouvert) ne fait plus autant rêver. Les copains ont disparu, la faute au succès. Ou aux agressions comme dans la seule apparence de tube, le morceau "Piñata", parfaitement composé, mais sur le meurtre d'un copain !

Musicalement, les compositions tiennent la route : les instruments sont mieux agencés, tournés vers ce bas de la spirale, appuyant méticuleusement sur la notion de passage du temps et d'ennui. D'où cette absence de tubes, de morceaux porteurs. C'est mid-tempo, mou, dépressif.

Des albums du fond du caniveau, on en connaît un rayon chez les goth-metalleux, mais en eux, il y a une colère, une beauté qui permettait de faire catharsis. Ici, point d'élévation, même les chœurs angéliques s'arrêtent soudainement (la fin de "Si j'préfère"). On a des claviers qui s'éternisent, des illuminations dans les partitions rythmiques et dans quelques notes de guitares curesques et des astuces pour la mémoire, mais qui parmi nous voudra chanter en boucle ce refrain, "J'veux passer à la télé", ou bien les paroles immondes qui claquent dans "Le Sang de Papa" ?

Tracklist
  • 01. Conspire
  • 02. Clubs
  • 03. Rock 2000
  • 04. Si j'préfère
  • 05. Héros national
  • 06. Merci la Ville
  • 07. Palace Meetic
  • 08. Le Sang de Papa
  • 09. Piñata
  • 10. Parce que J'ai rêvé d'être riche