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Ténèbres, puits sans fond. Obsküre plonge, fouine, investigue, gratte et remonte tout ce qu’il peut à la surface

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Interview
19/04/2022

h/p

"Les années 1970 et le début des 80’s sont l’âge d’or des synthés analogiques"

Genre : synth-pop / minimal electro
Contexte : parution de 'Programma' chez BOREDOMproduct
Posté par : Emmanuël Hennequin

h/p sort son premier album sous ce nom après un parcours jusqu’ici assumé sous le patronyme Happiness Project. Petit parfum de renouveau en 2022 pour le projet minimal et synth pop français avec la sortie chez BOREDOMproduct du nouvel opus Programma, au gré duquel le groupe signe des mélodies étudiées et soigne tout particulièrement son design sonore. Entretien avec lui sur les ressorts de la mue, et la présence d’un certain Alain Seghir (Martin Dupont) à la basse.

Obsküre : Le changement de nom, le fait d’opter pour l’acronyme h/p, quelle symbolique mettez-vous derrière ? 
Frédéric : Notre dernier album avant Programma s’intitulait Mutation, il était naturel et attendu pour nous que quelque chose se passe après cet album. Nous avons voulu que cette mutation se manifeste à travers le nom. Ce changement est une simplification du nom, histoire d’aller à l’essentiel. La symbolique de l’épure se cache peut-être derrière ce nom simplifié, qui sait ? Avec le souhait de casser un peu notre image, de la rendre plus diffuse, sous-jacente à notre musique elle-même, à l’instar de cette photo prise à l’intérieur d’un tunnel, nous nous sommes engagés dans un principe créatif basé sur le minimalisme, le monde intérieur duquel doit pouvoir surgir une nouvelle clarté pour notre univers musical !

BOREDOMproduct a-t-il favorisé cette évolution vers les initiales ou étiez-vous à l’initiative sur l’action ?
Cyrille : Les deux mon capitaine (sourire) ! Entre les membres du groupe nous nous sommes toujours appelés hp. Le label avait envie, pour le nouvel album, de changer un peu l’image du groupe pour conquérir un public plus sensible à l’esthétique synthé analogique et minimaliste. J’ai proposé à BOREDOMproduct de simplifier Happiness Project en HP puis h/p, et nous avons trouvé que ça sonnait bien avec le nom du nouvel album qui, dès le départ, s’appelait Programma. Il y avait une parfaite osmose entre le titre de l’album, son contenu minimaliste et les initiales de notre nom de groupe ! Nous avons poussé le concept jusqu’au choix de la jaquette basée sur un collage de Stéphane Coubreix, qui montre parfaitement cette mécanique minimaliste et créative ! 

Diriez-vous que l’ambition minimaliste était plus prégnante lors du travail sur Programma, que sur vos travaux précédents ? Éprouvez-vous, vous-mêmes, ce sentiment que le cru 2022 serait plus minimal ?
Christelle : Sûrement, nos toutes premières maquettes des titres de Programma étaient très minimales. Nous voulions un son plus tranché, direct, qui laisse aux voix le soin de donner à chaque chanson sa sensibilité, sa profondeur et sa personnalité. BOREDOMproduct a ensuite travaillé dans cette direction pour produire un album inattendu, surprenant. Le pari est réussi à nos yeux… et à nos oreilles aussi (sourire) !

De quelle manière le minimalisme imprime-t-il vos goûts en musique ?
Cyrille : Le minimalisme imprime l’ensemble de mes goûts en matière de musique, de littérature, de poésie, de cinéma, d’art culinaire même… j’aime le fait qu’une émotion naisse de très peu. En dehors des musiques electro et post-punk, j’écoute beaucoup de musique baroque, en particulier l’œuvre de Hume qui déploie à travers ses compositions pour la viole de gambe un minimalisme qui sait faire jaillir des trésors d’émotions à l’intérieur de soi. Je suis également un lecteur assidu de Modiano. Ce qui me plaît par-dessus tout dans ses romans, c’est justement la simplicité de cette plume qui laisse la place à l’imaginaire du lecteur… J’espère qu’un titre de Programma comme "Les Choses" permet justement aux auditeurs de compléter le minimalisme assumé de cette chanson par leur propre imagination… c’est aussi comme ça que l’on voyage à l’intérieur de soi.

Les bases synthétiques de Programma sonnent très vintage. Jusqu’à quelle période de leur histoire remontent votre appréhension et vos goûts en matière de musiques électroniques ?
Frédéric : Je suis tombé dans la marmite de la musique synthétique en 1978 en découvrant Trans-Europe Express de Kraftwerk ! Depuis, cette esthétique sonore n’a jamais cessé de me fasciner, de capter tous mes sens. Les années 1970 sont le point de départ de cette fascination qui n’a eu de cesse de se renforcer avec les mouvements post-punk des années 1980. Chaque décennie, y compris les années 1990 avec la house music, l’acid house, le trip hop… a eu ses sons synthétiques caractéristiques. Mais pour moi les années 1970 et le début des 80’s sont sûrement l’âge d’or de ces synthés analogiques qui développaient une tessiture et un grain unique. Ils donnent encore aujourd’hui à la musique synthétique sa dimension organique, son originalité et son caractère vivant. Dans h/p, nous aimons jouer nos parties synthés à la main pour en extraire tout simplement une émotion.

Considérez-vous Programma comme un fruit besogneux ou intuitif ?  
Christelle : Programma a plus été un projet réfléchi et besogneux, d’autant plus qu’il a été composé un peu avant la crise sanitaire et pendant. L’exercice de création s’est transformé en une volonté de tenir le choc face à une situation sanitaire inédite et stressante au tout début de la pandémie. Programma est devenu une manière de se donner un objectif, une perspective, une ouverture sur l’avenir. 

N’importe qui pourrait se sentir ému par la luminosité d’un texte tel celui de "Hope in the Distance". Quels évènements / faits / impression ont nourri cette création ?
Cyrille : Pour prolonger la réponse précédente, "Hope In The Distance" est un titre qui a été composé le premier jour du premier confinement. Nous étions tellement abasourdis par ce que nous étions en train de vivre, que j’ai allumé mes synthés et pris mon stylo pour écrire une chanson qui me redonne espoir. J’avais envie tout simplement de dire qu’il fallait résister à cette situation, tenir psychologiquement, tenir le cap et que toute situation finit par passer. Rien ne dure dans l’existence, le meilleur comme le pire… toute situation qui s’achève laisse place à un nouvel événement et c’est peut-être ça l’espoir : derrière chaque porte qui se ferme, il y en a une nouvelle qui s’ouvre. C’est le principe même de nos vies.

La fugacité des choses, le fait  aussi qu’elles nous échappent sans cesse, ressort d’un morceau comme "Les Choses". Que souhaitiez-vous exprimer à travers lui ?
Frédéric : Ici encore cette réponse va compléter la précédente. "Les Choses" est une chanson sur la fuite du temps, sur le fait que rien ne dure et qu’il est difficile d’établir une vérité universelle qui puisse s’imposer à toutes et à tous à travers l’espace et le temps. Le temps file, les gens, les idées, les choses naissent, se développent puis disparaissent naturellement. C’est le mouvement de l’univers dans lequel nous vivons, qu’il nous faut accepter, parfois difficilement. Je dirais que "Les Choses" est une chanson existentielle et philosophique qui traite de la permanence de l’impermanence, qui peut générer en nous une certaine angoisse. Certains la soignent avec l’alcool et la cigarette… d’autres la contournent ou l’embrassent en développant leur intériorité ou leur sagesse ! 

Vous aviez repris en 2021 – et clippé, en collaboration avec Christophe Chamoulaud pour les images et Marie Martaillé à l’écran - le "Just Because" de Martin Dupont. Est-ce le  point de départ de la participation à la basse d’Alain Seghir à Programma ou le projet trouve-t-il racine dans d’autres faits ?
Cyrille : Oui, d’ailleurs je tiens à signaler que nous avons profité de ce clip de "Just Because" pour justement annoncer le changement de nom du groupe. Il suffit pour cela de regarder la dernière image du clip et tu verras apparaître h/p à la surface d’une flaque d’eau. La relation entre Martin Dupont et notre musique est une très longue histoire. En tant que fans, nous avons écouté MD depuis leurs débuts dans les années 1980. Puis j’ai rencontré Alain Séghir en début des années 2000 sur Myspace. Il a montré un intérêt pour notre musique, acheté nos albums et nous avons échangé pas mal de mails sur nos musiques respectives. Lorsque nous sommes arrivés chez BOREDOMproduct j’ai découvert que nous partagions cette même passion pour Martin Dupont avec Member U0176. L’idée d’un tribute a été lancée et nous avons fait le choix périlleux de reprendre le titre emblématique "Just Because". Nous avons mis toute notre âme dans cette reprise et elle nous a valu les compliments par e-mail d’Alain Séghir, de qui nous a donné envie d’aller plus loin. Au moment de la production de Programma, Member U0176 voulait une basse guitare jouée sur le titre "Vicinities". Il m’est venu à l’idée de demander à Alain Séghir de jouer pour nous ce morceau de basse, car en plus d’être un excellent chanteur, je me souvenais qu’Alain était un bassiste talentueux. Il accepté amicalement le défi et nous a proposé un morceau de basse décalé qui s’harmonise parfaitement avec cette chanson ! La boucle était bouclée : avoir Alain avec nous sur Programma était une rêve d’ado qui s’est concrétisé ! Quel joyeux projet non ? (sourire)

Qu’est-ce qui vous lie, esthétiquement ou en esprit, à Martin Dupont ?
Christelle : Pour faire simple et court : cette french touch je crois ! Nous ne faisons pas de la musique comme les Anglo-Saxons, il y a toujours un énième degré dans la french touch ! 

Fred, Cyrille, il semble que vous prépariez un projet commun hors h/p. Que pourriez-nous nous en dire aujourd’hui ? Qu’est-ce qui distinguera ce projet de h/p et quand peut-on espérer en découvrir les premiers travaux studio ?
Cyrille & Frédéric : Effectivement, nous avons un album prêt depuis plusieurs mois, d’un projet que nous avons baptisé Parallel orcHestra ; tu remarqueras que la mise en capitale de deux lettres dans le nom montre que ce projet est un peu la face b d’h/p. Ce qui distingue ce projet d’h/p est que nous n’y sommes que deux et que nous avons entièrement produit l’album de Parallel orcHestra  à notre sauce, sans chercher à coller à la ligne éditoriale d’un label. Nous avons eu le plaisir à travers cet album qui s’intitule Initial de retrouver cette complicité de nos débuts avec Fred, puisque nous faisons de la musique ensemble depuis 1989. Nous avons avancé l’esprit libre, ce qui au final donne un album assez hybride dans lequel se mélangent des sonorités electro, pop, trip-hop, ambiant et dark jazz. Que ferons-nous de ce projet ? Pour le moment nous le gardons secret… Peut-être le restera-t-il ?