C'est un premier album varié et dense que nous offre Harmonic Permanent Drive. Derrière ce nom mystérieux, on retrouve Eric Martin au chant et à la guitare. C'est une voix qui porte, capable de délicatesse ("On my Hand") et de rugosités ("The Monkey in my Brain"). C'est lui qui anime We Insist !
Pour faire corps, il faut ajouter Syn-Anton (son propre projet syn, mais aussi un temps dans Treponem Pal, associé à Von Magnet, etc.). De lui viennent les arrangements, les samples, les composantes "machines" de la musique. C'est important car HPD ne souhaite pas se restreindre à la dimension du rock à la papa. De toutes façons, avec sa guitare et des riffs proches de ceux de Drive Blind (pour ceux qui auraient loupé We Insist !), Eric a déjà bousculé la noise pour la faire évoluer.
Cependant, le groupe est bon dans le domaine large du rock, associant aussi bien les années 1970 pour leur format pop mélancolique et les années 1990 / 2000 pour la manière de transformer les rugissements des guitares et les accords bancals en décorations singulières ("Holy Glory", "Is there Something to kill ?"). Non, le style de Syn-Anton, on le retrouve par exemple sur les souffles de "The World has stopped", dans des cordes et tout de même des rythmiques et des parasites lointains sur "is there Something to kill ?". C'est très bien fait, ça ne surcharge pas la composition. La dominante reste "rock".
Il faut donc un batteur. C'est Etienne Gaillochet, un des membres de We Insist ! et de Zarboth. Il a ce groove cabossé, décalé, inventif très bien capté et rendu ici. Il porte les morceaux, accompagne les riffs, donne une hauteur, une élégance en même temps qu'un impact rock'n'roll. C'est le plus difficile : ne pas entraîner la formation vers quelque chose de trop brutal, de trop direct ("The Monkey in my Brain"). Il me fait penser à l'équilibre que Quentin Rollet avait dû trouver dans Prohibition. Je sens que c'est vers lui que Syn-Anton a dû se tourner pour trouver la bonne place. Démarrer le projet avec cette maîtrise, c'est un point de départ élevé.
Aurélien Esquivet joue de la basse. Je ne connais pas les groupes dans lesquels il officie, je découvre donc son jeu. Multiplicité des intentions, il est capable de se fondre dans l'écrin puis de prendre plus de place ("Graveyard" bourrin, cassé, opiniâtre), de multiplier les atmosphères, parfois dans un seul morceau. Le voir dans les clips est aussi une ouverture.
Il se dégage alors du groupe un aspect foisonnant, débordant. Si je cale sur ma tentative de définition leurs harmoniques glissées, je pense à Voïvod, alors même que les deux groupes n'ont rien à voir. HPD ne peut être affilié à une scène metal et Voivod ne fait pas de titres aussi courts. Pourtant, "Stuck in a Life" a cette assise mouvante, spatiale, hors du temps et de la logique, et "The fuckin’ Way" oscille dans son final entre rock psyché à la Floyd et pesanteur moderne, sans être démonstratif comme feu le math-rock. "Our living Place" me ramène à l'audace de certains pères de la fusion : Fishbone aurait apprécié son démarrage, son "chaloupement" (super parties rythmiques derrière).
Les objectifs sont donc forts : de la liberté, de la technique, un zest de spleen et deux grosses louches d'énergie, pas plus, pas moins. C'est un bel ensemble.
Celui-ci sera renforcé par la mise en scène d'un univers visuel. La pochette cache son contenu (dommage), les clips, eux, commencent à faire émerger un clair-obscur, une agressivité contrôlée et une folie cathartique ("The Monkey in my Brain" pris en charge vocalement par tous les musiciens). Le noir et blanc attaqué par la couleur, les gros plans, les visages en extase ou en transe (utilisation de la déformation) donnent une profondeur à cette envie de jammer et de se posent en alternance. Beauté et réconfort, craintes et pulsions de survie : c'est un efficace reflet du moment présent.