Ça vient du ventre ; la colonne d’air. Quelque chose la travaille. Expurge, expurge.
Le cri (fry) du début de "Broken Rib", le premier single, annonçait la couleur. You Heartbreaker, You : un journal des douleurs, l’œil grand ouvert sur le monde, l’absurdité et la violence dont notre espèce sait faire preuve. Triste génie. Le cœur est en souffrance. "Crève-cœur", disait Daniel Darc - Beth reprend volontiers l’expression à son compte.
You Heartbreaker, You. Miroir des peines, son en abrasion. Sécheresse, minéralité, la froideur d’un ancien rock industriel ou garage, celle que nous frôlions dans un Honey’s Dead (The Jesus & Mary Chain, 1992). Et puis ce bruit des guitares. Johnny Hostile, le fidèle. Johnny a fabriqué tout le son, Jehnny a réagi à la mixture du comparse. Il y a au long cours un effet de chaud-froid : une chair palpite, refuse l’abdication. "I still believe" vous saisit.
Tu ne peux pas être aveugle à ce point-là, tu ne vois pas à quel point ce monde vrille ? Sa violence entaille l’âme et You Heartrbreaker, You est comme un journal des blessures, des chagrins. Raw power, le bruit de l’album est immense. Le deuxième format long de la frontwoman de Savages est sa collection la plus incisive et la figure de style la plus directe de la Française amoureuse de Londres depuis le dernier opus en date de Savages, Adore Life (2016).
Les morceaux sont courts, le disque est court. Esprit punk, elle le revendique. Beth & Hostile concentrent le jet. You Heartbreaker, You passe à toute blinde, shoot de glace et d’adrénaline. L’énergie du disque ressemble à celle dont Jehnny se vide sur scène. Fulgurante, brute. Jehnny a eu la "révélation" sur scène justement, alors qu’elle tourne en première partie de Queens Of The Stone Age, courant 2023. Pour ce son, ce serait frontalité et entre ce moment et 2025, John et Jehn produisent ensemble une forme dont jaillit un bruit hardcore, une conviction en partage.
Il y a un ou deux moments où la familiarité du binôme avec les gens de N.I.N. (Atticus Ross a assisté Jehnny dans la couche de To Love Is To Live, le premier album solo paru à l’époque de la pandémie) se ressent jusque dans le sound design ("No good for People"). Le martèlement est une figure de style ("High Resolution Sadness", charge percussive haute intensité), l’émotion est à fleur de beau et le bruit la porte ("Broken Rib", le final "I see your Pain"). Que vouloir pour soi en ce monde, que vouloir pour un monde duquel n’émerge rien d'autre que la vibration du chaos ? Le bruit : ce son de la persévérance, celui de la flamme, des résidus de l’espoir. Vivre ensemble ne tient pas du miracle, il faut juste le vouloir.
