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Album
24/10/2025

Jessica 93

666 Tours de Périph

Label : Born Bad Records
Genre : noise-rock refroidi et rageux
Date de sortie : 2025/10/17
Photographie : Caroline Vitelli
Note : 82%
Posté par : Sylvaïn Nicolino

On repart pour un voyage abyssal avec Jessica 93. La première sortie en 2012 avait pris tout le monde par surprise par son ambiance early Sisters Of Mercy. Puis, on avait mieux compris dans quelle pièce nous enfermait Monsieur Laporte sur Who cares et Rise. Enfin, avec Guilty Species (2017), on trouvait davantage de rock et encore plus de noirceur. Un album moins facile à intégrer, format long oblige. Depuis, on attendait des suites, qui ne venaient pas, en un temps où l'absence se paye durement par une sorte d'effacement médiatique ou d'oubli de la part du public. Il était là, sortant en autoproduction des lives et des objets informels. Mais nous, nous n'avions pas oublié l'incandescence, comme lors de ce concert aux Pavillons Sauvages de Toulouse en janvier 2019.

2025 : le revoilà ; énervé, politisé.

Les figures prolétaires que Geoffroy se choisit font froid dans le dos. "Florence Rey " (braqueuse et tueuse d'une journée de 1994, devenue iconique), "Le grand Remplacement " (Zemmour et autres saltimbanques de l'embrouille pris sous un autre feu). Les solos se font heavy metal ("Florence Rey", le final de "L'Empire "). Les références amusent, comme le lancement façon "Je T'aime Moi non plus" de "Bébé Requin" ou le côté surf tribal de "Brûlure indienne".

"La Colline du Crack" fonctionne comme un single, porté par sa mélodie lead imparable. Un mur du son se forme, mais les basses continuent à œuvrer pour donner un corps, avec des variations. Un peu de shoegaze dans cette atmosphère, rehaussé par un chant élégant dans sa neurasthénie. La colline offre un point de vue décapant sur les spirales morbides. Ce n'est pas une chanson d'amour, assurerait l'Autre. Et pourtant, quelle classe !

On peut mettre de côté pour l'instant "Frappe chrirurgicale", mal placé en milieu d'album et qui semble stagner, basé qu'il est sur une idée déjà déployée par le passé. Comme si Geoffroy avait repris ses errances le long du RER E (ou cette boucle sans fin autour du périphérique). Le break donne un peu d'allant, les paroles fonctionnent, mais la composition peine à sidérer (on reprendra tout de même le refrain à pleine voix en concert ou chez nous, histoire d'extérioriser nos rages). Bien plus travaillées, les harmoniques glissantes de "Purifier" forment une sortie d'album en apothéose, une implosion-explosion de chagrin faussement aéré. Trip criminel ou lâcher-prise, euthanasie de l'aidant ou féminicide, Geoffroy joue du côté ras de terre et tour de périph pour camoufler une profondeur qui guette l'auditeur dans son abime.

Le chant en français se fait plus audible. Les paroles sont même incluses dans le dossier de presse. "Bébé Requin" étonne par sa poésie et ses métaphores. C'est un texte écrit, adressé, mélancolique plus que dépressif. Une tradition chanson française nage au côté de ce narrateur. Entre poésie et ondes radios.

Pourtant la radio généraliste, Jessica 93 ne l'atteindra sans doute pas cette fois-ci. Le son est fort, lourd, gardant tout de même une place pour la dimension synthétique (le charley, des sortes de tom basse) afin de ne pas sonner trop évident. Avec "Le grand Remplacement" (des aliens débarquent et nous massacrent), les pistes de guitares se superposent, avec un son garage électro puissant, violent. Aucune rapidité, le riff se déroule, un peu à la manière de Ministry lors de l'incompris Filth Pig. La voix flotte, lente, chantée. Hypnotique, adroit, percutant dans cette manière de malaxer et mâchouiller avec entêtement tout espoir.

Les compositions se font répétitives, roboratives, étouffantes ("L'Empire n'a jamis pris Fin"), ne laissant jaillir que ces solos acides et lents comme des aigreurs d'estomac. "Brûlure indienne " atteint une grandeur dans son martèlement, égrenant comme un mantra les résolutions à prendre, les interdictions et obligations à envoyer valser.

Aux écoutes multiples qui suivront l'achat, vous focaliserez sur les détails (production et mixage du copain Arthur Satàn), cristal de notes sur "Le grand Remplacement", sous-couches rythmiques  de la batterie, sur les dysharmonies initiales de "Frappe chirurgicale" (ah, on y revient, alors ? Evidemment...), ou encore les sonorités de guitare à la Sonic Youth sur "Brûlure indienne". Jessica 93, la musique plus riche que son auteur.

Tracklist
  • 01. Florence Rey
  • 02. Bébé Requin
  • 03. Le grand Remplacement
  • 04. La Colline du Crack
  • 05. Frappe chirurgicale
  • 06. Brûlure indienne
  • 07. L'Empire n'a jamais pris Fin
  • 08. Purifier