Joy/Disaster. Les inconditionnels connaissent, les spectateurs de concerts aussi. Mais encore une trop grande partie du public potentiel a loupé ce groupe. C'est que les années ont passé, J/D s'était formé dans un creux de vague et la nouvelle génération des Rendez-Vous et autres Je T'Aime a capté des auditeurs dans son coin. Il manque un effet boule de neige sur notre scène française du rock noir. Je reste en effet persuadé qu'il y a de la place pour plein de groupes. Retour donc sur Joy/Disaster qui fête un anniversaire important avec ses vingt ans de créations musicales. Vingt ans, c'est si vite passé ! Et la passion les porte toujours...
Obsküre : Vous avez débuté en 2005, quelle évolution avez-vous constaté concernant la possibilité de donner des concerts en vingt ans ?
Nico : Au fur et à mesure des années les dates de concerts se sont espacées, tout particulièrement depuis la crise sanitaire de 2020. De nombreux lieux ont fermé, de nombreux promoteurs ont jeté l’éponge et je trouve également que les nouveaux organisateurs d’évènements fonctionnent beaucoup au copinage. Je pense aussi qu’il y a davantage de recherche des sonorités de l’époque et que notre son, trop moderne ou trop personnel, a de plus en plus de mal à trouver de nouveaux auditeurs. Le point positif pour nous est de faire des shows de très grande qualité et que sur scène, le public est unanime sur le côté intemporel de nos morceaux.
Je vous ai connus, comme d’autres, par le biais d’un réseau social qui s’appelait MySpace. Aujourd’hui, vous êtes présents sur d’autres réseaux, qu’est-ce que ça a changé dans les retours des auditeurs ?
Nico : Je dirais que cela n’a pas changé grand-chose d’un point de vue des réseaux sociaux. La seule contrainte est qu’avant MySpace se suffisait à lui-même pour la connexion entre les artistes, promoteurs et médias alors qu’aujourd’hui il faut aborder plusieurs réseaux sociaux pour se garantir un maximum de visibilité. Ce qui a beaucoup évolué en vingt ans et qui nous sert vraiment, ce sont les plateformes d’écoute en streaming qui nous permettent de toucher de nouveaux auditeurs.
En vingt ans, comment le son de Joy/Disaster a-t-il évolué ? C’est une question large car on peut penser à votre technique d’enregistrement, à votre maîtrise musicale et des effets ou encore à l’évolution de vos goûts personnels.
Nico : Globalement le son de J/D a évolué en grande partie avec les musiciens qui sont passés dans le groupe. Le fait d’être passé du format trio en quatuor avec l’intégration de Simon en 2008 nous a permis aussi de passer un cap sonore. Aussi, j’ai évolué dans ma façon de composer les morceaux en prenant en compte la place que les musiciens doivent prendre dans la construction harmonique des morceaux. Au début j’aimais avoir la main sur l’ensemble de A à Z, mais finalement je prends beaucoup plus de plaisir à découvrir ou redécouvrir les morceaux avec les idées de Soupa, Simon et Seb. C’est très enrichissant et si quelque chose me gêne, c’est beaucoup plus facile d’en parler. Pour finir, je dirais que nous avons étoffé notre son global mais toujours avec le souci que nos morceaux restent très mélodiques.
Simon : De manière générale c’est une question de maturité je pense, de prise de recul constante sur notre son, nos compositions et nos arrangements qui nous fait évoluer. Nos influences et découvertes musicales s’enrichissent aussi avec le temps et nous font prendre de la hauteur. Après on comme est un vieux couple : on se connait par cœur et les arrangements se font très facilement entre nous, en suivant le fil conducteur qu’est Nico !
En vingt ans, et en prenant de l’âge, qu’est-ce que la dynamique humaine du groupe a affronté ? Quelles nouvelles questions ou problématiques ont été posées ?
Nico : Pour ma part ce qui a été le plus difficile durant ces vingt premières années est de voir des musiciens quitter le groupe et de devoir en chercher de nouveaux. Ça m’a toujours angoissé de ne pas trouver un nouveau musicien qui n’adhère pas à l’état d’esprit du groupe et à son mode de fonctionnement. Tout est simple dans ce groupe et les qualités humaines ont toujours été très importantes pour moi. Avec du recul, je peux dire que tous les musiciens qui ont passé quelques années avec nous derrière un instrument ont été vraiment incroyables, chacun dans son style nous laisse une trace et des souvenirs mémorables gravés pour toujours.
Simon : effectivement je crois aussi qu’un groupe de musique est avant tout un groupe d’êtres humains et le plus important est d’avoir un bon feeling entre nous, un lien fort, le reste se travaille. Et le changement est toujours difficile lorsqu’il y a une osmose... Ça a été notre cas à plusieurs reprises mais ça nous apprend à relativiser les choses, je crois même que ça booste notre évolution !
Si vous êtes toujours là, dans un monde de la musique où le succès ne nourrit pas ses artistes, c’est que vous ne pouvez pas vous passer de composer ?
Nico : J’aime composer et tenter de nouvelles choses, me laisser porter par les notes et les sons pour ensuite voir se construire un morceau. De plus la musique a toujours été pour moi un exutoire me permettant de retranscrire des émotions sur des thèmes qui me tiennent à cœur. Composer est pour moi un acte libérateur.
Simon : Effectivement le besoin de créer est plus fort que le besoin de vivre de la musique, sinon nous n’aurions sans doute jamais existé ! Je pense qu’en restant un groupe indépendant à taille humaine, on préserve une certaine liberté d’exprimer notre créativité et de la partager aux autres comme on le sent.
Face à une carrière de l’ombre, comment maintenez-vous un équilibre entre l’envie, la jalousie, le découragement d’une part et la fierté, les espoirs et la hargne de l’autre ?
Nico : L’envie est toujours et n’est pas près de se tarir. Je n’ai jamais été jaloux des autres groupes, au contraire je suis content pour ceux qui ont du succès, surtout quand ils le méritent. En revanche de la frustration, oui, surtout quand j’entends certains artistes qui pondent de la musique de merde et qui remportent un franc succès… je n’aborderai pas la montée en puissance de la musique générée par IA mais tu te douteras de ma position sur ce sujet. Le maintien de J/D est surtout ancré dans le plaisir de jouer, de nous retrouver et de partager notre musique avec un public. Durant ces vingt années, nous avons construit un large de réseau de fans qui sont devenus des amis et des connaissances que nous avons plaisir à retrouver. L’état d’esprit du groupe est excellent et vingt ans plus tard, nous répétons avec la même énergie qu’en live, comme si notre vie en dépendait…
Simon : Je suis plutôt fier d’être dans un groupe d’envergure modeste, pour moi c’est un signe de qualité qui vise les oreilles averties ! Et c’est le cas de beaucoup de groupes dans tous styles de musique. Personnellement je n’envie pas spécialement les gros groupes, surtout si la qualité n’est pas de mise... Nous restons libres, nous avançons, et nous avons toujours le feu !
Diriez-vous que les formations plus récentes sont naïves ou extrêmement lucides par rapport au J/D de 2005 ?
Nico : Si on parle des formations mainstream alors je dirais que ces dernières s’adaptent au niveau global des populations à écouter de la bonne musique créée par de vrais artistes. En revanche, le milieu underground est encore très créatif et très vivant dans de nombreux styles musicaux différents mais en effet il faut fouiller pour trouver ces groupes et il n’y a qu’en parlant avec d’autres amoureux de musique que j’arrive à découvrir de très bonnes choses.
Simon : Depuis ces dernières années je sens un renouveau de toute cette scène post-punk / new wave / coldwave avec des choses très intéressantes ! Ces groupes qui reviennent aux sources avec beaucoup de fraîcheur ont très bien compris ces styles de musiques et composent de manière très intelligente, sans réinventer la roue, mais avec leur trait de personnalité !
Qu’est-ce qui a modifié votre définition personnelle d’un "morceau qui sonne" ?
Nico : Un morceau qui sonne c’est un morceau qui transmet une émotion. Cela peut provenir d’un rythme qui donne envie de bouger, d’une mélodie qui fait dresser les poils ou encore qui peut vous faire pleurer. Un morceau réussi est un morceau qu’on a envie d’écouter de nouveau ou qu’on aura plaisir à réécouter plusieurs années plus tard.
Simon : Ma définition personnelle n’a jamais changé, j’ai juste appris à la comprendre ! Quel que soit le style de musique, quand j’écoute un morceau pendant les dix premières secondes au moins, c’est qu’il y a quelque chose d’intéressant. Si je l’écoute en entier c’est que le morceau est réussi, il est cool ! Si je l’écoute plusieurs fois à la suite, alors là c’est qu’il est vraiment bon ! C’est effectivement une question de provoquer l’émotion, même s'il est évident que chacun a sa propre sensibilité.
Est-il vrai que la sécheresse de la guitare acoustique ne vous satisfait plus autant qu’avant ?
Nico : Alors là je pense que ce n’est plus tout à fait vrai car nous avons commencé à nous retrouver pour des sessions de répétitions acoustiques. Nous avons un projet live vidéo dans ce format en septembre et à terme, nous voudrions explorer ce format en live pour accéder à des lieux ne nous permettant pas de nous produire au format électrique. Grâce à cette question tu viens de nous spoiler, mais ceci prouve que nous avons gardé cette envie de surprendre.
Simon : Cette question tombe à point ! On a effectivement redécouvert une manière d’interpréter nos morceaux de manière très différente, plus douce, plus intimiste et aussi plus détaillée. C’est un travail très intéressant !
Si je dis que votre musique est une tension entre rock à la Joy Division et envolée métalliques à la Fields, ce résumé loupe beaucoup de points. Pourriez-vous compléter ?
Nico : Ces deux références me font toujours autant plaisir mais j’avoue que les références qui se rapprochent tant par le son que par la voix se lient à des groupes comme Killing Joke, Depeche Mode, Smashing Pumpkins, Placebo, Editors, Grinderman, Idlewild, The Mission, The Cure, Suede, Deftones, London After Midnight, pour ne citer qu’eux. Après j’écoute beaucoup de métal et de heavy metal, des choses anciennes comme très modernes qui peuvent parfois m’influencer dans les arrangements sonores et mélodiques.
Simon : On pourrait y trouver parfois une ampleur et des ambiances instrumentales post-rock voire doom (Russian Circles, Yob,..)
En vous replongeant dans votre discographie, qu’est-ce qui vous a le plus surpris ?
Nico : Très honnêtement… d’avoir autant de bons morceaux. Pour ma part j’étais assez incapable de choisir dix-huit titres parmi les cent-dix morceaux que regroupent nos neuf albums studio. Il y a les incontournables auxquels nous ne pouvons échapper mais il y a aussi certains morceaux que nous avons souhaité réenregistrer soit parce que les versions d’époque avaient mal vieilli ou que les arrangements ne mettaient pas en valeur le morceau. J’aurais aimé en enregistrer d’autres mais il fallait faire un choix, l’évolution constante de nos playlists live donnera un second souffle à quelques morceaux oubliés trop vite.
Simon : Le nombre de morceaux ! Et la prise de recul sur l’ensemble nous fait apprécier l’évolution et redécouvrir aussi les compositions plus anciennes !
Comment faites-vous pour que personne ne soit frustré dans le groupe ?
Nico : Comme je l’ai dit auparavant, le fait que je garde une intégrité dans la composition me permet de rester libre de mes idées et de mes créations. Ensuite, laisser la place aux autres pour apporter leur personnalité aux morceaux est vraiment complémentaire à tout le travail fait en amont.
Simon : Je pense que Nico a très bien compris qu’un assemblage de plusieurs créativités et sensibilités différentes dans l’arrangement des morceaux donne un résultat solide et ample. On y trouve tous notre compte, on apporte tous notre pierre à l’édifice dont il est l’architecte !
Vous livrez un objet fabuleux (double vinyle, livre de 64 pages) et l’idée a forcément mis plusieurs mois pour germer et aboutir à ce résultat. Pouvez-vous revenir sur les moments clefs de ce projet ?
Nico : J’ai commencé à réfléchir à ce projet de compilation après la sortie de notre dernier album studio (Hypnagogia – 2023). Je voulais faire une compilation mais sans passer par la case remasterisation des morceaux existants pour les mettre bout à bout… Ceci pour moi n’a aucun intérêt. Je voulais de plus que l’intégrité du line up actuel soit préservée tout en laissant la place à des invités qui ont fait partie de l’histoire de J/D mais aussi à d’autres artistes avec lesquels nous avons dressé de très bons liens amicaux. La seconde difficulté était que nous avions prévu dix-huit titres (deux titres par album studio) et il nous en manquait deux pour que les vingt titres soient en phase numérique avec cet anniversaire. J’avais composé quatre titres en 2023 que je n’avais pas encore aboutis et je me suis remis à la composition et à l’écriture pour expérimenter une nouvelle façade musicale que nous n’avions pas encore explorée.
Le coût de fabrication d’un double vinyle étant très élevé, l’intégration d’un livret était vraiment compliquée, c’est pour cela que j’ai opté pour accompagner le double vinyle d’un livre incluant les paroles et des photos de chaque époque. Ceci permet à l’auditeur de pouvoir se replonger dans l’histoire du groupe et de réaliser tout ce chemin parcouru. Nous avons vraiment pris le temps de faire les choses bien en travaillant le son mieux qu’aucune de nos productions précédentes, nous voulions que le son se rapproche de ce que nous transposons en live. Encore une fois nous avons de nouveau autoproduit l’ensemble, moi pour la partie sonore et de nouveau Simon pour la partie graphique.
Ce cadeau surprise des vingt ans, vous le faites pour vous d’abord, pour les fans ensuite ou l’inverse ?
Nico : J’avoue le faire déjà en premier pour nous car étant le front-liner depuis vingt ans et avec ce que tous les aléas qu’une vie professionnelle, personnelle et musicale impliquent, je suis fier de pouvoir aujourd’hui fêter cet anniversaire en sortant un produit de qualité. C’est un plaisir très personnel car nous mettons beaucoup d’énergie dans ce groupe sans la garantie que nous pourrons prétendre à fêter les trente ou quarante ans ; alors nous avons voulu nous faire plaisir et j’ose espérer que les fans partageront ce même enthousiasme à la découverte de ce magnifique objet.
Simon : C’est en effet un partage avec beaucoup de nos fans qui sont pour certains devenus des amis et qui sont fidèles. C’est notre cadeau commun !
Les visuels ont toujours été soignés chez vous ; que révèlent-ils que ni la musique, ni les paroles ne disent ?
Nico : Je ne suis pas le mieux placé pour aborder ce sujet car c’est Simon la patte créative de nos visuels et j’aurais plaisir à me laisser surprendre par sa réponse. Merci en tout cas Sylvain pour cette interview de qualité et à laquelle j’ai eu un réel plaisir à répondre.
Simon : C’est une dimension supplémentaire qui complète, extrapole et sublime le contenu musical. Il est important de soigner le visuel car c’est un canal qui joue sur la perception d’ensemble de l’objet, il ajoute une saveur supplémentaire. L’idée est à chaque fois d’imaginer un univers nourri par ce que dégage l’ensemble des morceaux, les ambiances, la force, la douceur parfois. Là encore il y a une question de maturité avec les années qui me permet d’arriver à un résultat réussi de manière zen, sans me prendre la tête et en allant chercher des techniques différentes. Si je fais une rétrospective des covers, je ne suis pas forcément satisfait de tout (c’est aussi mon côté perfectionniste que j’essaie de canaliser !), mais je suis plutôt content des créations de ces quelques dernières années.