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Ténèbres, puits sans fond. Obsküre plonge, fouine, investigue, gratte et remonte tout ce qu’il peut à la surface

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Interview
13/03/2023

Kas Product Reload

"Nous retrouvons l’essence originelle de KaS Product" (Mona Soyoc)

Genre : synthmusic / coldwave / afterpunk
Contexte : parution de 'Tribute' (IDO, 2023)
Photographies : R. Dumas (1, 4) / P. Slattery (2, 6) / Fr. Pirlouit (live, 3) / Fr. Le Gouic (KPR, 5) / A. Landes (7) / E. Carlier (8)
Posté par : Emmanuël Hennequin

L’aventure KaS Product, démarrée à Nancy à l'aube des 80's, est loin d’être terminée. Après la disparition du cofondateur Spatsz (instrumentations, machines), Mona Soyoc (chant) a repris le flambeau et tient aujourd’hui à rendre justice – à tous les sens du terme – à ce patrimoine. Sa fabrication a ressemblé à un chemin de croix, mais la compilation hommage  intitulée Tribute (IDO, 2023) n'est pas arrivée par hasard : il faut faire vivre la musique et prolonger l’héritage de Spatsz. Nourri par la force de musiciens dotés de l’esprit, sa nouvelle version de KP se nomme KaS Product Reload, et Mona prolongera dans les temps prochains une aventure dont la singularité a marqué plusieurs générations de musiciens et d’auditeurs. 2023 sera une année chargée pour Soyoc, dont l'énergie sidère : elle annonce à Obsküre une foule de projets, à plus ou moins court terme, que ce soit en mode solo ou en collaboration avec d’autres. Mouvement du corps et de l’esprit. Une force, une détermination.

Obsküre : Tribute est une compilation d’anciennetés que tu as personnellement sélectionnées pour les faire redécouvrir au monde. Je suppose qu’il t’a fallu replonger dans les archives, réécouter tout ça, que ça a pu durer un peu… Sur un plan émotionnel, as-tu eu l’impression d’une démarche apaisée ou était-ce plus du genre... ups & downs ?
Mona Soyoc : Ce n’était pas une démarche apaisée, il y a eu des ups & downs. Au début, cette compilation Tribute me semblait évidente et une excellente idée; ça me faisait plaisir. Puis, au fur et à mesure du temps, je n’ai plus voulu que l'on m'en parle, ni écouter un titre. Overdose émotionnelle. C'était comme si je faisais une EMI, expérience de mort imminente, tu sais… où tu passes en revue toute ta vie, tout en traversant plein d’émotions : tristesse, irritation, doute, colère. Aussi, en triant les photos remises par la famille, j’ai revisité les différentes époques de notre histoire. Bref, une drôle de période avec des montagnes russes émotionnelles… et beaucoup de stress, surtout. Car après la mort de Spatsz une personne de son entourage proche, malveillante, s'est introduite dans sa maison par effraction et s'est emparée de tout le patrimoine de Kas Product et des archives de Spatsz, disques durs et ordinateurs. La procédure judiciaire est en cours, évidement ça traîne… mais enfin, ce projet m'a permis de faire le deuil et au final m'a apaisée !

Pour en revenir au CD book Tribute, Il y a peut-être des titres qui vont manquer à certains, mais au final, je trouve que le choix global fait que l’écoute est fluide et cohérente. Sans le soutien d’IDO Productions, j’aurais laissé tomber. Ce fut, en réalité, un travail colossal et de longue haleine. Entre contacter tous les photographes, les personnalités de la presse musicale pour leur proposer de participer à ce projet et ensuite la mise en page de tout ça : les photos et les textes traduits aussi en anglais ! Pfff ! Je remercie la persévérance et la ténacité de Morgane Gosse et de Catterina Virgilio de chez IDO Productions, qui ont, à plusieurs reprises, revu l’esthétique des pages. Et je remercie aussi tous les photographes et journalistes qui ont gracieusement répondu à l’appel ! Au final, c’est vraiment un très bel objet dont toute l'équipe et moi sommes très fières !

La voix est une matière que tu sculptes en faisant sortir la vibration de ton corps. La technique s’améliore au fur et à mesure, et le temps nous donne une hauteur sur ce que nous avons fait. Te sens-tu en paix face aux voix enregistrées il y a des années ou serais-tu tentée, ici ou là, de refaire/modifier certaines choses ?
(Rire) En effet, il y a certaines voix qui sont un peu fausses sur les premiers enregistrements mais finalement, ça fait leur charme. Et c’est comme si ces voix ne m’appartenaient plus, je m'y suis habituée… et je dis bravo à la jeune femme que j'étais, qui a donné son maximum. Je ne changerais rien ! Oui, avec le temps et l’entraînement, la plasticité de la voix s’améliore. Une chose que je ne faisais jamais avant : chauffer ma voix ! Ça fait toute la différence en fait (grand rire) ! Il y a un titre que nous avons refait et réenregistré avec Thomas Bouetel et Romain Baoussan, c'est "Above" de l’album Ego Eye. Cela me tenait à cœur d’immortaliser la version rallongée que nous faisions en concert avec Spatsz. Elle figure sur le CD book Tribute et le vinyle maxi-45 Indoor Lyfe avec d’autres inédits sauvés de k7 et d’enregistrements que j’avais gardés. C'est sorti en novembre 2022 et c’est distribué par l’Autre Distribution sur PussyDisc pour IDO Productions.

Tribute est très "explosé". À l’écoute de la compilation, nous réalisons à nouveau la profusion d’idées et cette force d’inspiration qui vous poussait, Spatsz et toi : le style est ferme mais aucun morceau ne ressemble vraiment à un autre, c’est saisissant. Comment qualifierais-tu votre dynamique collaborative ? Etait-ce généralement de l’ordre de l’évidence ou pouviez-vous vous retrouver en confrontation, ferme le cas échéant, sur certains choix ?
Dans notre "dynamique collaborative" comme tu dis si bien, il y avait une grande part d’improvisation. Surtout au début. On partait d’un son, un riff, un rythme. Il faut se rappeler qu'à l’époque, les synthétiseurs et boites à rythmes étaient analogiques et sans possibilité de programmer quoi que ce soit. Il fallait tout noter sur papier ! Pour mémoriser j’enregistrais tout ce que nous faisions sur K7 audio. J’ai encore des sacs remplis de vieilles impros ! C’est en fonction aussi de l’évolution du matériel que notre collaboration a changé et que nos rôles ont évolué. Quand sont arrivés les séquenceurs ou le premier ordinateur Atari avec le midi, et les premières boîtes à rythmes programmables, j’ai pris du recul et Spatsz s’en est donné à cœur joie à la programmation. Souvent, il me proposait sa dernière cuisine et je m’adaptais et/ou je lui faisais mes recommandations. Ce fut toujours une danse entre nous. Mais pour moi la base était de vibrer sur des sons, des ambiances, des rythmes, donc voilà ! Et oui, il a fallu parfois faire des concessions… et parfois, ça valait le coup. Il y a eu aussi des morceaux bannis ou alors complètement remodelés. Aujourd’hui je reconnais que ma nature est plutôt spontanée, Spatsz était beaucoup plus méthodique. En tous cas, il avait une voracité de composition et de recherche sonore. Il restait rivé des heures. Si jamais on retrouve ce qui a été dérobé, on découvrira des perles sonores !

Foule de témoins et amoureux de KaS Product – journalistes, photographes… – ont écrit des notes pour le format digibook de Tribute : Assayas, Lemaître, Breton, Mercer, Dumas… De l’atmosphère générale de leurs écrits, que retiens-tu ?
J’ai été évidemment très touchée par toutes ces participations ; chacune dans son style. Ce que je retiens c’est que KaS Product n’a jamais laissé personne insensible, et que le groupe a eu une influence certaine sur plusieurs générations. Il y a eu des coups de foudre et des amitiés qui sont nés et ont duré au fil des ans. On nous a déclaré précurseurs et avant-gardistes, et c'est vrai. Bref, même si Spatsz, un jour, à ma grande surprise, a dit dans une interview : "Je n'ai rien à léguer à la postérité", il se trouve qu'il s'était trompé !  Nous avons réussi à apporter notre brique unique et personnelle à l'édifice musical.

Lorsque tu regardes les clichés de Richard Dumas, pour certains présents dans Tribute, que crois-tu qu’il ait capturé de vous en vous shootant ? Le regard de chaque photographe – et ils sont nombreux à avoir shooté KaS – vous a-t-il interrogés sur ce que vous étiez ?
Ce que je vois, ce sont deux gamins complices qui se cherchent, s’affirment, s’expriment, s’éclatent, s’aiment et s’inventent et vivent au jour le jour. Voir et revoir ces photos m’a fait revivre des souvenirs, des joies, des douleurs de l’histoire de KaS Product. Mais en général j’ai beaucoup d’affection et de compassion pour les enfants que nous étions, Spatsz et moi-même. Mais aujourd'hui, c'est un peu comme si je regardais la vie de quelqu’un d’autre !

Le moment où tu décides de monter KaS Product Reload, c’est quand, pourquoi, comment ? Y a-t-il un moment clef dont tu te rappellerais ?
Avec l’idée du CD book Tribute, nous nous sommes dits qu’il fallait remonter sur scène. "The show must go on", on ne va pas s’arrêter là, ni se laisser abattre. On va faire une tournée hommage à Spatsz, hommage à KaS Product ! Faire un pied de nez au sort, au voleur ! C'était impératif ! Au départ, il y a eu plusieurs essais de collaboration avec différents musiciens, puis j’ai finalement trouvé mes perles rares avec lesquels j’ai formé KPR et avec lesquels je joue sur scène : Thomas Bouetel, merveilleux génie de la programmation et du son, avec qui j’ai travaillé plusieurs mois pour refaire et parfaire tous les riffs et sons de synthés et les rythmes. Thomas a rendu ludique et passionnant un travail qui aurait pu être fastidieux : tout ce qu'il me fallait ! Et bien sûr, il apporte sa belle touche perso, colorée. L'autre membre de KPR c'est Pierre Corneau, un excellent bassiste, ex-Marc Seberg et qui, avec son jeu, ses lignes harmoniques et mélodieuses, enrichit les morceaux de KPR de façon bluffante ! Ces personnes m’ont consacré leur temps et leur talent; sans eux KaS Product Reload n’aurait jamais eu cette dimension si… extraordinaire ! Car en vérité, KPR ne fait pas honte à KaS Product, bien au contraire ! C’est au-delà de ce que je pouvais espérer. Spatsz serait content, je crois. Bref, c’est encore une superbe belle surprise de la vie, tout ça ! Comme quoi, dans les drames, se cache souvent un cadeau !

De quelle façon as-tu engagé les pourparlers avec Bouetel et Corneau ? Pourquoi eux ?
J’ai rencontré Thomas Bouetel chez IDO Spectacles à Rennes et j’ai tout de suite sympathisé avec lui. Je le sentais bien, il est super bienveillant et bon esprit. Il a joué et joue dans plusieurs formations. Il a un parcours atypique. Professeur, informaticien, programmateur, banjo-iste, guitariste, bref : multi-talent. De plus il est ambidextre. Il a tout de suite été chaud pour l’aventure. Il m’a énormément encouragé et épaulé dans mes décisions, il me disait toujours : "Mona ,c’est toi le chef."
Pierre, lui, est arrivé après, les titres étaient finis. Je connaissais Marc Seberg, mais je ne connaissais pas vraiment Pierre. Je le voyais dans les cafés et les concerts quand je venais à Rennes et depuis longtemps, j'avais rêvé d’un bassiste pour KaS Product Reload. Je trouvais que ça ramènerait un beau grain et de la chaleur. L’idée a fait son chemin et un jour, Pierre a su que nous cherchions quelqu’un. Il s'est proposé. Nous nous sommes donné rendez-vous pour une répétition et j’ai sauté de joie à l’entendre interpréter les morceaux. Notre trio KPR était né !

La performance de "Fever Lust" filmée live à Place Cliché récemment dévoilée apporte une fraîcheur au morceau. En effet, quelle basse, Corneau ! De quelle manière le projet KaS Product Reload envisage-t-il la défense du fond de catalogue ? Êtes-vous dans une optique de refonte poussée des anciens titres de KaS Product, ou plutôt dans une restitution live des originaux qui resterait proche de leur forme ?
Nous sommes à fond dans une réadaptation des titres tout en augmentant l’énergie de KaS Product. On retrouve l’essence originelle, évidemment ! Nous jouons sur scène des morceaux tirés de toutes les époques : du premier 45T, en passant par chaque album et maxi, avec un apport de quatre inédits qui s’intègrent allègrement dans un set d’une heure vingt modulable. Il y a des titres que je n’avais jamais joués sur scène auparavant. Avec Pierre et Thomas, toute la musique de KaS Product a pris une superbe et nouvelle dimension ! J’ai hâte de la partager avec un public plus large.

KaS Product Reload s’inscrit-il dans une optique studio durable, ou le projet se cantonne-t-il à la réfection des nouveaux morceaux démarrés par Spatsz et toi ?
Ce sera un mélange. C’est vrai que j’ai pas mal d’archives, depuis le temps. En vérité, il y aura des nouveaux morceaux et des versions dont la base a été faite par Spatsz. Il y a déjà plus d'une dizaine de titres amorcés, embryonnaires. Cet été, nous allons enregistrer tous les démos et espérons pouvoir finaliser l'album fin d'année 2023.

Les bandes contenant les nouveaux titres originaux ont été subtilisées par une "personne mal intentionnée", comme tu as pu l’expliquer auparavant (cf. l’interview de Mona dans Persona #19). Aller en studio avec tes précieux aidants pour la réfection des morceaux, acte-t-il ton abandon de l’espoir de récupérer ces bandes originelles, ou alors, la légalité reste-t-elle le moyen te faisant espérer obtenir la rétrocession des sources ?
Il est vrai que je n’attends pas après la justice pour récupérer les disques durs et enregistrements mais je voudrais simplement que ce malfaiteur soit appréhendé et reconnu coupable. C'est tout un patrimoine qui a été dévalisé et cette personne a cherché à me nuire, ainsi qu'à la famille de Spatsz, à ses ayants droits. Oui c’est maintenant entre les mains de la justice. Mais le premier policier à qui nous avons eu affaire nous a dit : "Si j’étais à votre place, j’irais chez la personne récupérer ça avec un trio de gros bras intimidant"…Comme quoi les flics connaissent les méthodes d’usage efficaces et sont parfois de bon conseil ? (Rire)

Les bandes-maîtres des albums studio sont-elles en lieu sûr ou ont-elles aussi été subtilisées ?
Après la mort de Spatsz, les portes de sa maison ont été défoncées à la perceuse. La plupart des ordinateurs et disques durs ont disparus avec tous nos enregistrements et archives car Spatsz gardait tout depuis des années.

Tu détiens, toi, des sources de l’enregistrement 24 pistes de la performance à Bourges avec Rowland S. Howard, évoquées dans ton entrevue dans Persona #19. Comptes-tu les publier un jour ?
En effet je détiens deux bandes 24 pistes du concert de Bourges et Paris de 1985, avec entre autres Rowland Howard à la guitare (Birthday Party, Crime & The City Solution) mais aussi Daniel Pabeouf au saxophone (Marquis de Sade), Chick Ortega (Dick Tracy) à la batterie, et Polly et Molly au chœurs. Un traitement spécial doit être appliqué aux bandes qui ont dormi et supporté longtemps des changements de climat : il faut les cuire à basse température pour éviter qu’eelles se détériorent. Tout ça demande un budget, mais je ne désespère pas de les remixer après avoir trouvé un financement… pour la cuisson ! On parle cuisine en musique !

Reste-t-il, dans les archives de KaS Product, des morceaux que vous n’auriez pas sortis et qui pourraient un jour être dévoilés… du moins pour les sources que tu détiens ?
Oui il y en a plusieurs car même si les enregistrements ont été volés, j’ai quand même quelques maquettes bien abouties !
L’ultime inédit "Doors" est particulièrement beau. Dans quel contexte a-t-il été composé ?
C’est un très vieux morceau qui date de la fin des années 1980 et que j’ai retrouvé sur une K7. Un jour, je l’ai fait écouter à Spatsz en disant : "Hey, et celui-là, ça te dit de le faire ?" Et du coup quand nous étions à Rennes, nous avons enregistré une bonne maquette qui figure sur le CD book Tribute et Indoor Lyfe, le maxi.

Cette quinzaine de morceaux que tu avais commencé à travailler à la guitare et qui devaient être enregistrés fin 2022 : c’est en bonne voie ? Les sortiras-tu en nom propre ?
Oui, sous le nom de Mona Soyoc's Band ou quelque chose comme ça. Nous avons enregistré quatorze titres en démos. La finalisation est dans le collimateur mais je n'ai pas de date, c'est encore un projet né pendant le confinement. C'est des balades de mystères, des histoires marécageuses ! Je suis à la guitare en quatuor avec Thomas Bouetel aux claviers et percus, Pierre Corneau à la basse et Daniel Paboeuf avec ses effets, au saxophone.

Mellano Soyoc : un deuxième album dans le viseur ? Dis oui ! Dis oui !
Je suis très heureuse de t’annoncer qu’Olivier et moi sommes dessus,  justement nous avons jeté les bases d’un nouvel album Mellano-Soyoc pour novembre ! On va garder un bon rythme ! Donc je te dis OUI ! C'est en cours !

 

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- le 22/04/2023 pour le Disquaire Day @ Gibert Jeune (Paris)
- le 29/04/2023 @ la Maroquinerie (Paris)