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Album
23/04/2020

Katatonia

City Burials

Label : Peaceville
Genre : spleen metal | perpétuelle mutation
Date de sortie : 2020/04/24
Photographies : Katatonia © Ester Segarra (2020)
Note : 80%
Posté par : Pascäl Desmichel

Quatre ans après son dixième album studio The Fall Of Hearts, 29 ans (déjà !) après ses débuts, le cultissime groupe suédois revient après un changement non négligeable de line-up (arrivée du guitariste Roger Ijersson, retour d’Anders Eriksson apprécié pour ses contributions "claviers" sur Night Is The New Day, Dead End Kings) et une pause que le duo fondateur juge salvatrice, notamment parce qu’elle a permis de prendre conscience de la nécessité "d’aller de l’avant."

Mais qu’est-ce donc qu’aller de l’avant ? À vrai dire, il n’est pas simple de s’emparer du nouvel opus de Katatonia et la "méthodologie du refroidissement" est particulièrement de rigueur pour ce City Burials. L’idée maitresse qui ressort après plusieurs semaines d’écoute est que nous sommes là en présence d’un album dont le parti-pris artistique semble être celui de la diversité. "City Burials est à la fois une réaffirmation des valeurs musicales et un courageux bond en avant", affirme Jonas Renkse (source : site officiel). On sait déjà que Katatonia a le don d’être à la fois immédiatement reconnaissable tout en s’aventurant sur des terres tour à tour métalleuses, acoustiques, atmosphériques ou progressives. Et le groupe semble vouloir nous signifier qu’il n’a pas l’intention d’arrêter là les expériences sonores, en nous livrant avec City Burials une tracklist à l’allure de montagnes russes. Livrons-nous d’abord à un bref descriptif des morceaux avant de dresser un bilan et d’esquisser ce qui pourrait bien ressembler à un débat… du moins une discussion.

UNE TRACKLIST À L'ALLURE DE MONTAGNES RUSSES
"Heart set to divide" entend rassurer son auditoire et donner le ton. Katatonia n’a pas perdu ses grandes qualités en chemin : toujours ce sens mélodique et cette signature sonore si particulière (exceptionnelle). Les Suédois sont de retour et, rassurez-vous, c’est toujours aussi bon (!) et ce premier titre a tout d’un futur grand classique du groupe.
Deuxième titre, deuxième message : "Behind the Blood" a décidé de se rappeler aux fans de bon (« vieux » ?) heavy metal, épique, avec solo de guitares et tout le toutim. Il s’agit là d’un des morceaux les plus longs, par le format, mais aussi des plus longs par le temps qu’il faut à l’adopter. Doté d’une certaine "complexité" dans sa composition, il n’embarquera (séduira) que les adeptes de ce type d’exercice. On peut d’ailleurs adjoindre à "Behind the Blood", le quatrième titre, "Rein", constituant le penchant de ce morceau "pudding" relativement dispensable. Katatonia ne nous emmène ici nulle part et les écoutes ne font qu’aviver un sentiment… d’agacement. Ni nouveauté, ni mélodie, ni atmosphère. Aïe ! Mais l’album ne s’arrête pas là et venons-en maintenant – peut-être – à l’essentiel.
Car entre ces deux titres dispensables commence la première surprise de l’album, surprise qui a déjà produit son effet puisqu’il s’agit du premier single, "Lacquer", qui, de "belle chanson" de prime abord, devient au fil des écoutes un chef d’œuvre d’atmosphère dont la tension et la retenue vous collent littéralement la chair de poule.
"The Winter of our Passing" dure à peine trois minutes, et quelles minutes ! Il s’agit là d’une pépite, d’une authentique petite orgie à fort potentiel tubesque et, osons le dire, quasi (absolument)… dansante ! La mélodie, immédiate, vous attaque le cerveau et dispose de toutes les qualités (et le format) pour passer sur une bonne radio FM ! Katatonia tenait là (tient là) son tube absolu, celui en capacité de mettre tout le monde d’accord (nous y reviendrons)...

Après cette petite folie tubesque, une nouvelle surprise arrive (la troisième déjà si l’on compte "Lacquer") ; celle-ci s’appelle "Vanishers", tout droit sortie d’un album d’Anathema période actuelle (autrement dit "post Judgement"), avec la présence d’un chant féminin. On a ici clairement quitté le monde du metal, atteint un degré de lyrisme qui va en gêner certains sans doute. Le groupe suédois s’aventure très loin avec ce passage tout en délicatesse servi par la voix d’Anni Bernhard (Full Of Keys).
"City Glaciers" nous ramène ensuite à l’univers plus familier de Viva Emptiness ou Tonight’s Decision, avec de longues atmosphères mélancoliques comme on aime tant les savourer chez Katatonia. On est bien ici "chez soi"...
L’organisation de la fin de l’album semble constituer la symétrie exacte de sa première partie, à savoir deux morceaux assez lourds, plus oppressants et torturés ("Neon Epitath" en particulier) entrecoupés d’un passage plus calme, "Lachesis", titre (trop) court qui semble vouloir nous embarquer dans les mêmes sphères éthérées que "Lacquer".
Enfin, penchant tout aussi réussi que "Heart set to divide", "Untrodden" clôt l’album de fort belle manière et boucle ainsi la boucle avec cette composition qui nous rappelle, au cas où on l’aurait oublié, que Katatonia développe des mélodies et des atmosphères de haute voltige, avec des passages de guitare somptueux… et ceci sans jamais se caricaturer.

CE QU'IL FAUT RETENIR (ET PEUT FAIRE DÉBAT)
1 | D’abord l’essentiel : Katatonia est et demeure immense (!). City Burials montre l’ampleur du talent du groupe qui parvient à cultiver son esprit d’ouverture tout en conservant son identité sonore. Le groupe s’est livré à un exercice d’équilibriste et le pari est plutôt réussi si on considère qu’il s’agissait là d’une tentative de synthèse. City Burials est un album très riche qui révèle – plus ou moins vite – la force des compositions et le travail impressionnant qui a été réalisé. Les titres alternant ambiances puissantes et sensibles pourraient se résumer en trois catégories. Il y a ceux qui surprennent, par la nouveauté, par un son qui ose, qui se fait plus sensible, plus léger, plus aérien que jamais. Il y a des titres qui rassurent parce qu’ils évoquent des terres connues, mélancoliques et mélodiques, véritable quintessence du savoir-faire du groupe. Il y a enfin ce qui peut agacer, à savoir une approche heavy metal plus ou moins savoureuse (ce sera selon les goûts), et qui a de quoi désemparer. Et ce désemparement est d’autant plus grand que le groupe a vraiment l’air de tenir à ce virage artistique en allant jusqu’à affirmer qu’il désire "récupérer une partie de [leurs] racines heavy metal", et va jusqu’à revendiquer "plusieurs moments de classicisme exubérant et old school" (sic).

2 | City Burials pose un certain nombre de questions : faut-il considérer le lancement de l’album avec le single "Lacquer" comme un message subliminal sous-entendant un possible tournant musical résolument plus calme et aérien ? Pourquoi alors avoir choisi quelques semaines plus tard de livrer "Behind the Blood", ce second single diamétralement opposé au précédent ? S’agit-il là d’une opération visant à rassurer – séduire – le public plus métalleux ? Cet album composite ne dit finalement rien sur l’orientation future du groupe (sinon qu’il a du talent) et c’est ce que nous regretterons.

3 | Car cet opus regorge de possibles ( !), développe des horizons particulièrement enthousiasmants, dont on veut croire qu’ils prédisent des jours nouveaux. Alors, oui, pourquoi pas quelques morceaux un peu lourdingues et surannés en concert, histoire de s’amuser un peu, MAIS ce nouvel album semblait tellement porter les germes d’une petite révolution sonore que l’auditeur ressentira peut-être une frustration (un agacement, voire un ras-le-bol, selon l’humeur et l’heure du jour) à l’écoute de quelques relents heavy metal peu convaincants. Car "Behind the Blood" et "Rein" n’apportent rien à l’édifice même si Jonas assume et revendique pleinement ces deux titres, jusqu’à s’en amuser ("Nous ne sommes plus les plus jeunes et nous avons tous grandi avec de la musique heavy metal. Lors de la dernière tournée que nous avons faite, nous avons joué une reprise de Judas Priest tous les soirs, "Night comes down", et c’était tellement amusant de le faire, nous avons pensé que peut-être nous devrions avoir quelques trucs de heavy metal des années 1980 jetés dans notre musique […]. Je pense que ça marche très bien. C’est quelque chose que nous allons probablement profiter de faire en live, ce genre de riffs et les solos"). À n’en pas douter, les concerts à venir (à partir de juin 2020… ou plus tard !) seront une fête mais Katatonia semblait parti avec City Burials pour nous embarquer ailleurs que sur les terres de Judas Priest. Nous reprendrons là, à notre compte, le propos tenu par un fan sur un forum à l’écoute de "Lacquer" : "Honnêtement, Katatonia sont si bons dans cette pulsation électronique sombre [nous soulignons] que je ne me plaindrais pas si l’album entier sonnait comme ça." Oui : les Suédois ont révélé avec City Burials une (notre) envie d’horizons électroniques, plus sensibles et atmosphériques que jamais.

4 | Bref, cet album va faire parler de lui, va tour à tour irriter ou enthousiasmer. Une chose est certaine, et ce sera là le dernier point qui mettra tout le monde d’accord : le chant de Jonas est toujours aussi bouleversant. L’homme, à la sensibilité à fleur de peau, détient une capacité à bouleverser extrêmement rare, et qui fait dire à tant de gens, à juste titre, qu’il est la plus belle voix du metal. "This man's voice makes me want to cry and live!" : tout est dit dans les mots de cette fan. Katatonia est incarné par cet homme et la (notre) ferveur pour ce groupe n’est pas près de s’éteindre.

Tracklist
  • 01. Heart set to divide
  • 02. Behind the Blood
  • 03. Lacquer
  • 04. Rein
  • 05. The Winter of our Passing
  • 06. Vanishers
  • 07. City Glaciers
  • 08. Flicker
  • 09. Lachesis
  • 10. Neon Epitath
  • 11. Untrodden