Le nouveau Krav Boca m'a fortement impressionné. Je suis la formation depuis quelques années, quelques disques et quelques concerts. J'avais un peu l'impression d'avoir fait le tour et que la troupe se trouvait dans une impasse avec des gimmicks nécessaires, des envies qui n'avançaient plus et un épuisement dans l'imaginaire. Je n'avais même pas vraiment écouté leur double concept 6 A.M. Et 6 P.M. sorti en 2022-2023.
Grossière erreur ! Heretic est leur septième long format et l'impression générale, c'est un retour de la colère très bien enregistré. Les couches de sons se font féroces, hargneuses, cumulant les riffs hardcore-metal (mais sans sonner lourd) et les nappes plus sombres. La captation est précise, soulignant aussi bien la musique que la voix (bel assemblage sur "Trauma", où douceur mélancolique et rage dépressive se côtoient sans se griller réciproquement). La richesse des rimes souligne l'impact voulu, sans concessions. Les paroliers se complètent en donnant de la fureur et du rythme ("Panik", petit brûlot qui dépasse les deux minutes grâce à un break), tout en gardant cet aspect foufou amusant, un décalage dans l'absurde et le potache alors que tout va mal. Des volutes plus heavy malsaines enrichissent le propos, on les entendait en live sur quelques titres, cette fois, l'emballage prend toute sa place et lorsque Critical vient pousser sa voix, on a une formule complète et pertinente ("Chiens dla KS").
La baston sous slogans politiques fait mouche, une nouvelle fois ("Mortier" pour le nouveau tube pro-émeutes bérurières, "GM2L" encore plus référencé sur son démarrage). Plus loin, ce sont des volutes synthétiques qui illuminent la furie de "Makita". C'est très bien composé et on se demande à quel moment les musiciens ont eu le recul nécessaire pour concevoir et réfléchir à ce que dit leur musique. Il ne s'agit pas seulement de composer des partitions pour faire danser et hurler les foules dans des concerts spectacles, mais bien de créer des atmosphères parfois à l'intérieur d'un même titre, de bousculer les attentes, de provoquer un étonnement. Les détails foisonnent, éloignant le glaçant fantôme de la facilité. "Fanatik" donne peut-être des réponses pour qui prendra le temps de bien écouter, un manifeste sur la violence créée par les attentes des fans, par le feu qui inonde de sa lumière. Il fallait réussir à préserver le bizarre. C'est chose faite, avec des pointes BM judicieusement placées sur un final... symphonique ? Émotif ?
Avec "Mortem", les paroles sombres explorent les angoisses et la virulence extrême que la société moderne et bornée provoque. Du haut de sa trentaine, le JE lyrique sort de l'élégance et dénonce-annonce le pire à venir, sursaut de vitalité en phase terminale pour une jeunesse déjà lointaine qui cherche ses repères, face aux bêtises et aux dénis. Il serait maladroit de reprocher la binarité du propos face aux ennemis si nombreux et présents au quotidien. Cette manière de voir le punk ou le rap par sa face la plus obscure est aussi ce qui fait sens.
En se faisant violence, le groupe retrouve ses couleurs et de l'efficacité, cette force leur permet de basculer sur des mesures plus douces ou plus expérimentales, en combinant adroitement leurs envies, hors de toute case pré-formatée.
Le chemin parcouru, au sens physique des kilomètres de tournées incessantes, au sens spirituel pour accrocher sans cesse un public et des artistes autour de soi, mène à des sommets. De là, Krav Boca ausculte les gouffres contemporains.
