Les Modules Étranges ont passé leur carrière à ne pas stagner. Les envies sont si larges qu'il leur faut avancer, perdre des gens en route, en gagner d'autres, courir après les retours en un temps où il est extrêmement dur d'être juste un petit groupe.
Fast Fashion Music est donc le dernier venu, peut-être le dernier tout court. Son titre condamne le digéré, mal fait, à la mode, jeté à peine consommé. Gageons que ce ne sera pas un album que les gens vont s'arracher en postant de courtes vidéos sur Tiktok avec mines extatiques et grands yeux pour se vanter de l'avoir eu avant les autres.
Malgré une teneur très synthétique, annoncée par le visuel, LME ne fait pas de la new wave ou du synth-metal. On est plus dans le registre expérimental et intellectuel sur un fond sonore renouvelé. Et puis, on bascule dans un titre langoureux, mid-tempo aux basses qui ronronnent et qui a un chant double en autotune , déformation au maximum ! C'est donc innovant, inouï. On pourrait dire que ça tisse des liens avec Die Form et des musiques chaudes (le grand écart), entre un univers robotique hors de contrôle (la musique n'est pas répétitive) et une cérémonie sensuelle ("The Crash »).
C'est le récit d'une sorte de virée en Californie, à la rencontre de figures et de lieux, ceux-ci se révélant quelque peu vides, superficiels, tournant en boucle des slogans creux. Malgré les trépidations du voyage musical, on sent bien que si la roue tourne encore, malheureusement le hamster, lui, il est bien mort ("Los Santos Revolver Gallery"). Tout au plus son fantôme saisit une guitare et livre encore quelques riffs, avec toute la peine du monde dans ses petites pattes : c'est que ce qu'il a vu de sa cage le terrifie. Il faut bien quelques voix soufflées, comme des menaces ou des demandes, pour survivre. Il a renoncé le rongeur, tout ça va trop vite ("Faster and faster").
Avec un tel parti-pris iconoclaste, LME casse son statut iconique, construit dans les années 2000. Fini le gothique, fini les sorties folk, rituelles. Place à la musique / non-musique. C'est un moyen de travailler à définir ce que serait la "post-musique" de notre époque si étonnante. The Swindle a aussi mis en place ce concept, jouant des attentes d'un public de niche, sublimant le positionnement de l'artiste face à ces demandes et pressions. LME bascule alors sa musique dans ce qu'elle pourrait être s'ils succombaient aux sirènes des algorithmes. "Hé, l'IA, mets- moi un passé goth et du son actuel, mais en faisant en sorte que ça ne ressemble à rien ! - Game over" répond le logiciel et il place avant de planter un "Overdrive" survitaminé et, ma foi, bien sympathique.
Il faut donc enlever ses œillères, accepter ce remue-méninges, ces élucubrations. Plonger avec honte et délices dans ces titres qui n'en sont pas vraiment ("Cabin in the Desert" s'envole, retombe, redécolle...), qui tirent à hue et à dia et font de ce long format une playlist atypique. En même temps que ça joue, ça pousse à réfléchir.
Cette fois, c'est Baba Yaga / Edwina qui a pris les choses en mains : ce disque, c'est sa vision, ses envies principalement. Voir jusqu'où on peut amener le projet. Car, si pression du public il y a, celui-ci est si versatile qu'il ne consomme plus, n'achète plus, ne commente plus. Même le piège de la fausse référence à Lynch (le très bon dernier titre) n'a pas déchaîné les commentaires. C'est un vide que renvoie le miroir de la réception. Alors, autant ne rien figer, bouger et gigoter. Dans le noir des réseaux, personne ne vous verra danser sur Les Modules Étranges !