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Live report
08/07/2025

Levitation France

Heartworms, BDRMM, Limiñanas, Boy Harsher... | Samedi 28/06/2025 : une expérience indie

Genre : indie music / synth music / new wave
Lieu : Angers (Lac de Maine)
Photographies : Levitation (FB)
Posté par : Töny Leduc-Gugnalons

Levitation, c’est d’abord et avant tout une belle histoire d’amour entre Austin, Texas, et Angers… Antenne française de l’Austin Psych Fest créé par The Black Angels en 2008, Levitation France, porté entre autres par l’éminent Doudou de Radical Production, proposait cette année sa douzième édition sur les rives du Lac de Maine : un cadre idyllique pour un événement indie qui fleure bon l’authenticité des festivals à l’ancienne, bien loin des parcs d’attraction musicaux racoleurs… Il n’est pas question d’organiser ici une énième pompe à fric en vendant son âme au mainstream et au capitalisme, les organisateurs sont bien décidés à défendre avec sobriété les groupes de l’ombre qu’ils aiment. La programmation sur deux jours s’avère donc tout à la fois éclectique et sans compromission… Il me tardait ainsi de vivre cette expérience inédite en participant à la journée du samedi, riche en artistes prometteurs voire déjà bien établis dans le microcosme des musiques indépendante.


Les 33 degrés d’une après-midi étouffante – qui a contribué à tuer le mythe de la douceur angevine - n’ont pas manqué de nous rappeler les origines géographiques du festival quand le groupe local de l’étape, Rest Up, est monté sur scène pour produire une musique très hétérogène qui pioche allègrement dans le Sonic Youth, période Dirty, quand Kim Gordon s’empare elle-même du micro. On y retrouve aussi les productions raffinées de Sarah Records dans l’expression d’une mélancolie mélodique qui anime certains morceaux et peut-être aussi, dans certains aspects liés au chant, le Placebo des années 1990. La jeunesse des membres dénote avec la maturité d’un son d’une grande densité et qui augure le meilleur pour la sortie imminente de leur premier album. Ce fut, en définitive, une entrée en matière intense et une fort belle découverte.

Dommage que les Anglais de Honesty n’aient pas profité de la vague… Leur IDM teintée de trip-hop n’est pas parvenue à nous extraire de cette torpeur estivale… Leur mélange des genres, très opportun sur leur dernier album U R Here, s’avère bien fragile sur une scène où le collectif n’avait, en fin de compte, que bien peu de choses à offrir… De quoi faire place nette pour la première sensation de la journée avec la très mystérieuse Josephine « Jojo » Orme aux manettes de Heartworms. Si ses références personnelles s’emparent avec conviction du rock gothique des premières heures (The Sisters Of Mercy, Bauhaus, The Cure…), la jeune Londonienne aux origines afghane, pakistanaise, danoise et chinoise (excusez du peu!) s’en éloigne ouvertement pour produire une musique habitée aux frontières d’un post-punk qui se réinvente et s’éloigne des poncifs du genre… L’incarnation sur scène est profondément authentique, malgré certaines attitudes théâtrales qui pourraient à la longue lasser ; mais le set n’en demeure pas moins pleinement maîtrisé, passablement chargé sur le plan émotionnel et fidèle aux intentions de son premier album Glutton For Punishment

Plus au Nord, dans la ville de Hull, le shoegaze et la dream-pop renaissent sous la musique audacieuse de BDRMM… Les poulains de Mogwai étaient venus défendre leur dernier album Microtonic qui fait la part belle à l’électronique. Malgré un début de set très poussif qui nous a tous globalement déçus, les morceaux les plus emblématiques du combo ont fini par s’imposer à l’image du très slowdivien "Infinity Peaking"… La sympathie des protagonistes et leur bonheur d’être là ont eu raison de nos premières réticences pour clore un set somme toute très appréciable. 

Le soleil décline doucement sur Angers quand la température sur scène va brusquement s’élever...  Ils n’auraient pu être que de vils pilleurs de tombeaux mais les Parisiens de Bryan’s Magic Tears ont tout simplement réinventé la scène shoegaze et l’épopée "Madchester" en y mêlant l’impudence de la jeunesse à l’irrévérence mancunienne. Le résultat en live est juste lumineux et jubilatoire. Les compositions gagnent en énergie et concision ce qu’elles perdent en complexité et nuances. Ce soir, ils nous ont fait rajeunir de 35 ans !  Les Happy Mondays sont morts ? On s’en fout… BMT sont, eux, bien vivants… 

Il est désormais près de 22h30 et j’en aurais bien profité pour zapper la performance des sudistes de Limiñanas… Pas franchement en phase avec leur rock garage nimbé de psychédélisme, j’ai toujours boudé ce groupe omniprésent sur les scènes françaises que je détestais sans vraiment connaître… Ce concert allait naturellement tout remettre en perspective et me faire passer de l’ignorance crasse à l’enthousiasme le plus sincère. Il faut bien leur reconnaître cette capacité à transcender leurs morceaux sur scène par le développement de boucles hypnotiques qui nous plongent parfois dans une véritable transe auditive… Du garage-yé-yé de "Je ne suis pas très Drogue" au synth-punk de Suicide avec la reprise de "Rocket USA", en passant par le psychobilly de The Cramps dont ils reprendront aussi "TV Set", The Limiñanas ont prouvé qu’ils étaient clairement un groupe qui comptait dans notre paysage culturel actuel… Madame, Monsieur, vous avez en tout cas gagné toute mon estime !

Mon estime, cela faisait déjà une décennie que le duo américain Boy Harsher l’avait irrémédiablement sollicitée et gagnée à coups de BPM et de nappes aussi froides que sensuelles… Au cœur de cette nuit angevine, les ondulations lancinantes de Jae Matthews esthétisées par les beats cliniques d’Augustus Miller, demeurent une invitation subversive et captieuse dans l’antre d’un érotisme décadent qui nous tire sans salut aucun dans les profondeurs insondables de la chair… La recette fonctionne, on y perd son innocence à chaque nouvelle prestation… Un concert excellent mais toutefois sans surprise…

Cette douzième édition restera un modèle du genre : une programmation intrépide pour une organisation sans faille ; une jauge à taille humaine sur un site remarquable ; des amoureux de musiques alternatives qui vivent leur passion commune dans une ambiance sereine. On a tellement envie que rien ne change et que tout perdure… À l’année prochaine, Levitation France !