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Ténèbres, puits sans fond. Obsküre plonge, fouine, investigue, gratte et remonte tout ce qu’il peut à la surface

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Interview
25/06/2021

M-Tronic

XX ans

genre : musiques synthétiques & machinistes (spécialité ouverte)
Posté par : Sylvaïn Nicolino

Le label M-Tronic est tenu de main de maître par Laurent Le Fers et Laurent Terrenoire depuis vingt ans. Durant ces deux décennies, le label a monté des concerts et festivals, a donné à entendre les albums de Millimetric, Dither, Servovalve, Mlada Fronta et tant d'autres... Une compilation ving-sept titres sort pour cet anniversaire, le volume 5 de leurs estimées Table of Elements. Nous chroniquons cette sortie sur nos pages et c'est Laurent, responsable de M-Tronic, de son cousin D-Monic Records, et du Tormentor Radio Show répond à nos questions.

Obsküre : Vingt-sept titres, c'est beaucoup. Comment entrevois-tu la réception d'une telle compilation ? Les gens font une sélection ou prennent l'ensemble ?
Laurent Terrenoire : Table Of Elements est une série de compilations que nous avons lancée il y a déjà un bout de temps (2004), bien que son premier volume soit une compilation dix titres uniquement d’artistes "maison". Dès 2007, elle est devenue une double compilation de vingt-sept titres composée du roster [NDLA : le répertoire] du label ainsi que d’artistes dont nous apprécions les travaux. Ces compilations sont en général faites de titres inédits composés exclusivement pour cette série. Nous recevons beaucoup de propositions depuis les quatre coins du globe. Bien qu’elles aient toutes leurs vies, ces compilations ont toutes eu un franc succès.  
L’idée de départ était une compilation représentative du label et, dès le début nous l’avons souhaitée gratuite, comme une forme de remerciement envers tous ceux qui apprécient le label, mais aussi comme un outil de découverte pour tous ceux qui ne connaissent pas encore M-Tronic. Elle a aussi pour but de représenter les différents styles musicaux que le label explore depuis déjà vingt ans. De l’IDM à l’Industriel, du breakbeat (voire breakcore) à l’electro, de l’EBM à l’experimental, sans limite de style, ce qui nous permet, comme dans ce volume 5, de faire aussi découvrir des morceaux minimal dub, comme le morceau de Mono Peninsula (side project de Photophob) ou bien de faire découvrir des artistes encore méconnus dont nous aimons le travail comme ce fut le cas en 2007 (sur le volume 2) avec Syl Kougaï qui a depuis sorti des productions chez Schematic Records et Hymen.
Nos compilations ne peuvent pas être téléchargées titre par titre, on ne peut que télécharger l'intégralité, puis c’est aux auditeurs de jouer en choisissant les titres qu’ils vont garder/écouter selon leurs goûts musicaux du moment. Nous aimons aussi nous investir dans les visuels du label, et avons souvent fait les pochettes de nos albums. Laurent Le Fers a fait celles de Géomatic ou Millimetric, et bon nombre des couverture D-Monic. Pour ma part, j'ai fait les photos des trois dernières compilations Table Of Elements, mais aussi les couvertures d'albums de Enabl.ed, Ex_Tension ou encore Alpturer, ainsi que la couverture de la dernière compilation sortie chez D-Monic.

Vingt ans, c'est beaucoup. As-tu rétrospectivement des étapes ou moments-clés dans ce parcours ?
M-Tronic, c’est avant tout une histoire d’amitié entre Laurent Le Fers et moi, nous nous connaissons depuis la fin des années 1990. Dès le début nous avons partagé une passion pour toutes ces musiques underground, ce qui nous a poussé rapidement à monter nos concerts à Paris car nous ne trouvions pas, à l’époque, de soirées qui proposaient la musique que nous avions envie d’écouter. Laurent Le Fers était déjà responsable depuis de nombreuses années du festival Industrial de Cannes. De mon côté, j’avais mon petit webzine musical Cesium Impact. La naissance des soirées Industrial Impact était donc inévitable. L’idée du label est apparue comme un prolongement logique à nos activités de l’époque.

Comment travailles-tu avec les groupes pour monter ce type de compilations : vous cherchez des inédits ? Tu donnes une thématique ? Y a-t-il des titres spécialement créés à cette occasion ? Ont-ils le visuel avant de donner leurs travaux ?
De manière générale j’envoie à tous les projets et groupes du label un message sur le sujet, mais je tends également des perches à certains artistes dont nous apprécions le travail, comme ce fut le cas avec le titre de Nohno (side project de Dean Denis/ Clock DVA), le génial Philippe Laurent, Ocoeur (projet de Frank Zaragoza), ou encore Tanz Ohne Musik (Galakthorro). Nous n'envoyons jamais le visuel de la compilation aux artistes pour ne pas les orienter sur une piste, nous préférons qu'ils se sentent libres de créer sans avoir à coller à une quelconque imagerie. Certains deviennent des artistes du label par la suite comme ce fut le cas de Dino Felipe, Snowbeasts, Ex_Tension ou encore ARM (Tanz One Music).  En général, ce sont tous des titres inédits réalisés pour la compilation, bien qu’il arrive que certains titres soient par la suite repris par les artistes pour un maxi ou un album, mais cela reste finalement assez rare. Sur les cent-dix-sept titres des cinq volumes il me semble que seuls cinq ou six  soient dans ce cas-là... Ainsi cette compilation est inédite à 99% !
Il n’y a pas de thématique à proprement parler : nous sommes ouverts à toutes les propositions car nous sommes curieux et ouverts d'esprit. Bien évidemment, nous restons sélectifs sur la qualité et nous nous gardons le droit de refuser un titre qui ne serait pas dans l’esprit du label ou dont la production ne serait pas d'assez bonne qualité pour nos standards.

Parmi vos nouvelles signatures, qui t'a amené à revoir ta définition ou tes définitions de la musique ?
Chez M-tronic, nous sommes avant tout des amoureux des musiques et n’aimons ni les barrières, ni les limites. Nous apprécions une multitude de styles musicaux, de la musique classique au jazz, en passant par le krautrock, la musique concrète et le dub. Bien que nous ayons des amours de jeunesse (que nous ne renions pas) comme la musique industrielle ou l’IDM, nous avons aussi dans l’idée de ne pas poser de limites aux styles du label. Ce qui nous a, par exemple, donné l’occasion de sortir quelques productions synthwave comme les albums de Fresh Flesh Flash, Reznyck, Tommy 86 ou Mlada Fronta. C’est d’ailleurs pour ces raisons que dès l’été 2006, nous avons choisi d’ouvrir D-Monic (sous-label de M-Tronic) pour pouvoir y sortir les pendants plus rock qui ne pouvaient pas voir le jour chez M-tronic. Cela nous a permis de sortir de belles productions (vinyles et CDs), comme l’album de Gary Marx (guitariste fondateur de The Sisters Of Mercy / Ghostdance), la trilogie des albums de Corpus Delicti, Miserylab (Rosetta Stone), Sweet William, Wallenberg, Plomb, ou encore l’excellent "super groupe" (ils sont huit !) James Ray & The Black Hearted Riders, un des nombreux projets du génial James Ray, que l’on connait pour avoir posé sa voix sur le célèbre album Gift de The Sisterhood, projet initié par Andrew Eldritch pour court-circuiter ses ex-musiciens, lesquels formèrent ensuite The Mission.

Il y a des groupes, des artistes qui sont devenus des "amis" au vrai sens du terme ?
C’est là toute la magie du truc. Effectivement, certains sont devenus très proches, comme Robert Galbraith, patron du label Component Recordings et aussi membre de Snowbeasts et Obscure Formats, ou encore Charles Ternhune (Cathode Ray Tube). D’autres étaient déjà des amis avant que nous ne sortions leurs albums comme Grégory de Servovalve, Wild Shores dont nous aimions tant le festival ArtOoz à Limoges, ou encore Black Sifichi et DEF. Oliver Heuer (Chanteur de Sweet William) était un ami très proche de Laurent Le Fers, ils se téléphonaient toutes les semaines, ainsi que Nash de Plomb et Hervé Costuas (Wallenberg). Il a d’autant plus été difficile pour nous de traverser certaines périodes, comme lors de la perte d'Evelyne Hebey (Wild Shores) ou celle de Pierre-Yves (Ex_Tension), mais aussi celles d'Oliver et d'Hervé... Leurs disparitions laissent un grand vide dans nos cœurs.

Pour composer un tel ensemble, agencer les titres, il faut tâtonner : quelle est votre technique ou quelles sont vos astuces ?
Sur cette partie, je laisse la main à mon ami Laurent Le Fers qui est le spécialiste et a un vrai don pour créer une homogénéité d'ensemble malgré la disparité des morceaux reçus. Il fait cela totalement au feeling, son activité de DJ l'aide à créer cet assemblage de manière très rapide, il essaie de garder cette spontanéité comme lors d'un set DJ qui partirait d'une page blanche.

Tu me disais que les retours en France étaient sensiblement moins bons que ceux de l'étranger ; veux-tu développer ton analyse sur les mutations du public (et des médias) ?
Dès le début M-tronic a reçu un écho assez inattendu à l’étranger. Les USA, l’Allemagne et l’Angleterre ont assez rapidement été le cœur de nos fans et clients. Mais grâce à nos distributeurs et nos relations, nous avons rapidement touché d’autres pays et continents, comme la Russie, l’Amérique du sud, L’Afrique (notamment l’Afrique du Sud) ou l’Asie. Nous ressentons dans la musique actuelle, et même dans les petites niches que sont nos musiques, des effets de mode qui vont et qui viennent, nous essayons de faire abstraction de tout cela pour nous concentrer sur ce qui nous plaît vraiment à l'instant T, sans vouloir coller à une tendance particulière. Cette démarche semble être appréciée puisque nous sommes encore présents et actifs, alors que de nombreux labels ont cessé toute activité. C'est donc une fierté d'avoir réussi à être "durable", ce qui tend à démontrer que notre démarche est cohérente.