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Ténèbres, puits sans fond. Obsküre plonge, fouine, investigue, gratte et remonte tout ce qu’il peut à la surface

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Interview
23/02/2021

Maudits

"La musique instrumentale, notre liberté"

Genre : post-metal / prog metal
Contexte : sortie du premier album homonyme (2020) et travaux en cours
Photographies : Maudits | © William Lacalmontie 2020
Posté par : Emmanuël Hennequin

La fin de The Last Embrace n’a pas été celle de l’aventure. De ses cendres est né Maudits : un projet metal prog / post-metal / instrumental dont les premières manifestations sonores, sous la forme d’un album homonyme, convainquent au moins d’une chose : le meilleur peut naître des grandes déceptions, sous réserve de l’accomplissement du deuil. Olivier, à l’origine des deux histoires, conte le processus nouveau à Obsküre et esquisse les lendemains.

Obsküre : Il a pu, par le passé, être évoqué un split "difficile". Que gardes-tu de l’expérience The Last Embrace en tant que musicien ?
Olivier (guitare, effets) : Le split fut une décision difficile à prendre car je m'étais investi énormément à tous les niveaux depuis la création de TLE. Durant vingt ans, ça a été une bataille constante pour garder un line-up stable avec des gens motivés et volontaires, sachant que de toute façon nous n'avons et n'aurions jamais dégagé un centime de "bénéfices". La satisfaction était ailleurs et l'aboutissement de la création musicale a toujours été notre moteur – et ça l'est encore actuellement, d'ailleurs. Mais à la fin, ça devenait trop compliqué de garder certains membres motivés, et même si les remplacer était envisageable, j'ai préféré repartir sur quelque chose de neuf.
TLE a été l'un des centre de ma vie et m'a permis d'apprendre à jouer de mon instrument correctement, en tout cas suffisamment pour pouvoir exprimer ce que j'ai en tête aujourd'hui, et développer ma touche en tant que "compositeur". Cela m'aura aussi beaucoup apporté humainement, dans un sens comme dans l'autre d'ailleurs. Avec le recul, je pense avoir commis des erreurs dans la "gestion" des ego que je tâcherai de ne plus reproduire. À l'arrivée, cela m'a fait énormément progresser car j'ai pu côtoyer beaucoup d'excellent(e)s musicien(ne)s, chacun(e) avec sa personnalité propre. C'est de là que la complicité musicale et humaine avec Chris (batterie) et Anthony (basse), qui avaient rejoint TLE respectivement en 2013 et 2010, est née. Et c'est un vrai bonheur de faire grandir Maudits avec eux aujourd’hui.

Dans votre musique instrumentale se trame une recherche dynamique, mais le spleen est présent aussi et il y a une vraie recherche de climats, le public et la critique l’ont remarqué. Recherchez-vous consciemment à illustrer par le son certains paysages mentaux / états d’esprit, ou diriez-vous que la construction des structures et ambiances est guidée par l’instinct, sans objectif défini au préalable ?
Un peu des deux en fait ! Les idées de base arrivent spontanément et sont effectivement plus guidées par nos tripes et notre état émotionnel du moment, qu'un réel calcul ou une réflexion en amont. Par contre, une fois qu'on a le feeling et le bon climax, la réflexion sur la mise en forme opère. Pour prendre l'exemple du titre éponyme "Maudit", le riff doom très pesant est sorti tout seul et a naturellement orienté l'ambiance globale du morceau. Les phases suivantes, tour à tour plus lumineuses et plus dynamiques, se sont présentées naturellement par la suite, en y apportant variations et mouvements, afin d'éviter à notre propre oreille de se lasser. Et nous n'avons terminé le morceau qu'une fois le sentiment d'avoir tout dit pour celui-là, sans aucun calcul de format ou autre.
Une fois toutes les parties imbriquées nous nous penchons sur les arrangements, les effets, et les transitions pour lier toutes les phases. Cette étape-là est très réfléchie : soupeser, affiner, détailler. C'est à mon sens la phase la plus difficile et la clef de la "réussite" d'un morceau, et par extension d'un album. Il faut rendre le tout cohérent : déjà dans les pistes prises individuellement, mais aussi sur l'album dans son entièreté. J'attache beaucoup d'importance à l'ordre des chansons, aux enchaînements, et/ou aux éventuels blancs entre celles-ci. Le but est d'arriver à un résultat riche et aéré à la fois. Il est donc à mon sens nécessaire de bien réfléchir au juste dosage des arrangements.

Comment avez-vous composé ce premier album ? Est-ce le résultat de jams ensemble, dans la même pièce, ou d’un travail à distance ?
Pour les morceaux plus metal / rock "Maudit", "Résilience" et "Grain blanc" nous avons assemblé et arrangé ensemble les idées de base que j'avais travaillées en amont chez moi. Ce qui est une très bonne chose car Chris et Anthony, par leur savoir-faire, ont apporté énormément dans la dynamique et ont permis de transformer des riffs ou des passages sur lesquels je bloquais par manque de recul. Pour "Liminal" et "Solace", qui représente notre côté "ambient", il s'agit plus d'un travail solitaire suivi d'une grosse réflexion et pas mal d'essais en post-production sur les textures, le mix et les effets.
Enfin pour notre morceau le plus doom, "Verloren strijd", il ne devait pas figurer à la base sur l'album. Il est né d'une idée de dernière minute en studio de notre batteur Chris, qui a proposé de finir l'album sur une boucle un peu chaotique et oppressante. Lors des dernières sessions au studio Henosis, nous avons donc isolé un beat de batterie tout simple et un riff m'est immédiatement venu en tête. J'ai pris une guitare qui traînait et j'ai immédiatement enregistré l'idée sur mon téléphone pour ne pas l'oublier. Dans la semaine qui a suivi, j'ai construit une trame autour de ce riff en superposant au fur et à mesure les couches de guitares et d'ambiances sur mon loop. Et c'est seulement au moment du mix final que nous avons pris une heure où deux avec Fred de chez Henosis pour enregistrer les parties de guitares directement devant l'ampli, one shot, en laissant les larsens partir naturellement pour donner ce côté crade et chaotique. C'est la première fois que je composais et enregistrais aussi spontanément et ce fut une super expérience. À l'arrivée, c'est l'un des morceaux les plus cités dans les chroniques. Nous en avons même fait notre second clip.

Les arrangements de cordes ont-ils été conçus en même temps que le reste des armatures sonores ou est-ce un travail qui se déroule à une étape ultérieure dans le processus ?
Les cordes de "Maudit" ont été écrites et arrangées durant les pré-productions par Emmanuel Rousseau qui est un ami de longue date, et le deuxième ingénieur-son ayant travaillé sur l'album. Il s'est également chargé des claviers présents sur quelques passages.
En revanche, certaines parties de violon notamment sur "Solace" et "Grain blanc" ont été peaufinées sur le tas par Caroline Bugala, la violoniste lead qui a joué sur l'album. À ma connaissance, elle les a arrangées la veille de sa session studio… ce qui rend sa performance hallucinante, tant ses interventions illuminent les morceaux.

Le thérémine joué par Dehn Sora évoque fatalement des paysages musicaux chers à nos cœurs, j’entends par là Dead Can Dance et un certain nombre de formations n’utilisant pas forcément cet instrument mais se rapatriant à leur vision musicale : Arcana, Deleyaman… Comment avez-vous travaillé avec Sora sur ce plan ?
En fait j'avais l'idée principale de "Liminal" depuis un bout de temps, plusieurs années même, il me semble. Elle n'a cessé de muter au gré des divers essais et a pris son sens pour Maudits au moment où s'est dessinée cette direction plus sombre et presque drone sur le début. Connaissant bien le travail de Dehn Sora du fait de notre collaboration dans les projets Throane et Ovtrenoir, et son savoir-faire particulier dans ce genre d'ambiance, j'ai tout de suite pensé à lui pour intervenir sur ce morceau. Je lui ai laissé carte blanche pour poser ce qu'il sentait sur ce qui était déjà existant. Il a donc développé tout le début avec ses chuchotements, drone, percussions shamaniques ainsi que le thérémine sur la fin. Je n'avais aucun doute sur la pertinence du résultat et en tout cas nous sommes ravis de cette collaboration. Nous nous connaissons depuis longtemps et il fait partie de la famille. Ce guest en est d'autant plus symbolique et important pour moi.

L’ensemble des intervenants autour de Maudits semble former sérail : Dehn Sora / William Lacalmontie pour le travail visuel… Y a-t-il dans votre conception du travail sur le projet un primat accordé à la "familiarité" des intervenants ? Favorisez-vous cela ?
Complètement. J'ai toujours préféré faire de la musique avec des gens proches que je respecte, et dont j'apprécie le travail. Comme dit auparavant, nous jouons ensemble dans Throane et Ovtrenoir et ces deux formations m'ont aidé à rester motivé après le split de TLE. De plus Dehn Sora et William Lacalmontie sont très doués dans leurs domaines respectifs, donc pourquoi aller chercher plus loin ? Avec eux, j'ai retrouvé le plaisir de faire de la musique simplement et en me mettant au service des projets de chacun. À l'arrivée, le résultat n'en est que plus cohérent et tout avance de manière fluide. C'est le cas également de la violoniste Caroline Bugala qui avait travaillé sur les trois derniers TLE et d'Emmanuel Rousseau avec qui je collabore depuis des années. C'est d'ailleurs lui qui m'a conseillé Frédéric Gervais du studio Henosis pour le mix et le mastering. Comme ce dernier a fait un travail d'enfer, nous faisons de nouveau appel à lui pour le prochain album. J'aime l'idée de construire autour de Maudits une sorte de petite famille musicale, constituée de personnes fiables, talentueuses et où ne prend  surtout pas place d’ego mal placés.

La dimension instrumentale et cinématographique de votre musique, telle qu’elle se fait jour sur le premier album, a-t-elle pour corollaire une ouverture voire une ambition au sein du groupe quant au fait de composer pour le théâtre ou le cinéma ? Illustrer des contes, serait-il une hypothèse intéressante pour Maudits ?
Il n'y a pas de volonté particulière ou consciente de ce côté-là. Nous essayons juste de faire la musique que nous avons envie d'entendre sans trop nous poser de questions, mais avec l'ambition de la faire le mieux possible à tous les niveaux. En revanche, si un jour l'opportunité se présente cela ne me déplairait pas. Si ça colle à notre univers ce serait chouette. Pour un court-métrage ou un documentaire, cela doit être une superbe expérience… Par contre je ne suis pas sûr de savoir composer sur commande pour quelque chose qui ne me parlerait pas. Certains savent le faire et c'est leur métier. Pour moi la musique est une passion qui ne me rapporte pas un sou… et c'est sûrement pour cela qu'elle sonne "sincère" !

Au regard de la situation actuelle et si l’on garde fin 2021 / début 2022 en ligne de mire comme recommencement des possibles, partez-vous sur le principe de sortir de nouvelles choses avant de tourner ou espérez-vous pouvoir défendre le premier album sur scène avant la sortie d’un second ? Les projets de nouvel EP à enregistrer en ce début d’année sont-ils maintenus ?
Même si nous en mourons d'envie, il est malheureusement impossible actuellement de prévoir quoi que ce soit du côté du "vrai" live … Par contre nous continuons à être actifs et prévoyons dès que possible de faire une captation live en électrique. En attendant une première vidéo live en configuration "solo" a été mise en ligne récemment. C'est une version totalement revisitée du morceau "Résilience", présent sur le premier album et joué entièrement avec une pédale de "loop". Cette version apparaîtra justement sur le (gros) EP en cours d'enregistrement (sourire). Il comprendra des versions totalement revisitées et réécrites de trois morceaux de l'album, avec certaines orientation dub/trip hop par moments, ainsi que deux nouveaux morceaux composés pour l'occasion. Nous souhaitions enchaîner rapidement sur de la nouveauté avant l'enregistrement d'un second "vrai" album. Et je précise que cette sortie n'est pas juste un "amuse-bouche" mais un vrai projet à part entière. Nous l'avons réalisée avec autant de sérieux que le premier album.

La dimension instrumentale de Maudits est-elle érigée en principe, ou n’excluez-vous pas de recourir aux voix dans le futur, quitte à en inviter certaines ?
Initialement, nous n'avions pas forcément prévu de faire de la musique purement instrumentale. Mais il s'est avéré qu'au moment de la mise en place des premières idées nous nous sommes rendu compte que cela nous convenait parfaitement, et nous offrait énormément de liberté au niveau de la composition, des structures, et des textures. Ceci dit nous n'excluons rien et si jamais un futur morceau prend son sens avec du chant nous n'hésiterons pas inviter un ou une vocaliste pour l'occasion. La seule certitude c'est que le noyau dur du groupe restera très certainement instrumental (sourire).


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> MAUDITS
- Maudits (LP, CD)
- Klonosphere, 10/2020