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Ténèbres, puits sans fond. Obsküre plonge, fouine, investigue, gratte et remonte tout ce qu’il peut à la surface

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Interview
31/05/2022

Mellano Soyoc

"Quelque chose de plus fort que la somme de deux univers"

Genre : musique émotionnelle / rock machiniste
Photographies : Richard Dumas (portraits) / Adrien M & Claire B (images tournage clip)
Contexte : sortie du premier album commun 'Alive' (2022)
Posté par : Emmanuël Hennequin

C’est l’un de nos chocs les plus forts de l’année 2022. Mellano Soyoc : où la frontwoman de KaS Product s’associe à l’instrumentiste responsable de projets aussi divers que No Land (avec entre autres Brendan Perry [Dead Can Dance]), MellaNoisEscape ou encore NO&RD, avec Régïs Boulard. Ensemble, Olivier et Mona délivrent une force authentique. Le résultat de leur processus, d’un flamboyant naturel, a cette cohésion de la forme qui vous révèle plus qu’une chimie de l’instant : un potentiel de créativité insondable. Alive, titre de leur Opus I, sidère par son évidence, sa force de vision et la puissance émotionnelle de son contenu. Dans un bruit de rock et de technologie, la voix de Mona part à la conquête du cosmos.

Obsküre : Mona, à l’origine du projet que tu mènes aujourd’hui avec Olivier, il y a eu pour toi ce besoin d’une nouvelle "conspiration musicale". Il te fallait donc un conspirateur. Qu’est-ce qui fait qu’à un moment, tu te diriges vers Olivier ? Pourquoi lui ?
Mona Soyoc : Olivier était dans mon faisceau optique depuis un moment. Déjà avec Spatsz (NDLR : feu le cofondateur de KaS Product), nous pensions à lui pour une collaboration. Il est polymorphe dans son travail, c’est un guitariste atypique. Pour nous, une évidence !

KaS Product a désormais un futur, une version Reload. Les rumeurs que j’ai pu entendre sur la participation d’Olivier à cette nouvelle mouture sont-elles fondées ou non ? 
Mona : Non fondées ! Je corrige tout de suite. Olivier ne participe pas à la nouvelle version de KaS Product. Nous avons un guitariste, Thomas Bouetel, et un bassiste aussi : Pierre Corneau, qui jouait avec Philippe Pascal dans Marc Seberg.
De manière générale, l’un comme l’autre,  comment choisissez-vous vos partenaires en musique ? Qu’est-ce qui prime, outre leur compétence : un son imaginé ? La qualité d’un relationnel ? L’instinct ?
Mona :
Pour choisir son partenaire, c’est bien toutes ces choses que tu nommes qui priment ; et je crois qu’Olivier en conviendra, il est important aussi d’avoir quelqu’un de souple, ouvert d’esprit et favorable aux expériences nouvelles, autonome, aimable et bienveillant… car on a envie que tout cela se transporte vers la musique ! Pour moi, il est aussi très important de se sentir dans une forme de récréation, un jeu, une légèreté. Let’s do it for fun! Le choix de m’adresser à Olivier vient, au départ, de l’instinct plus que d’autre chose. En réalité, nous ne nous sommes rencontrés, lui et moi, que trois ou quatre fois avant de nous rendre en studio, ce fameux jour où nous avons couché tous ces morceaux… Donc, il y a vraiment eu ce ressenti : oui, je pouvais faire quelque chose de différent et inspirant avec lui !
Olivier Mellano :
En ce qui me concerne, j'ai opté depuis pas mal de temps pour un parcours assez solitaire, n'étant plus vraiment prêt à faire des concessions inhérentes aux formations "groupe"… ce qui ne m'empêche pas de monter des projets collectifs et de collaborer avec de nombreux artistes, mais dans la formule très resserrée du duo. Encore faut-il que surgisse cette chose cruciale que j’appellerai la résonance ! Elle, elle a à voir avec l'empathie, la confiance, la profondeur et la simplicité. Savoir que nous n'allons pas avoir besoin de parler pour que, tout de suite, quelque chose d’évident jaillisse ; que de cette équation sortira quelque chose qui nous échappe, quelque chose de plus fort que la somme des deux univers.

Autre question liée à l’instinct. Pour toi Olivier, il y a la rencontre avec la voix de Mona.
Lorsque tu fabriques le son et que tu crées un environnement sonore pour elle, passes-tu avec Mona par une verbalisation dans le travail : discuter de tel son, telle texture, tel problème dans la structure, ce genre de choses… ou fonctionnez-vous tous deux à l’instinct ?
Olivier :
Pour moi, quand il s'agit de musique, si on commence à parler, c'est qu’il y a un problème. Dans cette première journée où la quasi-totalité des morceaux se sont inventés, nous avons juste joué, réagissant à l'énergie de l'autre, à ce qu’il proposait. Nous nous sommes écoutés. Plutôt que parler, il faut écouter. Lorsque deux personnes écoutent vraiment le silence entre elles, peut advenir une musique commune.
Cette fameuse journée de studio dont il ressort presque vingt titres capturés en conditions live… j’y reviens, car l’enregistrement des bases d’Alive m’intrigue. Vous êtes donc tous deux arrivés avec quelques trames, trois ou quatre chacun je crois, et le reste est sorti sur place. Cela veut-il dire, Mona, que tu as réagi textuellement, en direct, à la musique créée par Olivier en studio ? Ces bases ont-elles bougé, et dans quelle mesure, entre cette journée et l’enregistrement final d’Alive ?
Mona :
Ce qui m’intéresse en musique est d’être mue par quelque chose de plus grand que moi, être dans un flot de créativité, de connectivité à l’autre. J’avais des bribes de textes et des impressions fortes que j’avais envie de partager, et dans lesquelles j’ai pioché. L’improvisation, la danse avec l’autre est essentielle dans notre échange. Olivier m’inspire et ses guitares me donnent une plate-forme sur laquelle je chorégraphie la voix et les histoires.
Olivier :
Lors de cette journée, j'étais juste arrivé avec les bases des morceaux "Dragon" et "Avatar", sinon je faisais absolument confiance à ce qui allait se passer. Le studio Caverne de Nico Sacco a de bonnes ondes pour ça. J'y avais déjà tenté l'expérience avec NO&RD par exemple, nous y avions improvisé/composé et enregistré l'album en une journée. Là, je posais un accord, Mona posait sa voix, magnifique… et ensuite, il n'y avait plus qu’à se laisser porter, à explorer et à se surprendre. Lorsqu’il a fallu préparer le premier concert, quelques mois plus tard, le travail a commencé. Il a fallu apprendre à jouer ces morceaux que nous avions improvisés… Mona a travaillé les textes, j’ai affiné les sons et nous avons précisé certaines structures.

Le texte traduit-il chez toi, Mona, une pensée consciente, ou lui découvres-tu plus tard de plus profondes significations ? Qu’en est-il à ce sujet d’Alive et, pour la période antérieure, de ce que tu as fait avec KaS Product ?
Mona :
Des fois l’intention est consciente, mais je ne mesure pas toujours la profondeur sur le moment ; et parfois, c’est assez extraordinaire d’ailleurs, les textes se révèlent à moi quelques semaines, mois, voire des années après ! Dans KaS Product par exemple, je n’avais pas mesuré à l’époque la charge sexuelle de "Pussy X". Pour moi c’était comme une bande dessinée drôle, un dialogue d’une femme avec son chat, mais évidemment… le chat est devenu la chatte ! Sur Alive, c'était juste après la mort de Spatsz, donc de nombreux textes tournent autour du thème de la vie, l'après-mort, la résurrection, le sauvetage ; un moyen inconscient de tromper et de transcender la mort. Mais il y a aussi des textes qui s’avèrent comme des dialogues avec la création, la nature et l’univers.

Vous exprimant tous deux sur ce premier concert commun au bord de la plage, en période de confinement, tu parlais, Olivier, de ce "manque du son" que tu éprouvais à ce moment, de ce besoin du volume. Or il y a un esprit, un moteur live dans ce que vous faites. En studio, pour Alive, avez-vous ou non enregistré dans un volume fort ?

Olivier : Oui, effectivement, c'est sûrement ce qui m'a le plus manqué durant cette période : le rapport physique au son et à l'énergie du concert. Ce qui m'a fait fuir tout ce qui était live en streaming, etc., pour moi aux antipodes de ce qui est déployé dans l'énergie d'un concert. Lorsqu'on enregistre, c'est autre chose, il faut que l'énergie puisse passer, quel que soit le volume auquel l'auditeur va écouter, phénomène sur lequel nous n'avons aucune prise. Le plaisir du travail de studio n'est pas forcément notre plaisir immédiat de jeu, mais celui de reconstruire l'illusion de cette énergie. Cela a plutôt à voir avec un certain contrôle. Nous sommes dans la sculpture de l'infime détail, ce qui est aussi un travail passionnant.   
Vous aurez un batteur sur scène, ce qui va transformer votre énergie. En tant que musicien, Olivier, que t’apportent les répétitions avec un batteur par rapport à la configuration studio Mellano Soyoc ? Et croyez-vous possible / envisageable / inévitable l’intégration d’un batteur à d’éventuels projets studio futurs ?
Olivier :
Pour l'album, j'ai travaillé sur des programmations rythmiques et ai proposé à la batteuse Valentina Magaletti qui m'avait accompagné avec MellaNoisEscape, d'enregistrer des batteries sur les morceaux. Après ça, il était difficile de revenir en arrière. J'ai rencontré le batteur Uriel Barthélémi lors de l'enregistrement de l'album de David Sztanke, et j'ai tout de suite su qu'il pouvait apporter le côté à la fois tribal et aventureux que nous recherchions en gérant l'aspect machines… ce qui s'est révélé exact dès les premières minutes de répétitions avec lui. Sa batterie nous libère, décuple l'énergie et ouvre le spectre sonore des morceaux. Nous verrons pour la suite, mais il n'y a pas de raison de ne pas continuer avec une formule qui nous semble aujourd'hui idéale.

Mona, ta voix a évidemment évolué depuis les épreuves studio de KaS Product. Quelle chanteuse es-tu aujourd’hui par rapport à celle des travaux avec Spatsz ?

Mona : Ma voix a mûri, sans doute. Plus nous avançons et acquerrons de l’expérience, plus nous évoluons. La voix transmet tout cela et si je peux toucher le cœur ou l’âme de quelqu'un, alors j’ai fait mon travail. Car ce que je recherche aussi, c’est éveiller, consoler, embellir et surtout apporter l’espoir et restaurer le pouvoir de co-création de l’humain.

Olivier, tu mènes de front divers projets. Quant à toi Mona, tu gardes semble-t-il des intentions liées à KaS Product. Vous vous êtes exprimés sur le fait qu’Alive ne restera pas un one-shot mais deviendra, comme l’a dit Mona au début, une "odyssée". Vous voilà donc ensemble, peut-être, dans ce fameux "développement indéfini et perpétuel" (NDLR : mots empruntés à Mona dans Rendez-Vous En Terre Tribale, belle émission enregistrée en septembre 2020 et à réécouter ici). L’intégration de Mellano Soyoc à vos agendas respectifs se fait à quel niveau : au même que les autres projets, ou s’agit-il d’une nouvelle priorité ?
Mona : Nous parlons déjà de nous retrouver en septembre pour notre nouvel album et l’enregistrement. Nous avons envie d’être prolifiques avec ce projet, de sortir un album par an. Nous avons tant de choses à explorer encore ensemble… Je tiens à continuer l’aventure !
Olivier : Oui, nous allons continuer. Je pense que chaque album doit naître d'une nécessité et nous allons être à l'écoute de ce qui fait sens pour nous. De mon côté, je commence aussi à réfléchir au prochain MellaNoisEscape. Nous devons enregistrer bientôt, aussi, le deuxième NO&RD, mes pièces pour chœur, et je compose la musique de mon prochain livre. Mais Mellano Soyoc, désormais, fait partie de l'équation.