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Ténèbres, puits sans fond. Obsküre plonge, fouine, investigue, gratte et remonte tout ce qu’il peut à la surface

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Interview
11/10/2021

Meta Meat

"Nous sommes en résonance avec nos réalités intimes et extérieures"

Genre : electro / ethnique
Photographies : Marcin Pflanz | AlterNation
Posté par : Sylvaïn Nicolino

Cinq ans pour élaborer, recommencer, échafauder puis sentir que le résultat est là. Le binôme Phil Von / Somekilos offre un deuxième volet à l'aventure Meta Meat, une nouvelle fois sans majuscule pour le titre de l'album. Se garder de la redite tout en s'appuyant sur l'instinct, trouver le plaisir sans y mettre trop de ces réflexions qui figent. Revenir aux essentiels discographiques, impliquer les éléments humains qui accueillent et emportent, conjuguer électronique et sensations physiques du jeu tout en admettant que le travail numérique est semblable à celui d'un luthier... Meta Meat s'explique sur son processus et ses implications humaines.

Obsküre : Comment avez-vous ébauché ces nouveaux titres ? Je n'arrive pas à déterminer si vous êtes partis des samples ou des rythmes...
Somekilos : Pour ce nouveau disque, à l’inverse du premier, nous sommes partis d'improvisations pures aux percussions à mains – presque toutes à partir de ma percussion préférée la frame-drum, aussi appelée hand-drum – sans rien de précis en tête auparavant, à part peut-être la volonté de s'orienter vers quelque chose d'encore plus tribal, de plus organique et "joué". Tout ça lors d'un day-off en tournée allemande, dans une salle de danse que nous avions louée pour l'occasion à Kiel.
Phil Von : Retrouver le plaisir ensemble et un terrain de composition ludique fut à l’origine de ce projet.

On sent une part d'improvisation avec ce jeu à deux que vous mentionnez, plus qu'une confrontation. Avez-vous pu travailler en direct, de visu ?
Somekilos : Il faut savoir qu'entre début 2017 et septembre 2019, nous nous sommes vus plusieurs fois, mais tout ce que l'on a commencé à composer a été abandonné. Nous n'en étions pas satisfaits : ça sonnait un peu trop proche du premier album, ce que nous ne voulions pas. Le vrai départ de la composition de ce nouvel album a donc été ce fameux jour à Kiel, là où nous avons fait les premiers enregistrements qui ont abouti plus tard aux versions définitives d'infrasupra.

Par la suite, vu que nous habitons dans des pays éloignés et que la Covid est arrivée, nous avons été obligé de continuer et terminer l'album en nous envoyant nos progressions sur chaque morceau par internet. Beaucoup de percussions ont été rajoutées et enregistrées par nos soins, mais cette fois-ci sans la présence de l'autre ; et bien sûr tout le travail sur l'électronique par la suite. Le mixage a été fait à distance et Phil a produit lui-même l'album à Vilnius.

Le travail sur les structures est assez évident, avec un format resserré des morceaux dans leur version finale : aviez-vous cette vision d'ensemble au préalable ?
Phil Von : On nous avait fait la critique de certains morceaux trop longs dans l’album précédent. Cette fois, afin de satisfaire au timing de deux faces de vinyle équilibrées, nous avons décidé de rester dans des formats "courts" avec cinq pièces par face. Cela nous a amenés à tendre le propos vers l’essentiel et à condenser l’énergie inhérente de chaque morceau. Je pense que cela donne une lecture d’ensemble plus homogène et qu’ainsi l’on perçoit une sous-tension constante tout au long de l’album.

Les textures sont encore une fois détaillées et belles. Pourtant, j'ai envie de dire que cette fois, l'organisation matérielle a débuté avec un choix rigoureux de chaque son, pour le créer et le faire sonner avant de jouer avec et de l'agencer.
Phil Von : Lorsque nous avons décidé que je serais aux manettes de la production… l’un de mes crédos du passé s’est trouvé contredit : "Il est bien qu’une tierce personne puisse intervenir avec le recul nécessaire afin de pouvoir mixer et produire car nous sommes trop proches du matériel". Et bien cette fois, c’était comme si nous avions la conviction qu’il ne fallait pas “confier” notre musique. J’ai donc pris très paternellement "soin", en quelque sorte, de tous nos sons, comme s'ils étaient tous de petites entités vivantes dont je connaissais les histoires. Tous les éléments acoustiques que nous avons joués se devaient, dans ma vision architecturale, d’être tous essentiels à leur façon et d’être mis en exergue comme des perles. Dans le processus de sculpture, même si l’ensemble risquait de paraître maximaliste, je me suis efforcé de mettre chaque couleur/personnage à sa place afin de trouver un équilibre, et de tisser une trame presque dramaturgique entre le monde percussif et le monde harmonique.

Avec cette volonté d'équilibre et le format court, avez-vous eu du mal à lâcher ces morceaux, à mettre un point final à leur élaboration ?
Phil Von : Non, puisque nous étions en mesure de décider et fixer notre propre espace/temps de mixage/production, la finalisation fut douce, faite d’avancées ponctuelles, d’améliorations successives, un peu comme dans le travail artisanal d’un luthier.
Somekilos : On a une grande confiance en l'avis de l'autre et dans les changements que chacun apporte dans l'évolution des morceaux. Parfois, il est arrivé que j'aie envoyé des démos à Phil, qu'il a complètement déconstruites. Ça n'allait pas forcément dans la direction que j'avais en tête au départ, mais ce processus l'a "metameatisé" et je savais que c'était le bon choix, que ça faisait partie du processus naturel et souhaitable pour arriver à quelque chose d'original et qui nous plaise.

Votre vision esthétique et politique de Meta Meat est-elle en mutation ? Produire cette musique et donner ces titres à vos morceaux témoigne d'une réflexion ou d'échanges construits à deux.
Somekilos : Tout ce que nous faisons pour Meta Meat et à 100% construit à deux, que ce soit improvisé ou pensé à l'avance.
Phil Von : Hugues et moi sommes en résonance avec nos réalités intimes et extérieures. D’un côté nous sommes en adaptation constante dans des pays "d’accueil" avec des communautés et des cultures "autres". D’autre part nous avons presque l’impression de faire partie d’une même famille au sens littéral. Je ne sais dans quelle mesure tout cela "s’exfiltre" dans notre musique. Nos échanges et notre relation artistique restent - je le répète - beaucoup plus intuitifs que raisonnés. La beauté de cela c'est lorsque, après coup, le sens des choses nous "tombe" dessus comme une évidence et nous amène à comprendre que notre choix initial, presque inconscient, se révélait "juste". Lorsque nous avons essayé par le passé de trop théoriser ou penser notre travail, généralement nous n’avons abouti à rien ou avons fait fausse route. Si ce projet est un espace de liberté pour nous deux, alors à nous de privilégier cela.

Norscq est encore une fois celui qui assure le mastering. En plus de l'habitude, de la confiance, de sa façon de sentir vos musiques, que diriez-vous de ses services ? Est-il cet emballage symbolique qui vous aide à sentir que c'est fini, que le cadeau pourra être offert ?
Somekilos : Ne pas passer par Norscq pour cette étape absolument essentielle qu'est le mastering, serait pour nous assez inconcevable. Phil a travaillé de très longues années avec lui pour Von Magnet et pour 2kilos &More, mon autre projet, tous les albums sont également passés par ses mains (mixage+mastering). Il est sûr que l' "étape Norscq" signifie pour nous que l'album est vraiment terminé, cela va plus loin qu'un emballage symbolique.

Quelles lignes aviez-vous données à Sakurako pour son travail photographique ?
Somekilos : Pour le premier album, Sakurako – qui est une chorégraphe et danseuse Butō lituanienne – était présente pendant la session photo réalisée par la photographe Orélie Grimaldi. C'était une sorte de mise en scène improvisée, lors de laquelle nous avons utilisé ses sculptures de verre et où chacun a pu donner ses idées, exprimer ses envies.
Phil Von : Concernant infrasupra, Sakurako a réalisé cette série "Body Koan" il y a quelques années, donc indépendamment de Meta Meat. Avec ce concept, elle travaillait sur les limites du corps et nos perceptions de celles-ci. (Dans la pratique Zen, le “Koan” est un dialogue, une affirmation ou une question qui provoque le “grand doute”). Nous avons trouvé ses photos très fortes et totalement en phase avec nos nouveaux morceaux. Ensuite, Stefan Alt d'Ant-Zen les a "designées" afin qu'elles s'inscrivent dans la continuité de l'artwork du premier album (couleur, positionnement, typo...) Il faut préciser que ces photos n’ont subi aucun montage, ce sont des images d’un ami contorsionniste, c’est ce qui apporte une sincérité à ces poses : la torsion est belle et bien réelle et la composition du corps véritablement humaine.

La torsion des corps privilégie les extrémités, les pieds (infra) et les mains (supra lorsqu'elles sont dressées en poings levés). Ce qui est au milieu, serait-ce la musique elle-même qui irradie du centre intime vers les périphéries ?
Phil Von : Voilà ta lecture personnelle de cette image en rapport avec notre musique, une interprétation tout à fait cohérente et qui nous inspire. J’aimerais que chaque auditeur puisse interpréter cette association visuelle/sonore à sa manière.

Comment Meta Meat se déploie-t-il en concert ?
Somekilos : Au centre de la scène nos deux espaces électroniques, dont nous faisons usage à tour de rôle. Les deux côtés sont occupés par nos "zones" à percussions. D'un côté Phil sur sa boîte à percussion de pied (zapateados), ses percussions à main, instruments à vent et micro-voix. Moi en position debout également, avec mon kit de toms/cymbales et diverses percussions à main de l'autre côté. Nous avons sur scène une véritable ambition d'atteindre quelque chose de vraiment émotionnel, parfois tendu et toujours puissant, mais toutefois sensible et authentique.