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Album
27/09/2021

Ministry

Moral Hygiene

Label : Nuclear Blast Records
Genre : industrial metal
Date de sortie : 2021/10/01
Note : 60%
Posté par : Sylvaïn Nicolino

Si avant de démarrer cette chronique, on prend un peu de temps pour faire le point, on s'aperçoit que ce qui arrive à Ministry (et d'autres groupes) est singulier.

Globalement, pour une grande partie du public, ce groupe n'est plus intéressant depuis Filth Pig et son ralentissement en 1995. Pour une majeure partie des fans, Ministry s'est achevé avec sa trilogie thrash-indus anti-Bush et The Last Sucker en 2007 (il y a quatorze ans). Pour une minorité, Al Jourgensen poursuit sa route, en toute liberté, délivrant des albums sous le nom de Ministry (et d'autres noms dont le Surgical Meth Machine, fortement recommandé), une belle autobiographie, des concerts plus ou moins réussis, des vidéoclips impliqués. Ministry est toujours là sans avoir jamais véritablement splitté, mais avec des changements de line-up tels qu'on ne peut plus que regarder ce groupe comme une prolongation de Al et lui seul.

Ministry a passé la période de creux pour le "metal industriel" ; et alors que ce genre connaît un léger sursaut d'intérêt, Ministry est toujours là. Charge au journaliste qui a l'opportunité d'écouter ces dix titres plusieurs fois avant vous, de vous dire ce que ça vaut, en sachant que la plupart d'entre vous vont ouvrir cette chronique parce que la marque Ministry, ça titille quelque chose, mais sans rien attendre de ce quinzième album.

"Good Trouble" est le type de titre que le groupe aurait pu installer en ouverture ; s'il ne l'a pas fait, c'est que son rythme enlevé du démarrage bifurque vite vers une ambiance languide et lourde à la Filth Pig. On y retrouve l'harmonica vicieux (présent aussi dès "Alert Level"). Les samples de voix sont bien intégrés, notamment sur le chœur traité à l'image d'un sample. J'apprécie les harmoniques claires de la guitare et l'effet public dans un stade qui est donné. Jello Biafra donne de la voix sur "Sabotage is Sex" : c'est sans surprise. Moins bon que du Lard, déjà entendu. Pas mauvais : ceux qui aiment cette association de guitares en roues libres (ça ronronne comme une Harley) avec de rares effets rythmiques, surplombée par cette voix à nulle autre pareille en auront pour leur compte. Là encore, un joli passage plus sensible et fantomatique au cœur du morceau apporte de la nouveauté et démarque le titre de "Ass Clown" (Rio Grande Blood).

Al fait un effort, lance des pistes, tourne avec ce qu'il sait faire, assemble son puzzle, avec de bons moments : "Disinformation" joue de la lourdeur et de l'explosion, tente de ranimer un groove sur le sujet sensible de la thématique : informer / s'informer / déformer.

On arrive à la part du Lion : la reprise des Stooges. "Search and Destroy" s'adresse à une génération de quadragénaires (au minimum, 1973, c'est mon année de naissance !) qui avait pris en pleine face l'agression liminaire de l'album Raw Power. Fatalement, le choix de la transfiguration modernise le propos, évacue le choc. Le résultat est plaisant, d'abord pour la nostalgie qu'il porte, puis pour l'audace du mouvement, enfin pour le groove installé et pleinement réussi.

Avec "Believe me", l'ennui point : on entre dans la seconde moitié de l'album et celui-ci est un ou deux crans sous Amerikkkant. Se référer au Président des USA gêne quelque peu : Ministry a connu Ronald Regan, George Bush père, Bill Clinton, George Bush fils, Barack Obama, Donald Trump et maintenant Joe Biden... Âgé de soixante-deux ans, Al peut ajouter six autres noms ! C'est pas gentil de nous donner un gros coup de vieux.

La pochette reprend l'esthétique rétro fifties de Lard pour Pure Chewing Satisfaction : une ménagère au sourire crispé porte le plateau repas, de l'espoir en cannette, des opinions gelées, du raisonnable en boîte. Le parallèle entre la dictature des idées sous le maccarthisme et notre époque est un leitmotiv fécond. Retour musical qui se poursuit avec la tonalité psyché-folk de l'introduction de "Broken System" : elle sonne novatrice et le maintien de quelques acidités propulse ce titre dans ceux qu'on retiendra dans les semaines qui viennent. Les fans d'univers étranges se pencheront sur "We shall resist", titre plus expérimental (avec sa dose discrète de symphonie et de scansions hip-hop) dans lequel Ministry réveille son dub, sans en faire des tonnes. C'est très bien produit, les détails sonnent avec plaisir au casque, la voix d'Al joue de sa vieillesse et sonne bellement. Je dois l'avouer : un album bourré de compositions de ce calibre aurait épaté la galerie. Mais, pas de chance, avec "Death Toll", on a un remplissage dub-rock très loin des essais que faisait le groupe du temps de The Land Of Rape And Honey. Pour clore le disque, la nouvelle variation BPM à fond la caisse et vocaux hurlés pour un "TV Song #6" joliment hargneux et sursaturé. Strictement classique : la blague plaira à condition peut-être de rassembler soi-même ces compositions pour se faire un EP maison de digital-indus-metal siglé Ministry.

Au final, on a là un album qui remplit la discographie, sans être une pièce-maîtresse (on s'en doutait), sans être raté (comme le sont Relapse et From Beer to Eternity), mais avec quelques titres sympathiques à extraire, une fois les cinq-six écoutes plaisir effectuées.

Tracklist
  • 01. Alert Level
  • 02. Good Trouble
  • 03. Sabotage is Sex
  • 04. Disinformation
  • 05. Search and destroy (The Stooges)
  • 06. Believe me
  • 07. Broken System
  • 08. We shall resist
  • 09. Death Toll
  • 10. TV Song #6 (Right around the Corner Mix)