Minuit Machine avance. D'abord contre soi, contre les habitudes qu'on prend et le ronronnement. Contre la fatalité, l'épidémie et les parenthèses imposées au monde de l'art, la surdité qui arrive. Contre les carcans et les attentes caricaturales. Les armes des deux musiciennes sont l'honnêteté, le partage, le travail d'équipe et l'énergie. Minuit Machine, sur ce nouveau 24 (leur quatrième album succédant à un live), se dope aux BPM, ce qui ne va pas sans une mutation assumée de leur son et des enjeux. Explications et affirmations : voilà des battantes.
Obsküre : Techniquement, comment avez-vous enregistré cet album ?
Amandine Stioui (voix) : Nous composons l’intégralité de notre musique avec un ordinateur, un clavier midi, Ableton et pas mal de plug-in. Pour cet album, nous avons procédé comme pour Basic Needs, à savoir : Hélène a composé la partie instrumentale, et j’ai ajouté la ligne vocale puis mixé le morceau. Cette fois-ci, nous sommes passées par un ingénieur du son – M’hamed Ouzahra aka znzl – pour le mastering car Hélène n’était plus en capacité de gérer cette partie-là en raison des soucis de santé que nous évoquerons plus tard dans l’interview.
Par quels états d'esprit êtes-vous passées durant le processus de création ?
Amandine : Le processus créatif de nos albums / EP est assez court. Nous aimons composer dans une forme d’urgence. En fait, il n’y a pas réellement de réflexion dans le processus de création, nous nous mettons d’accord en amont sur une potentielle direction artistique, mais il est rare que dans les faits la composition suive cette direction artistique. L’important pour nous c’est d’être dans une impulsion de création et faire sortir quelque chose de brut qui reflète un état d’esprit à un instant T. Donc pour te répondre, nous sommes passées par plusieurs états d’esprit, et chaque morceau décrit et illustre une émotion différente.
Les deux singles-EP ont été une marche importante : vous aviez senti dès le début qu'il y aurait mutation dans la forme, sinon les intentions ?
Amandine : Nous n’anticipons jamais ce qui sort de nos créations. Certaines personnes nous suivent depuis le début et pensent, à tort, que nous avons essayé de suivre une certaine tendance EBM/techno. Mais en réalité, c’est juste que nous sommes en constante évolution dans nos vies, nos manières de penser etc., et nos goûts musicaux évoluent également. Donc il y a forcément des mutations, à l’image de nos mutations internes.
Finir sur "Unsent" envoie une bouffée de tristesse pour clore l'album : à quels questionnements renvoie le positionnement de ce titre ?
Amandine : "Unsent" est une lettre d’amour jamais envoyée. Elle s’adresse à une personne qui a énormément compté, qu'elle soit vivante ou décédée. Donc oui, c’est effectivement un texte très triste, mais depuis le début de Minuit Machine, nous avons pris le parti de ne pas refouler d’émotions et de laisser sortir ce qui nous traverse, sans filtre. C’est une sorte d’exutoire.
Justement, la version physique de l'album comprendra-t-elle un livret avec les paroles ?
Amandine : Oui ! C’est très important pour nous que les gens aient accès aux paroles. Tu vois, les questionnements sont variés sur ce morceau : comment faire le deuil ? Comment vivre avec un manque ? Et surtout, comme se reconstruire et atteindre une forme de bonheur dans un contexte de rupture amoureuse ?
Hélène de Thoury (instruments) : Et puis, musicalement, cela faisait longtemps qu’on voulait écrire une ballade au piano et on trouvait que c’était la meilleure façon de clôturer cet album. Car évidemment notre musique, influencée par les courants techno et EBM est devenue très dansante et nous voulions montrer cette autre facette de nous, celle qui était plus présente à nos débuts : l’émotion pure, un truc qui vous prend aux tripes.
Pourtant sur l'album, les rythmiques fortes sont parfois très typées, j'imagine et je sens qu'il y a chez vous un plaisir à s'enfoncer dans le beat ?
Amandine : Nous cultivons les paradoxes et aimons jouer avec les émotions. Les beats typés sont un moyen d’exprimer un panel de sentiments assez forts. C’est assez grisant d’arriver à exprimer de la colère ou de la tristesse par exemple avec un kick qui prend aux tripes. L’essentiel pour nous est, et a toujours été, de faire ressentir des choses. Positives ou négatives.
Je m'amuse avec le "tu as 24 heures", paroles qui ouvrent ce disque et que j'entends parfois en "tu as 24 ans". Comment voyez-vous la scène dark au regard de votre génération ? Est-ce que vous sentez une double pression : celle d'un public de votre âge, additionnée à l'observation des plus anciens ?
Amandine : C’est exactement ça ! Il y a d’un côté notre public fidèle depuis nos débuts, mais qui ne se retrouve pas forcément dans nos sonorités actuelles et de l’autre les personnes de notre âge qui accrochent avec nos nouveaux morceaux plus 90’s. Nous ne nous posons pas de question. L’idée c’est vraiment de faire ce qu’on aime, sans se soucier des tendances, des goûts de notre public, etc. La scène dark est belle et de plus en plus présente notamment en France. C’est vraiment important d’avoir cette scène alternative car elle apporte beaucoup à pas mal de gens qui ne se retrouvent pas dans les tendances actuelles.
C'est difficile de percevoir réellement ce public, en dehors des clics et des likes. Vous êtes actuellement en tournée au nord du continent américain, plus de vingt dates. Pour ma part, je guette votre venue sur Toulouse dans le cadre de la Setmana Santa ; comment allez-vous concilier concerts et problèmes d'audition ?
Hélène : J’ai perdu entièrement l’audition à gauche à la suite de complications du Covid en avril dernier. Et évidemment, c’est un sacré challenge pour la scène. On a dû changer l’emplacement de mon retour qui était auparavant sur ma gauche. Et on doit également surélever le retour au plus près de mon oreille droite car je porte une protection qui me coupe encore plus du monde. J’arrive à peu près à entendre ce que je fais mais le son reste lointain et étouffé.
Que symbolise le visuel de cette pochette ?
Amandine : C’est un visuel futuriste, allégorie d’une ère dans laquelle les technologies ont pris le pas sur tout, y compris l’humanité. C’est un personnage hybride, mi-robot, mi-humain, car cela fait pas mal de temps que nous avons l’impression que l’humain se "robotise". Les émotions fortes sont décriées et perçues comme archaïques. Les réseaux sociaux ont un impact extrêmement fort sur la manière dont nous percevons les autres, mais également notre rapport à notre corps. Donc nous avions envie d’illustrer cette robotisation, un corps imbriqué à des parties métalliques.
Hélène : C’était important pour nous aussi d’utiliser des couleurs claires pour changer de nos codes habituels et montrer qu’un visuel peut être "dark" sans l’être dans les couleurs. Nous ne voulions pas non plus que l’on voit le visage de ce corps pour le déshumaniser encore plus. Et malgré tout, il se dégage une certaine émotion. Un mélange de force et de fragilité, de douceur. Une sorte de super-héroïne vulnérable… et nous nous retrouvons bien dans cette dualité.
> MINUIT MACHINE LIVE
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10/11/2022 | Lorient - L'Hydrophone
23/11/2022 | Paris - Le Trabendo
10/12/2022 | Toulouse - Connexion Live
