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Album
15/01/2022

Mona Kazu

Steel Your Nerves

Label : Falls Avalanche Records / Urgence Disk Records / Atypeek Music
Genre : rock extra-cases
Date de sortie : 2021/11/12
Note : 80%
Photographie : Fabien Souilah
Posté par : Sylvaïn Nicolino

Jusqu'à ce troisième album, je n'avais pas vraiment entendu Mona Kazu et c'est regrettable. La voix de Priscille Roy fascine immédiatement. Sa profondeur et les émotions qu'elle porte avec force, dans une énergie contenue, apportent beaucoup à des compositions élégantes dans la complexité. Avec "NoSon", l'équilibre est sur le fil, entre une rage acide et des confessions graves. Le temps est laissé pour que les instruments prennent la parole et composent à leur tour un dialogue avec le chant évocateur.

Il est difficile de placer des références car celles-ci ne tiennent que quelques instants. La musique, le traitement des sons et les sonorités choises, ainsi que les rythmes ne renvoient pas à une case. Quand bien même on ose avec facilité le qualificatif de "rock", on déniche et on sent du trip-hop, de la new wave, de la noise, des résurgences d'industrielle symphonique ("Troubles", magnifique et grinçant)... Les effets sont calculés au plus juste pour ne pas tirer trop vers eux. Ainsi, "Porto Twins" joue une expérimentation post-noise avec une légère déformation métallique du timbre, l'étrangeté basculant sur le break, avant un retour en grâce du refrain. Les envolées se manifestent une seule fois, comme un plaisir unique, nécessitant la réécoute pour guetter l'instant de bascule de chacun des titres. Cette capacité à s'écouter et à se laisser parler dans le trio est la fondation de Mona Kazu (Priscille et Franck Lafay ont invité le batteur Régis Boulard pour cet album).

Leur nom en tête, on découvre que leur univers passé et présent est ouvertures : vers d'autres artistes (Kathy Aponi qui leur offre la peinture entre chair et bois de la pochette, Luc Bernad, Parvati), vers la lecture, le cinéma (en compagnie de Maya Deren) et le théâtre. En une dizaine d'années d'existence, le groupe a aussi laissé des éclaircissements : reprise des Breeders, de Low et de Chokebore, tournée en compagnie de Laëtitia Sheriff ou encore Shannon Wright. On est bien dans la bande des iconoclastes échappés des cases, aptes à passer du sensible au rugissement en quelques instants ("Tourbillon", avec un petit truc à la Amanda Palmer).

Pourtant, ici, c'est bien Mona Kazu qui prend la place, une entité se dégageant de ces circonvolutions à trois. La manière dont la musique se libère après un coup de chaleur de la voix est une astuce particulièrement épatante sur "Eden". Astuce ? Non, pas forcément : le calcul vient après l'instinctif. Il m'est plus délicat en revanche d'aborder "Psycho" : la structure déstabilise, la tonalité garage et la voix dans l'emphase portent bien le sujet, les accalmies sont belles et le morceau se pose en pièce-maîtresse, ne cessant de déraper, de se poser, puis de repartir à contre-pied. Ce goût du risque nécessite de la part de l'auditeur un travail d'approche. Ce n'est pas du consommable instantané, et on leur saura gré de ne rien renier d'un engagement musical plus artistique que classique.

Trois clips ont été lâchés et c'est avec une pointe d'inquiétude que je choisis "Kämpfen". Réalisé par Cédric de Montceau, dans ce court-métrage, les images s'amusent aussi des superpositions et inversions, des contrastes et de la poésie. Le morceau est la construction habile d'un carrefour de musiques qui place Mona Kazu au cœur d'un maelström. Cela générera-t-il une adhésion ou bien cette exigence crée-t-elle un tri nécessaire dans une audience qu'il convient de travailler au corps et à l'esprit ?

Tracklist
  • 01. Birds
  • 02. Porto Twins
  • 03. NoSon
  • 04. Eden
  • 05. Solead
  • 06. Tourbillon
  • 07. Psycho
  • 08. Kämpfen
  • 09. Troubles