Le premier volume de Musique Ambiante Française avait mis la barre très haut, offrant un panorama riche des possibilités d'interprétation actuelle de la musique ambient en France. Ce second opus, toujours aussi fourni et disponible soit en double LP soit en double CD (avec plus de titres, dont de vrais joyaux), va encore plus loin, inscrivant clairement le genre à la fois dans les recherches électro-acoustiques du milieu du XXe siècle, mais allant aussi piocher dans les courants minimalistes, drone, krautrock ou post-industriels. L'instrumentation est riche, ne se limitant pas à l'électronique, mais utilisant au mieux les orchestrations classiques (Ojard & Jean Ray, Villeneuve & Morando) ou les sonorités folkloriques (les harmonicas funèbres d'Ashburn County). La voix féminine apparaît aussi sur trois morceaux (Louisahh, Ashburn County, Felicia Atkinson), souvent dans un registre de spoken words glacés à la Ruth White, soulignant un certain mysticisme qui devrait séduire les amateurs de Coil. Et le feeling d'ensemble, même s'il propose des ambiances synthétiques mélodieuses de toute beauté, se fait beaucoup plus noir, voire post-apocalyptique (Bun, Bambounou), avec une large place donnée aux expérimentations, à l'antithèse de tous les clichés new age.
Les morceaux sont souvent des voyages en soi, développant des formes de tensions narratives (Ojard & Jean Ray) et aussi évocateurs que des bandes originales de films (Jackson and his Computer Band, Destiino). Le romantisme mélancolique est aussi bien présent, avec des nappages inquiets dignes des derniers travaux de Tim Hecker (Jackson And His Computer Band et le bien nommé "Romantico"). Et que dire de l'atmosphère spectrale, dévastée et marécageuse d'Ashburn County parsemée d'impacts douloureux ("Ghosts in the Battlefields") ou de l'effroi diffus et des montées menaçantes de Bun ("fatblwhut48") ? C'est aussi dark et profond que les meilleurs Lustmord, tout en restant compatible avec un cinéma introspectif, à créer par chacun pour soi. La perception s'altère, les sons s'inversent (Louisahh), l'abstraction prime. Les grattements distillent une angoisse sourde (Krikor), l'hypnose est absolue (67Yarc, side-project de Joakim, qui prouve encore ici sa maîtrise d'un drone aux changements envoûtants).
La dimension cosmique du premier volume n'est pas laissée de côté pour autant (Fille Unique, Destiino, Abstraxion), mais même les réminiscences kraftwerkiennes et le son analo seventies se teintent de tristesse (Le Comte), voire d'un onirisme enfantin (Trypheme). Le piano revient assez régulièrement mais peut laisser place à une polyphonie des plus ombrageuse digne des grands travaux d'avant-garde du XXe siècle avec, comme chez Smagghe & Cross, un sens du dramatique et de l'extatique qui n'aurait pas déplu à un Penderecki ou un Arvo Pärt. Le double album fait ainsi la part belle aux recherches sonores, rend hommage à quelques grands noms de l'ambient (Eliane Radigue, Brian Eno…) et ne cherche jamais à en faire des tonnes, variant entre un certain minimalisme (Pierre Rousseau, Sonic Haiku) et des atmosphères plus noires, étranges et torturées. Une très belle sélection.
