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Ténèbres, puits sans fond. Obsküre plonge, fouine, investigue, gratte et remonte tout ce qu’il peut à la surface

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Interview
29/09/2019

Nairod Yarg

"Nous voulions tous les deux un son plus rugueux et noisy"

Genre : cold wave / post-punk
Posté par : Sylvaïn Nicolino

26 septembre 2019, Lyon. Release Party du premier album de Nairod Yarg. Concert et invités. Disque sorti par souscription. Rock’n’roll et chant habité. Ouverture du bar à 18h00 et concert à 20h30. Du beau monde était attendu. Ça s’est passé au Rock’n Eat, quai d'Arloing. Des militants du rock tendu et hanté. Ces mêmes Nairod Yarg avaient invité les curieux à leur enregistrement. Ce duo camoufle des gens fréquentables... Vous souvenez-vous de Dead Souls Rising ? Plus d’indices ci-dessous, en attendant de se balancer en live et chez soi sur leurs morceaux cold-noise.

Obsküre : Vous êtes un duo, mais sur la pochette, on a trois personnes représentées. Que symbolisent ces trois individus quant à votre album ?
Sébastien : Le nom du groupe signifie Dorian Gray en verlan. Un clin d’œil au célèbre livre Le Portrait de Dorian Gray d’Oscar Wilde. Ce roman parle d’un jeune homme qui vend son âme au diable, pour garder la beauté et la jeunesse éternelle. Les trois personnages sont des acteurs et actrices des années 1950 qui représentent les standards de beauté de l’époque. Les yeux "effacés en jaune" symbolisent la noirceur de leur âme.

En quoi le personnage de Dorian Gray insuffle-t-il vie à ce nouveau projet que vous avez monté ?
Le personnage de Dorian Gray a insufflé une urgence face au temps qui passe. La composition des titres s’est faite dans cet état d’urgence en deux mois. L’enregistrement, les arrangements et la recherche du son quant à eux ont été beaucoup plus long. Ça nous a pris environ huit mois.

Comment s'est déroulée votre opération de crowdfunding pour réaliser ce disque ?
Rudy : Ça a été un vrai coup de boost pour notre projet et pour le moral. Pour être honnête, nous étions très sceptiques quant à la réussite d’un éventuel financement participatif. Nous n’étions pas très sûrs de vouloir le lancer. Sûrement la peur de l’échec. Heureusement, une connaissance nous a incités à le faire.
On peut dire que c’est un vrai événement pour nous. L’objectif a été atteint en vingt jours seulement et au final, nous avons récolté de quoi financer en grande partie la conception de l’album. Pour nous c’est très important, car au-delà du financement, nous avons pu voir l’engouement se créer autour du projet Nairod Yarg. On a eu de très bons feedbacks et cela nous a rassurés. Nous sommes plus que motivés pour défendre cet album. On en profite pour remercier tous ceux qui ont participé. Sans eux, notre projet n’aurait pas avancé aussi vite.

Inviter des gens à assister à une session d'enregistrement, c'était aussi un moyen de remercier les curieux ?
Sébastien : Nous avions en tête des doublages de voix sur trois titres. Nous avons des amis musiciens et chanteurs, c'était donc tout naturel de les inviter pour faire ces doublages. Notre home studio est installé chez moi, donc il est facile d'improviser une session d'enregistrement.

Votre son est multiple, cependant la dominante est un rock gothique dans la lignée des travaux de Peter Murphy. Quelles lignes et quelles limites vous êtes-vous données au démarrage de l’aventure Nairod Yarg ?
Nous n’avons pas sorti notre mascara et nos chemises à jabots (sourire), mais il y a effectivement un côté sombre dans notre musique et Bauhaus est un des premiers groupes que j’ai écouté avec The Cure. La voix joue certainement beaucoup dans la définition du style. Rudy apporte le côté punk & noisy au groupe et moi le côté cold wave. Nous voulions tous les deux un album plus rugueux et noisy que ce que nous avions fait dans nos projets musicaux précédents. Les mélodies sont là, mais elles sont moins évidentes à la première écoute. Nous espérons que l’énergie insufflée dans les morceaux contrebalance avec la noirceur des textes.

Certains textes vous ont été offerts : comment Sandrine a-t-elle travaillé (avait-elle la musique?) ; et pour toi, Sébastien, comment se passe l’appropriation des mots d'une autre ?
Sandrine Cognet qui officiait à la basse dans le groupe cold wave Mémoires d’Automne a écrit deux textes ("Effortless" et "The Rhum & Me"). Après Mémoire d’automne, Sandrine et moi avons monté le groupe The Naked Man qui a duré quelques années. À cette époque, Sandrine écrivait tous les textes et je composais la musique dessus. C'était la sonorité des mots qui m'inspirait, plutôt que le véritable sens des paroles. Sandrine a gardé l'habitude de m'envoyer des textes et deux d'entre eux figurent sur l'album de Nairod Yarg. Si ma mémoire est bonne les deux musiques ont été composées avec Rudy et j’ai posé ma voix par la suite avec les textes de Sandrine. J'aime beaucoup ses textes car ils sont très personnels, mais leur interprétation est multiple.

Ce projet n’est pas que l’affaire d'un duo, vous avez des invités sur le disque dont certains se retrouveront lors de la release party. Peut-on voir ce disque comme un témoignage de la scène lyonnaise, un aboutissement qui va au-delà de vos deux seules personnes ?
En effet, Anita Scotch qui chantait dans le groupe rock garage Little Garçon a fait les chœurs sur deux titres, "The Garden" et "Fall apart". Seb Noway du groupe punk rock "Lashing Fred" et Allastrelle du groupe Dead Souls Rising ont également fait des chœurs sur le titre "Taedium Vitae".
Rudy : Je ne pense pas que l’on puisse voir ce disque comme un témoignage de la scène lyonnaise. La scène lyonnaise est vraiment riche et très éclectique. Par contre, on peut dire que la musique a un vrai pouvoir pour rassembler les gens de façon positive. Notre disque en témoigne.

Avec le retour en force de la synth-cold, avez-vous le sentiment que la France se construit une nouvelle scène forte ? Je pense à des groupes comme Rendez-Vous, Varsovie, Hante., Joy Disaster qui pourraient faire office de locomotives...
Je ne sais pas s’il y a un réel retour en force de la synth-cold, mais les termes cold wave et post punk semblent ne jamais avoir été aussi utilisés qu’en ce moment, même sur des médias assez grand public.

Et quels regards portez-vous sur ce regain d'intérêt après des années de vaches maigres ? C'est tant mieux ou bien ça vous rend amers ?
C'est bien que de jeunes groupes fassent perdurer un style musical. Il y a de bonnes choses en ce moment comme The Murder Capital ou Bambara. Ça existe aussi dans d'autres styles de musiques, comme le revival psychédélique il y a quelques temps.
Dans le milieu post punk, il y a eu tellement de bonnes choses au début des années 1980 qu'il faut faire attention à ne pas être de pâles copies et les précurseurs de cette musique continuent aussi à faire de bonnes choses (New Model Army, And Also The Trees, Nick Cave, les live de The Cure...)

Le morceau "Les Mots brûlants" aborde la violence par les mots, les leurres (un très bon album de Dominic Sonic !) et le soulagement par les larmes. Ce "nous" utilisé dépasse celui du couple, non ?
Sébastien : En effet "Les Mots brûlants" parlent de mots qui peuvent faire du mal au sein d’un couple lors de dispute ou d’une situation de rupture, mais aussi d’une violence verbale homophobe, raciste, etc. Je ne connais pas le titre "Les Leurres" de Dominic Sonic, mais j’adore son premier album Cold Tears.

Il me semble que sur la face A, les titres sont plus courts, plus instinctifs et réactifs alors que la face B, me paraît plus introspective ("Cold Kiss" et "A Shadow runs away"). Comment conciliez-vous ces deux aspects en live ?
Cette impression d’introspection sur les titres "Cold Kiss" et "A Shadow runs away" vient peut-être des parties instrumentales et des nappes de guitare. Ces titres se marient bien aux autres en concert et permettent d’assoir une ambiance. En ce qui concerne le tracklisting, les contraintes du vinyle ont beaucoup influé sur l’ordre des chansons.
Rudy : Sur scène, tout est plus instinctif et énergique. On change régulièrement l’ordre des chansons, car on travaille encore notre set. C’est beaucoup de travail pour recréer les textures sonores du disque. Les morceaux introspectifs se créent au calme, ou tard le soir.

"Angry Radio" se démarque fortement : que symbolise-t-il ? La rage des radios libres devenues des machines dés-artistiques ?
Sébastien : Ton analyse est bonne car, en effet, les standards de beaucoup de radios ne correspondent pas à nos goûts musicaux, mais ce titre est en réalité une anagramme de "Dorian Gray".
Rudy : Pour être honnête, nous voulions surtout avoir un temps musical à nous. Il permet ainsi de libérer Sébastien du chant et de se laisser aller par la musique.

Sait-on plus que par le passé à qui l’on s'adresse quand on se lance dans un nouveau groupe en 2018-2019 ?
Depuis l’arrivée d’internet, l’audience est beaucoup plus abstraite que par le passé. Avant internet, les auditeurs étaient beaucoup plus identifiables, car la communication se faisait beaucoup par des réseaux musicaux de proximité (fanzines, associations…). Ça existe encore aujourd’hui, mais Internet offre une vue sur un public plus large. Mais ça reste assez abstrait. D’un autre côté, des groupes peu médiatisés comme le nôtre sont noyés dans la quantité impressionnante de productions musicales que présente le net. Les médias indépendants comme Obsküre, gérés par des passionnés, sont pour nous les meilleurs vecteurs pour faire connaître notre musique.