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Ténèbres, puits sans fond. Obsküre plonge, fouine, investigue, gratte et remonte tout ce qu’il peut à la surface

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Interview
06/11/2020

Neraterræ

" 'Scenes From The Sublime' représente le sommet de ma passion pour l’art"

Genre : dark ambient
Contexte : Sortie de ‘Scenes From The Sublime’ (Cyclic Law) (2020)
Posté par : Emmanuël Hennequin

L’Italien Alessio Antoni est l’un des artisans du son les plus prometteurs de toute la nouvelle vague ambiante. Son projet personnel, Neraterræ, a sorti cette année un fascinant nouvel opus studio chez le label spécialisé en musiques atmosphériques et industrielles Cyclic Law. Scenes From The Sublime, c’est son titre, illustre par vagues des toiles de maîtres entrées dans le panthéon personnel d’Antoni et projette avec force leur intériorité dramatique. Obsküre est parti à la recherche de ce nouveau maestro dont la cinématographie sonore impressionne plus que jamais, et l’a questionné sur son rapport à l’art.

Obsküre : Une sensibilité qui se développe, la pratique parfois de l'art… il y a un terreau. Comment expliques-tu ce niveau d’intérêt personnel chez toi pour l'art pictural ?
Alessio Antoni : Mon père était grand adepte de tout ce qui touche à l’art, il m’a fait découvrir cet univers quand j’étais enfant et je lui en suis reconnaissant. Je ressens la force d’une telle passion et elle grandit en moi au fil du temps. Au fil des années, j’ai éprouvé de plus en plus intensément le désir de parcourir les couloirs d'un musée, de collectionner les livres d'art, étudier et faire des recherches. Je crois que Scenes From The Sublime représente le sommet de cette passion.

Étais-tu, dès le début du travail sur le nouvel opus de Neraterræ, dans une intention consciente d’en référer à des tableaux de maîtres determinés ou cette "révélation référentielle" s’est-elle faite au long cours ?
Je ne savais pas vraiment quelles peintures m’inspireraient, je ne l'avais pas complètement planifié au début. Je n'avais que peu de préférences. Au fur et à mesure que je sculptais les morceaux, j'ai remarqué qu'ils commençaient à refléter mes goûts et mes sentiments généraux sur des peintres et des œuvres d'art spécifiques. J'ai suivi ce chemin.

Pourrais-tu développer pour nous ton sentiment personnel face à certaines des peintures illustrées dans l'album ? Commençons si tu le veux bien par les toiles de Zdzislaw Beksinski…
Ce qui me fascine le plus dans l’art de Beksinski est sa capacité à dépeindre un environnement surréaliste, phénoménalement dystopique et désolé. C’est fou, si on considère qu’il n’était pas un peintre de formation mais… un architecte ! La désolation profonde et sombre des peintures pour lesquelles il s’est rendu célèbre est vraiment unique, on sent vraiment la fragilité de la chair et l’effondrement imminent de la vie telle que nous la concevons.
Pour les deux pistes inspirées de Beksinski, j'ai été "guidé" par les tableaux référencés AA72 [œuvre ci-dessus] et AE78 [ci-après] . Sur le morceau “The last Abjurer” (NDAA : inspirée par AA72), l'objectif principal était de reproduire le sentiment de malheur imminent pouvant être éprouvé en contemplant le tableau. Tout dépendait de ce qui allait se passer : inévitablement, lentement et de manière oppressante.
Sur AE78, le scénario dramatique et presque d'un autre monde était le point de départ idéal pour créer une atmosphère sombre, étrange et éthérée. On peut dire que les deux, l’œuvre d'art et la chanson connexe “Doorway to the I”, ont un peu une touche SF, dans un certain sens. Je pense qu’AE78 est l’un des meilleurs exemples de la créativité de Beksinski.

Passons à Goya et son Exorcisme [ci-dessous], maintenant.
Dire que j'aime les œuvres de Francisco Goya, en particulier celles réalisées pendant la période dite des "Black Paintings", serait assez évident, mais la vérité c'est que je les aime beaucoup. Compte tenu de la période, vers les années 1820, ces visions de Goya sont stylistiquement innovantes. Les atmosphères sont denses, obsédantes et intenses. De plus, je trouve que l'utilisation de couleurs or et marron sur le fond sombre / noir, représentant souvent la nuit, ajoute une force dramatique aux événements décrits.
Dans "Thou, Daemon" (NDAA : basé sur L'Exorcisme), je voulais représenter le concept de deux forces opposées luttant l'une contre l'autre, le démoniaque et le saint, en un sens, entrelacés dans une danse mortelle. Il me semble que les performances vocales de Yann Hagimont, de Cober Ord, et de George Zafiriadis, de Martyria, insufflent ce sentiment dans l’esprit de l’auditeur. Pour moi, un tel contraste est clairement visible, également, dans la peinture.

Il y a enfin J.H. Füssli, avec Le Cauchemar (1781)…
À mon avis, il y a toujours eu quelque chose d'intéressant sur le plan conceptuel dans Le Cauchemar de Füssli : il y a un sujet, la femme, et ce sujet est en fait placé dans un autre sujet, qui est la scène entière elle-même, le rêve / cauchemar. Donc même si nous ne pouvons pas dire qu’il y a deux sujets, nous pouvons dire qu’il y a un sujet dans l’autre.
J'adore la technique du clair-obscur et l'harmonie et l'équilibre de la scene. Il y a un schéma pyramidal qui embrasse le cheval, l'incube et la femme, tout est dynamique mais parfaitement immobile. Sur "The Insondable lives again", inspiré du Cauchemar, j'ai beaucoup expérimenté, étant donné le concept de la peinture elle-même. Je pense que la musique reflète la sensation de confusion que nous pouvons ressentir après / pendant un cauchemar. Pour moi, il était important de conserver ce sentiment tout au long de la chanson. Vous pouvez entendre des détails subtils, des chuchotements et des ondes de drone apparaître et disparaître afin de reproduire la dynamique absurde d'un rêve.

Nul ne contrôle tout dans le processus de création. Lors du travail, certaines choses émergent qui ne s’incorporeront pas dans l’ensemble final. Pour cet album, le processus a-t-il entièrement été fluide ou as-tu rencontré ce genre d’aventure, d’accident ? Aurais-tu alors conservé des choses qui ne verront la lumière que plus tard ?
Il y a en réalité un morceau qui n’a pas fini sur le disque, inspiré par Autoportrait de Böcklin mettant en scène la mort jouant du violon. Un tableau que j'aime beaucoup. J'ai préféré ne pas l'inclure dans Scenes From The Sublime parce que j'avais l'impression d'avoir déjà suffisamment de matériau prêt. De plus, Böcklin était un peintre dont je m'étais déjà inspiré (NDAA : voir du côté de "Towards Oneiric Truths", basé sur la toile L'Île Des Morts). C’est la seule piste que j’aie gardée dans un placard mais pour être honnête, je ne sais si j’y remettrai la main à l’avenir.

Comment s'est déroulée la récente collaboration pour le projet Kegaal ?
Tout a commencé en 2018. À l'époque, je travaillais sur mon premier album et je suis entré en contact avec New Risen Throne et Taphephobia, devenus mes partenaires criminels pour Kegaal. Nous avons parlé de la possibilité de faire quelque chose ensemble et il ne nous a pas fallu longtemps pour décider d'unir nos forces en trio. Même si nous avons des antécédents, des visions musicales, une approche et des sons différents, nous avons apprécié le processus jusqu'à present. Nous nous estimons mutuellement et, personnellement, j'aime simplement faire de la musique avec Gabriele (New Risen Throne) et Ketil (Taphephobia). Ce sont des gens extraordinaires. Cette amitié nous a amenés à terminer notre première mini-sortie en quelques années, elle s'intitule donc Kegaal et est arrivée le 8 octobre 2020 chez Cyclic Law en formats CD et digital, en accompagnement du livre Pillars, Vol. 2: Seeds Of Ares, publié par Anathema Publishing Ltd (Canada) et distribué par Cyclic Law. Notre premier véritable album sortira dans le futur, l'année prochaine espérons-le.

Ces derniers mois et jusqu'en septembre, tu es resté assez silencieux sur les réseaux sociaux. Avais-tu besoin de distance et as-tu progressé sur de nouvelles choses pour Neraterræ ?
Je travaille sur du nouveau matériau solo depuis pas mal de temps maintenant. Il n'est pas inhabituel pour moi de me tenir à distance des médias sociaux de temps à autre et de me concentrer uniquement sur ce qui est important pour moi… comme faire de la nouvelle musique, par exemple !
Sur le plan artistique, je n'ai pas de "calendrier" pour un futur proche. Ce que je peux vous dire pour le moment, c'est que, comme mentionné précédemment, il y aura le premier véritable album Neraterræ / New Risen Throne / Taphephobia en trio. D'un autre côté, je continuerai à œuvrer sur mon nouvel album solo, chose sur laquelle il a été très stimulant et intéressant d’avancer jusqu'à présent. Sur un plan plus technique, j'ai assuré le mastering de quelques disques hors Neraterræ qui sortiront bientôt. Je m'occupe assez facilement, à vrai dire.