Atticus Ross et Trent Reznor s’entendent bien, pour des raisons qui tiennent sans doute à une chimie des sentiments, des valeurs. Parmi les principes moteurs du travail, la minutie : ce sens de la belle ouvrage, qui (dans notre sentiment) fait ciment.
N.I.N., que vous ayez ou pas apprécié la sommes des productions nées de leurs efforts communs pour le groupe depuis l’arrivée d’Atticus en 2016, est toujours resté dans une forme d’exigence. Quoique les mélodies des Américains ne nous marquent plus aussi fort depuis The Fragile (1999, ça remonte), Reznor et Ross forment une paire inventive. Le son se reconnaît à dix mille – et quoique la profusion avec laquelle ils ont essaimé dans le champ des musiques illustratives (sous leurs noms propres) ne nous ait pas automatiquement convaincus, le travail entrepris pour la bande originale du prochain TRON: Ares nous réconcilie avec leur N.I.N.
Nous garderons près du cœur les morceaux qui se rapprochent le plus du format chanson. À travers elles, en 2025, N.I.N. s’expose en superbe : un "I know you can feel it" nous ramène vers les grandes heures ambiantes de Reznor, un "As Alive as You need me to be" prend votre corps pour une marionnette. Dansez !
Alors bien sûr, le disque, puisque c’est sa vocation, est truffé de micro-créations climatiques. 24 titres, vous imaginez. Caractérisées par un travail poussé de texturation synthétique ("100% Expendable") et par une charge modérée, ces petites sculptures s’avèrent assez réussies pour la plupart ("Permanence") mais nous laissent avec ce sentiment qu’il s’agit d’un exercice de style pour N.I.N. plus que d’un format album au sens classique du terme. Déception ? Non. Ce n’est pas une déception, puisque la B.O. était annoncée pour ce qu’elle était. Elle forme aussi une occasion de repositionner N.I.N. comme entité créative. Ces dernières années, le groupe s’est surtout fait remarquer pour l’ambition renouvelée dans la performance live. Sur TRON: Ares, N.I.N. se réarme. La délicatesse des climats, tout d’abord, est typique de la marque de fabrique : un piano minimal dessine l’aube sur "Still remains". Il y a aussi cette sourde oppression : "Nemesis", "New Directive". Et puis il y a, et nous l’attendions, la voix de Reznor. Elle parsème le disque et lie l’ensemble. Au fond, elle pourrait "justifier" le recours au nom N.I.N. (le poignant "Who wants to live forever ?", en duo avec Judeline).
Justifier ? Non. Sa présence est a priori et davantage le résultat de l’histoire du projet. Le cadre était posé : l’utilisation du nom N.I.N. était une condition, requête de Disney survenue tôt après la sollicitation des deux maîtres d’œuvre par le producteur Sean Bailey. La fameuse marque aux trois lettres majuscules est ainsi et pour la première fois associée à une production cinématographique, et la paire Ross/Reznor a construit l’ensemble en conscience et en pleine considération des canons esthétiques propres à N.I.N.. Les adeptes ne seront pas dépaysés, quand bien même le traitement du son s’adapte à l’univers dystopique et néo-rétro du TRON 2025. Les contributions extérieures (Boys Noize, Judeline, Hudson Mohawke), quant à elles, apportent petit piment : ambition de détail, de complétion. Et vous retrouvez dans le son les éléments de la marque, en particulier ces glissements déprimés et hypnotiques ("Target identified"). Le caractère electro retro-80’s de ces masses ("What have you done ?", "Ghost in the Machine") leur donne un charme un peu suranné ; mais c’est aussi ce qui, sans doute, fait la force de ce volume, raccord avec l’esprit du TRON originel.
Au final, la marque N.I.N. s’impose, jusqu’à réveiller de vieux souvenirs ("A Question Of Trust", réminiscence – sans l’abrasion – de la marche dansante d’un "Head like a Hole"). Et paradoxalement, elle le fait peut-être mieux que ce qu’elle a pu accomplir ses œuvres originales et formats plus classiques parus depuis 2016, 2018.
