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Ténèbres, puits sans fond. Obsküre plonge, fouine, investigue, gratte et remonte tout ce qu’il peut à la surface

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Interview
12/05/2023

Novembre

"Le subjectif, le malsain sans entrer dans le cliché gore"

Genre : musique polaresque / épaisseurs métalliques / orchestrations cinématographiques / histoires à faire peur
Contexte : sortie du premier album studio 'Inox' (05/05/2023)
Photographie : Le Pendu
Posté par : Emmanuël Hennequin

Inox, tout premier album des Français Novembre, successeur du suggestif et maîtrisé EP Nacre, expurge un récit noir et fantasmé. Le subtil mix d’orchestrations et de saturations tirant vers le metal, préparé par Le Pendu, crée un tapis sonore idéal pour les récits de L’Amiral : horrifiques, évocateurs de ce qui travaille l’intériorité au point de faire commettre l’irréparable. Crime organisé. Sous la terre, des corps qui ne devraient pas encore s'y trouver. Il s’est passé quelque chose. Un imprévu.

Les deux hommes ont pris une habitude de  travail en dehors du cadre qui les réunissait originellement, à savoir le projet post-metal Erlen Meyer (dernier album Sang & Or, 2019). Le Pendu n’est plus de la Meyer party mais le binôme a poursuivi son bonhomme de chemin ; et depuis la parution du très, très beau clip "Marchand de Fables" (2021 - réalisation : Sébastien Duattis), Novembre a empilé des créations plus que simplement originales. Le son est ample, le verbe précis et dans ce qu’égrène ce spoken word au phrasé rappé mais non rétif au chant, dans ce qu’elle déclame, la voix a trouvé les mots du dérangement, des noirceurs de l’âme. Inox : une collection de mini-polars, à écouter d’une traite ou séparément, et dont l’univers filmique et la lettre se distinguent avec puissance dans le monde des musiques amplifiées de 2023.

Obsküre : "Marchand de Fables", qui ouvre Inox, est sorti il y a deux ans. À l’époque, étiez-vous déjà dans l’idée de proposer un format long avec Novembre – et si oui, le ralentissement des activités humaines lié à la période Covid/confinement a-t-il impacté/ralenti ce projet ? 
Le Pendu : Non. À la base nous n’avions pas envisagé le long format. C’est venu après. Nous avons pas mal composé pendant la période Covid et comme le nombre de morceaux augmentait, nous nous sommes mis à réfléchir aux formats CD / vinyle. Nous n’avons d’ailleurs pas trop été embêtés par cette période. Le format duo nous facilite bien la tâche et nous sommes habitués à bosser à distance. Novembre  fait ça depuis toujours. Je compose chez moi, j’envoie les parties à L’Amiral et il pose le chant de son côté. Une fois que tout est mis à plat, nous allons retrouver le Troisième Homme. Fred, du Conkrete Studio. C’est lui qui met le vernis sur la musique. Novembre a beaucoup de chance de travailler avec lui.

Dans Erlen Meyer, vous deux collaboriez – avec d’autres bien sûr, jusqu’au départ du Pendu – à la formalisation d’une musique organique, noire, déclamée. L’organique primait dans ce "post-metal/sludge", s’il faut mettre des mots sur les choses. Comment naissent-elles ? Qu’est-ce qui dans la qualité de votre relation/interaction, dans vos valeurs ou aspirations personnelles respectives, a favorisé l’émergence de ce projet déconnecté d’Erlen Meyer ?
Novembre est né presque au hasard. J’ai toujours beaucoup composé dans Erlen Meyer et j’enregistre quasiment toutes mes idées de musique. De ce fait, j’avais pas mal d’instrumentaux qui n’étaient pas forcément adaptés à Erlen Meyer, mais que L’Amiral adorait. À partir de là, il m’a proposé de poser du chant dessus. L’Amiral et moi étions les deux seuls à aimer le rap, c’est lui qui a voulu proposer une sorte de rap/spoken word

L’importance du machinisme semble réelle dans la musique que vous fabriquez pour Novembre. Quel niveau d’utilité accordez-vous aux machines dans votre processus "à deux" et peuvent-elles parfois être la base sur laquelle vous construisez le reste ?
Pour le coup c’est surtout moi qui utilise les machines, que ce soit pour composer ou sur scène. Nous avons de la chance de pouvoir vivre à une époque où n’importe qui peut facilement enregistrer de la musique avec un simple ordinateur et utiliser des VST. Ça ouvre le champ des possibles. Toutes les familles d’instruments sont à portée de clic. Étant un gros fan de musiques de films et de films en général, c’est génial pour moi de pouvoir utiliser des cors, des violons, de la harpe, etc. Ça donne une teinte beaucoup plus épique sur certains passages. Et puis ça me permet aussi de pouvoir utiliser toutes sortes d’effets. Sur scène, nous partons sur une configuration assez simple, pas trop de machines. On essaie de rester sur l’efficacité.

Une chanson, une histoire dans Inox. Musique et textes sont-ils des works in progress liés, fonctionnent-ils la main dans la main ou l’un des processus a-t-il tendance à ouvrir la voie à l’autre ?
La plupart du temps je fais les musiques en amont. L’Amiral me suggère par la suite des modifications de durées de passages. Je n’interviens jamais sur le thème des paroles ni même l’intention que L’Amiral veut y mettre. Il sait où il veut amener le morceau, et j’avoue ne pas avoir grand-chose à lui soumettre (sourire).

L’Amiral met en œuvre une langue suggestive et macabre au fil des histoires qu’il conte dans Inox. De quoi naissent les histoires ? Sont-elles le produit d’une inspiration liée à ton bain culturel : un livre lu, un film, une image, une scène qui marque ?...
L’Amiral : Je pense que mon inspiration amalgame beaucoup de choses : du vécu, des terreurs d’enfance et tout l’imaginaire qui s’y construit à ce moment. Il est inévitable que certains bouquins ou films laissent des traces indélébiles. J’ai dû en voir/lire certains beaucoup trop jeune (merci papa…). Beaucoup de souvenirs d’enfance également. Petit, j’avais une sacrée belle collection de couteaux qui peut expliquer certaines choses (rire)… En tous cas, mon appétence pour les vieilles bâtisses vient clairement de là. J’ai grandi dans de grandes et vieilles maisons, où gamin je rêvais que j’y découvrais de nouvelles pièces, des passages, des tunnels... même dans ma propre chambre ! Ma carrière en milieu hospitalier fait aussi que j’ai également assisté à des situations glauques ou étranges, qui inconsciemment m’ont nourri. Aujourd’hui je suis infirmier à domicile et l’un des points que j’adore dans mon métier est d’aller dans des lieux incroyables. Du taudis, en passant par de la très ancienne maison ou villa de luxe. Parfois j’y vois des choses folles…et les protagonistes qui les habitent sont aussi une source d’inspiration (rire)… Voila en vrac de quoi germent toutes ces histoires. Tu y rajoutes des peintures de Modigliani, qui me terrifiaient gamin dans les couloirs de chez mes parents, des têtes à coiffer qui ne te lâchent jamais du regard, et plus tard des séances à faire tourner les tables qui ne se passent pas comme prévu… et tu obtiens les paroles de Novembre.

L’inclination au chant sur certains titres, comme par exemple "Nuances de Rouge", produit un fort enrichissement du propos et de l’esthétique sonore. La voix est maîtrisée et charnelle et c’est un aspect du travail de L’Amiral que nous connaissions jusqu’ici assez peu. Comment s’est dessinée cette option du "chanté" dans Novembre ?
Déjà, merci beaucoup pour ces mots. Dans ma famille tout le monde chante plus ou moins. J’ai toujours aimé ça. J’ai la chance qu’avec mon Pendu nous aimions ça autant l’un que l’autre. Déjà au lycée on se gavait à tue-tête dans la cour à chercher des contre-chants, harmonies etc. – sur tout et n’importe quoi ! Et nous souhaitions mettre dans Inox un peu plus de reliefs que dans nos précédents morceaux. J’essaye de ne jamais forcer la mélodie. Si elle ne vient pas comme une évidence c’est qu’à mon, sens il n’en faut pas. Par chance, tout fonctionne bien. Jérémie fait des instrumentaux qui m’inspirent, me touchent, parfois me bradassent …alors tout coule assez simplement.

L’être humain a cette paradoxale capacité à faire le bien autant que le mal. À travers les histoires qu’il conte, le texte de Novembre nous interroge sur notre nature, nous confronte à notre propre animalité, notre dangerosité (précision utile à l’attention du groupe et du lecteur : votre serviteur n’a pour l’heure tué personne et n’a que rarement biné, exécrant le jardinage). Quelle fonction a l’activité d’écriture dans le vécu de L’Amiral ? Coucher le texte est-il un moyen de se distancier des affres de la nature humaine ? Protège-t-on au fond quelque chose de soi-même/se préserve-t-on en écrivant ?
Écrire pour moi n’est pas vraiment un besoin. Mon besoin est plus de mettre du vernis sur la musique de mes amis. Ils font de la belle musique, alors j’essaierai d’y mettre le plus beau des vernis… Quand j’attaque un morceau, c’est toujours dans la douleur au début. J’entends "labeur" par douleur. Une fois que c’est parti par contre, je suis un peu autiste. "Les plus grands détraqués sont en cavale, maîtres d’œuvre de ton mémorial" (cf. "50 Nuances de Rouge"). Coucher un texte n’est pas pour moi un moyen d’assouvir ou de me distancier de quoi que ce soit… ou alors peut-être inconsciemment ? Dans le doute restez bien au chaud à la maison quand j’arrêterai d’écrire (rire). J’aime cela dit cette idée d’être un caméléon. Pouvoir être dans la vie le bon garçon, le gendre idéal et écrire et chanter les pires atrocités… 

Vos vidéos font l’objet d’un soin tout particulier. À quel point déléguez-vous le storyboarding/tramage des vidéos ? La direction artistique reste-t-elle au réal ou vous deux impliquez-vous dans la direction artistique ?
Le Pendu : Nous avons juste donné juste notre accord final. Sébastien Duattis, le réalisateur des deux clips, a eu carte blanche. Il a parfaitement compris et su retranscrire notre univers à l’image. Il a fait un boulot exceptionnel.

Le Pendu assure le travail photographique autour de Novembre, pour sa promotion voire au-delà. Pendu, comment appréhendes-tu ce travail autour du groupe ? Quelle intention sous-tend l’esthétique de l’image ?
Je me régale à le faire. Et pour être franc je préfère le faire. Je n’aime pas trop déléguer sauf quand je ne maîtrise pas le sujet (sourire). Je sais où aller, je sais quoi faire, du coup c’est plutôt facile. C’est quelque chose d’hyper intéressant à faire car en plus de mettre Novembre en musique, j’ai la possibilité de le mettre en image. C’est plutôt instinctif. J’essaie de faire des visuels qui soient aussi délicats que notre musique en gardant cette touche de noirceur voire de violence. J’ai tendance – et L’Amiral aussi d’ailleurs – à préférer le subjectif, le malsain sans pour autant entrer dans le cliché gore.

À une époque à laquelle les coûts de production du spectacle live enflent, Novembre a cette force de constituer, en studio du moins, une entité légère, ce qui crée un cadre a priori plus favorable que la moyenne à son déplacement, par rapport à un groupe de cinq ou six personnes. Envisagez-vous une traduction live d’Inox ou envisagez-vous exclusivement Novembre comme un projet studio ?
Novembre travaille sur du live. Nous avons commencé les répétitions et allons avoir beaucoup de travail sur l’aspect visuel des concerts. Nous aimerions vraiment créer quelque chose de fort. Ça engage pas mal de chose aux lumières, aux décors etc. Le groupe réfléchit aussi aux types d'endroits dans lesquels jouer. Est-ce que notre musique est faite pour des grandes salles ou des lieux plutôt intimistes ? Tout ça va prendre forme dans les mois à venir. On espère effectivement que le format duo joue en notre faveur, et nous avons conscience que les budgets sont serrés pour tout le monde.

Erlen Meyer travaillerait semble-t-il à la suite de Sang & Or. C’est vrai ça, L’Amiral ?
L’Amiral : Oui, tout à fait, Nous travaillons lentement mais sûrement sur la suite avec Erlen Meyer. Beaucoup de bases de morceaux sont déjà posées mais alors qu’est-ce qu’on devient difficile avec le temps ! Nous nous permettons de jeter des riffs qu’on aurait payés cher à l’époque (rire) ! Dans tous les cas on est toujours bien là et on a faim ! Frustrés que Sang & Or n’ai pas eu la lumière qu’il méritait. Un mauvais choix de label, un covid par-dessus… et voilà, on était déjà passé à autre chose. Mais put**n, cet album est une des plus belle choses que j’aie pu faire dans ma petite carrière de rockeur (sourire) !

Diskögr
  • Nacre (EP) (2018)
  • Inox (2023)