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Livre & Musique
08/07/2021

Octave Mirbeau / Nurse With Wound

Un Homme Sensible - Aliénation

Label éditeur : Lenka Lente
Genre : conte moral
Date de sortie : 2021/01/19
Note : 80%
Posté par : Sylvaïn Nicolino

Cruelle nouvelle que cet "Homme sensible" de Mirbeau, parue en 1901 sous forme de feuilleton (et reprise depuis dans les Contes Cruels). Le narrateur insupportable se sert abusivement de Darwin et de la quête de la Beauté pour mépriser les difformes et les bêtas. Il ne souhaite que leur extinction afin de préserver la race humaine... Aussi, lorsqu'il s'éprend d'une rouquine voisine qui le repousse (car notre héros est tout de même un rupin prétentieux et fainéant) et qu'il découvre ensuite que celle-ci accepte les épanchements du bossu qu'il ne cesse depuis son enfance de maltraiter sous les regards peu coercitifs de ses parents, son sang ne fait qu'un tour : il se débarrasse du monstre et purge le monde du fléau de la reproduction de l'insanité.

La nouvelle aurait pu s'arrêter là, mettant en avant comment des idées purificatrices conduisent au meurtre ; elle aurait fait un charmant conte allégorique, un apologue efficace quoique simpliste (en effet, il est trop tôt pour parler de brassage génétique et pour questionner la survie d'une espèce).

Ce qui reste pourtant, après avoir parcouru la deuxième partie du texte, c'est la relation qui se noue après l'assassinat entre le narrateur criminel et la veuve à la peau laiteuse. Un peu de masochisme, pas mal de sadisme implicite, bazardé du bout des lèvres. Puis, ce choix de la perte que fait chaque enfant lorsqu'il décide soudain de briser son jouet lui-même. Comme en plus la nouvelle met en scène un trou obscur et sans fond qui rappelle la marnière de Maupassant dans "PIerrot" (1882) et qu'un climat un poil fantomatique s'esquisse en quelques lignes, on tient là un texte à la croisée des routes qui marque et gagnera à être lu et relu.

Pour l'accompagner, Nurse With Wound offre le titre "Alienation", un extrait du sleep concert donné en 2017. Les drones mettent du temps à s'amplifier et, dans leur atmosphère poisseuse, la voix d'Aurélie Lierman génère des plaintes qui interpellent bien. Progressivement on voit clairement l'oseraie du livre osciller sous le vent, la brume recouvre le sol et les ronces qui bouchent l'orifice dans le sol semblent décroiser leurs tiges. Cette pièce crépusculaire et vibrante est un maléfice qui recouvre tout, à mesure que le son s'intensifie. Particulièrement doué sur cette composition, Steven Stapleton réussit à ajouter des froissements, des souffles, des menus parasites qui font écho au trouble fantastique du final du conte : et si, surnaturellement, quelque chose du bossu avait survécu ? La luminosité finit par surgir, alors que les sons les plus graves s'estompent, un flux vital renaît et tourne autour de l'auditeur. La captation est propre, sans écouteur la spatialisation fonctionne, tout au plus faudra-t-il baisser le son aux alentours des sept minutes si vos voisins ont des chiens : cela semblait les perturber...