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Ténèbres, puits sans fond. Obsküre plonge, fouine, investigue, gratte et remonte tout ce qu’il peut à la surface

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Interview
21/12/2022

Orbel

"Priorité aux émotions, aux textures, aux harmonies"

Genre : electro / trip hop / experimental / tribal feel
Contexte : parution du troisième album, 'Lur Hezea', le 04/11/2022
Photographies : Orbel archives
Posté par : Emmanuël Hennequin

Lur Hezea, le nouvel et troisième album d’Orbel, est cette pierre qui de Bayonne tombe dans le jardin de ces secrets que vous voudriez garder rien que pour vous. Le quatuor basque y déploie un son réinventé par rapport au précédent Hegan (2019), et vivifie par son machinisme un propos éminemment émotionnel et hypnotique. Dans son observation du monde, il vous invite à le questionner à votre tour, et vous vous positionnerez bien. Des tendances post-rock, il ne reste plus que d'infimes traces aujourd'hui. Lur Hezea, sorti début novembre et réalisé avec Amaury Sauvé (en coproduction avec le membre du groupe Alan Billi), est comme un rêve éveillé, bouleverse et se range aujourd’hui parmi nos futurs classiques de l’an 2022. Pour Obsküre, Orbel parle de sa mutation.

Obsküre : Une mue semble s’être opérée. Quelles différences voyez-vous se dessiner entre l’Orbel d’Hegan et celui de Lur Hezea ?
Alan : Cela va paraitre très cliché, mais l’Orbel d’Hegan était une entité qui se cherchait encore, commençait à prendre conscience de soi mais avait encore besoin d’expérimenter pour apprendre à se connaitre. Le cycle studio/tournée de ce disque, même si écourté, a été très bénéfique car il nous a réellement permis d’aller au bout de ce qu’on pourrait appeler le "premier chapitre" de ce projet. Pour Lur Hezea, tout s’est passé très différemment, tant sur le plan humain qu’artistique. Nous avons abordé ce disque avec des envies plus affirmées et précises, et cela s’est traduit par une méthode de travail et surtout des ambitions autres. Orbel a grandi, tout comme la relation qui nous lie tous les quatre et qui est à l’origine de tout cela ; et je pense que cela s’entend et se ressent sur ce nouvel album.

Votre son 2022 laisse une empreinte à la fois machiniste et instinctive, certains moments renvoient un peu à l’impression que l’on peut avoir en écoutant des mantras, dans leur dimension hypnotique. Y a-t-il dans votre processus de composition une routine, une manière de faire, ou agissez-vous davantage à l’instinct ?
Alan :
Nous n’avons pas vraiment de routine, ni de méthode complètement prédéfinie mais sur ce disque nous avons réussi à regrouper les moments de composition sur une période relativement courte, et presque toujours dans le même cadre ; donc forcément nous avons pris des habitudes et des repères qui lui ont été propres. En toute logique mais aussi de façon assez inconsciente, nous avons reproduit les schémas dans lesquels nous trouvions notre inspiration et dans lesquels tout le monde se sentait à l’aise. La seule récurrence qu’on pourrait peut-être rapprocher des aspects que tu mentionnes, c’est le fait d’avoir presque toujours démarré le travail sur nos compositions avec une rythmique assez minimale et tribale, une cadence qui te prend aux tripes. On voulait "capturer" nos auditeurs de façon corporelle et non plus uniquement via des émotions plus cérébrales.

Le son de Lur Hezea découle-t-il d’une affinité, une relation nouée entre vous et le genre trip hop ? Quelles sont les références personnelles qui vous semblent être majeures dans ce lien, pourquoi le sont-elles et quelle serait la place des racines, Bristol, dans votre paysage culturel de ce champ d’expression musical ?

Alan : Assez étonnamment, on ne peut pas dire que nous soyons de gros fans de trip hop. Nous étions trop jeunes pour vivre la vague originelle donc j’ai l’impression que les grosses références du genre, nous les avons découvertes chacun de notre côté, à des moments différents de nos vies et de façon plus diluée. Personnellement, à part Portishead et Massive Attack, je n’ai pas écouté grand-chose de cette période mais ce qui saute aux yeux c’est que depuis cinq, six ans il y a un gros retour de ces sonorités chez tout un tas d’artistes : de Chelsea Wolfe à Just Mustard, en passant par Penelope Trappes pour ne citer qu’eux. Je pense donc que nous sommes tous un peu devenus des enfants de Bristol sans même nous en rendre compte. En composant Lur Hezea nous ne nous sommes pas du tout donné ce genre en référence, mais je pense plutôt qu’il a infusé notre musique de façon plus indirecte.

Quelles sont ces "attitudes humaines" évoquées subrepticement par Camille face à la caméra de France 3 en décembre et qui provoquent en vous la réaction, le besoin de remettre en cause ou d’offrir contrepoint ?
Annelise :
Notre musique est le reflet de nos sentiments, de nos émotions et de notre vision du monde. Elle illustre ce que nous voyons et ce que nous digérons du monde dans nos rêves. Camille écrit beaucoup de textes à partir de ses rêves, justement. Les thématiques abordées dans les chansons sont diverses et souvent assez surréalistes mais elles sont un écho poétique de notre perception du monde. La chanson "Irentsi", par exemple, cherche à interpeller sur notre manière de consommer : les produits, la nourriture mais aussi les êtres. À travers les textures sonores, les paroles mais aussi parfois les images, nous souhaitons proposer notre vision des choses qui nous entourent.

Certains titres de Lur Hezea poussent loin la dimension introspective, c’est valable dans le relief et l’effet produit sur l’auditeur comme, on peut le supposer, dans la performance elle-même. "Orbain Irekiak" ou "Okerra" sont des exemples parmi d’autres. Peut-il y avoir pour vous une difficulté à exprimer/atteindre la force d’intention en studio, ce qui impliquerait moult prises, ou les choses s’enregistrent-elles vite, comme si elles étaient évidentes ?

Alan : C’est assez paradoxal mais tous les titres du disque ont été écrits avec l’expérience du live en tête mais… sans se demander comment nous allions pouvoir les jouer à quatre (rire) ! Priorité a vraiment été donnée aux émotions, aux textures et aux harmonies, parfois en empilant des dizaines de couches et parfois en laissant place au silence. Ce travail d’écriture et de production, nous l’avons effectué seuls au cours des mois précédant le studio, donc cela a fait partie intégrante de notre processus créatif. Pour trouver la texture, la mélodie ou l’intention voulue, nous avons enregistré des dizaines et des dizaines de prises, et pour certaines d’entre elles, nous n’avons même pas essayé de faire mieux en studio car une certaine magie s’en dégageait. Par contre, pour le chant, Orbel a justement privilégié l’énergie en enregistrant toutes les parties à deux voix en simultané avec Annelise et Camille, chacune dans une cabine.

Durant les séances studio de Lur Hezea, Amaury Sauvé a-t-il apporté un soutien de nature seulement technique ou lui avez-vous ouvert la porte de la suggestion artistique ? Acceptez-vous ou non, par quelque biais que ce soit, que votre art soit mis en question par une voix extérieure au groupe ?
Alan :
Amaury est un ami de longue date de Txomin et moi. Nous avons collaboré avec lui pas mal de fois dans le passé donc nous connaissions sa façon de travailler, mais aussi sa personnalité ; et c’est justement tout ça qu’on est venu chercher pour Orbel. Techniquement c’est quelqu’un sur qui on peut se reposer à 100% donc forcément ça libère l’esprit pour le reste. Pour ce qui est de l’apport artistique, nous sommes toujours ouverts aux propositions extérieures, mais ça ne veut pas dire qu’on les accepte forcément (sourire). Orbel est prêt à tout entendre et à discuter mais nous sommes quatre, avec quatre avis souvent très tranchés. Et de la même façon que pour valider l’idée de l’un d’entre nous, il faut trouver un consensus. Pour intégrer une proposition extérieure, il faut aussi réussir à convaincre tout le monde. L’avantage c’est qu’Amaury est très doué pour proposer pleins d’idées sans jamais mettre d’égo dans tout ça. Du coup, Orbel a pu piocher ce qui lui paraissait le plus cool parmi ses propositions.

Les rares interviews vidéo de vous que nous ayons pu voir étaient en Basque, et l’intimité de votre rapport à la langue du Pays, rien que par votre affichage en art, ne fait aucun doute. Considérez-vous avoir une ou deux langues maternelles ?

Alan : Chacun aura une réponse très différente à cette question car nous n’avons pas tous le même rapport à cette langue. Nous n’avons pas tous grandi avec elle de la même façon, mais je pense que son usage dans notre musique est tout simplement une évidence pour nous, tout comme l’est de vivre notre vie de tous les jours en langue basque.

Vos clips récents, variant dans leurs procédés narratifs ou rituels mis en images, mettent fréquemment le corps en avant. Quel rapport entretenez-vous au corps ? 
Alan :
Comme je le disais, avec Lur Hezea Orbel a voulu parler au corps de nos auditeurs afin de créer une relation plus instinctive avec eux, chose que nous n’avions pas tentée jusque-là. J’ai l’impression qu’il est plus facile par la suite de faire passer un message ou une émotion. Le corps nous ouvre des portes vers l’esprit, il nous permet de s’oublier et de se laisser guider.

Dans le rapport social, au quotidien, à quel point portez-vous attention au langage du corps des autres ?

Alan : Avant d’être un groupe de musique, Orbel, ce sont surtout quatre amis de longue date qui se connaissent extrêmement bien et qui, par conséquent, connaissent très bien leurs langages corporels. Chacun a ses petits gestes qui en disent long sur l’état mental et émotionnel. C’est essentiel dans la vie d’un groupe d’apprendre à "lire" les autres, ça évite les conflits inutiles et ça permet de s’entraider en anticipant certaines situations.

Les esquisses sonores futures, pour peu qu’elles existent, suivent-elle la tangente machiniste de Lur Hezea ?
Alan : Pour le moment, nous n’avons rien sous le coude de totalement neuf mais nous préparons quelques surprises pour 2023… et celles-ci prennent encore plus cette direction !